GLOTTOPOL Revue de sociolinguistique en ligne n° 11– janvier 2008 Insertion sco
GLOTTOPOL Revue de sociolinguistique en ligne n° 11– janvier 2008 Insertion scolaire et insertion sociale des nouveaux arrivants Numéro dirigé par Véronique Castellotti et Emmanuelle Huver SOMMAIRE Véronique Castellotti : Introduction – Vers la construction d’une école et d’une société plurielles : des notions en débat, des orientations à construire Catherine Wihtol de Wenden : Migration, pluralité, intégration Hélène Bertheleu : Pour une approche sociologique de l’insertion des nouveaux venus Gérard Vigner : D’une généalogie à une méthodologie – le fl2 dans les programmes du ministère de l’Education nationale Marie Madeleine Bertucci : Une didactique croisée du français langue maternelle et du français langue seconde en milieu ordinaire pour faciliter l’insertion des nouveaux arrivants Fabienne Leconte & Clara Mortamet : Cultures d’apprentissage et modes d’appropriation des langues chez des adolescents alloglottes Aude Bretegnier : Interroger le sens et les enjeux des projets d’appropriation du français langue d’insertion : ouverture d’un champ de recherches interventions Marianne Jacquet, Danièle Moore & Cécile Sabatier : Médiateurs culturels et insertion de nouveaux arrivants francophones africains : parcours de migration et perception des rôles Christiane Perregaux, Nilima Changkakoti, Valérie Hutter & Myriam Gremion : L’accueil scolaire d’élèves nouvellement arrivés en Suisse : tensions entre séparation et inclusion Céline Peigné : Solliciter pour mieux intégrer ? Stratégies enseignantes et mobilisation du répertoire pluriel d’adolescents nouveaux arrivants Nathalie Auger : Favoriser le plurilinguisme pour aider à l’insertion scolaire et sociale des élèves nouvellement arrivés (ENA) Emmanuelle Huver : De « comparons nos langues » à « mobilisons nos ressources » : approche par scénario et insertion scolaire et sociale des enfants allophones Gabriele Budach & Helen Bardtenschlager : Est-ce que ce n’est pas trop dur ? Enjeux et expériences de l’alphabétisation dans un projet de double immersion Comptes rendus Philippe Blanchet : Dominique Sumien [dit « Domergue »], 2006, La standardisation pluricentrique de l’occitan, collection « Publications de l’AIEO », Turnhout, Brepols publisher, 501 p. Laurence Vignes : Nathalie Auger, 2007, Constructions de l’interculturel dans les manuels de langue, collection « Proximités – Didactique », Editions modulaires Européennes, Fernelmont, 234 p. Daniel Modard : Nicolas Guichon, 2006, Langues et TICE. Méthodologie de conception multimédia, Paris, Ophrys, coll. Autoformation et enseignement multimédia, 173 p. Marinette Matthey : Danièle Moore, 2006, Plurilinguismes et école, avec une postface de Daniel Coste, collection LAL (Langues et apprentissage des langues), Paris, Didier, 320 p. http ://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol INTERROGER LE SENS ET LES ENJEUX DES PROJETS D’APPROPRIATION DU FRANÇAIS LANGUE D’INSERTION OUVERTURE D’UN CHAMP DE RECHERCHES INTERVENTIONS Aude BRETEGNIER Université François Rabelais de Tours, Jeune Equipe 2449 DYNADIV A partir de la proposition de Fabienne Leconte et Clara Mortamet1 de prendre en compte l’histoire des apprenants… Liminaire De nombreux didacticiens (Zarate, 1993 ; Castellotti, 2001 ; Moore 2001) ont montré les liens entre les pratiques d’apprentissage des langues et les représentations de ces langues, les façons dont les individus se représentent ces langues comme objets d’apprentissage, construisent d’elles des images, y associent des valeurs, par exemple comme langues plus ou moins étrangères (Dabène, 1994), plus ou moins proches ou éloignées (Castellotti, Coste & Moore, 2001), plus ou moins faciles ou difficiles, etc. Ces mêmes chercheurs ont ainsi défendu l’idée que l’appropriation des langues était facilitée par l’engagement d’un travail, avec les apprenants, de réflexion et de conscientisation de leurs représentations sur les langues, sur les liens entre ces langues. Sur le terrain de l’appropriation du français par des publics en double difficulté de langue et d’insertion, publics migrants, publics en situation d’illettrisme, ce champ de recherches sur les articulations entre représentations linguistiques et pratiques d’apprentissage, ouvre des pistes à explorer en terme d’interventions formatives, qui rencontrent l’idée de prise en compte, dans le processus d’apprentissage linguistique, de l’histoire, des histoires des sujets apprenants de français : leurs histoires linguistiques, leurs histoires d’apprentissage, l’histoire de la construction de leurs rapports aux différentes variétés linguistiques qui composent leurs répertoires, parmi lesquelles le français, langue « cible » de l’apprentissage. L’idée est ici de réfléchir à la manière dont on peut engager avec des apprenants de français comme langue d’insertion sociale, langue d’intégration, un travail de réflexion et d’explicitation de leurs rapports aux langues, de leurs « histoires de langues » (Deprez, 2000 ; Bretegnier, à paraître 1), pour les accompagner à réfléchir au sens qu’ils donnent à ce projet d’appropriation linguistique, aux enjeux qui le sous-tendent, à leur positionnement par rapport 1 Contribution dans le même volume. GLOTTOPOL – n° 11 – janvier 2008 http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol 71 à lui, à ce qui se joue, d’un point de vue socio-identitaire, à travers ce processus de mobilité dans lequel ils sont en train de s’engager. I. Imaginaires sociolinguistiques et pratiques d’appropriation de langues – Eléments d’une problématique Imaginaires linguistiques : histoires, contextes, interactions Mon point de vue est celui d’une sociolinguiste, qui cherche à comprendre ce qui construit les rapports aux langues, les imaginaires linguistiques (Houdebine, 1996), l’histoire des relations, complexes, ambivalentes, que les individus sociaux construisent et entretiennent avec leur(s) langue(s), la manière dont ils s’approprient les discours épilinguistiques socialement véhiculés, les prennent plus ou moins à leur compte, participent à les diffuser et/ou à les transformer, etc., et à la manière dont tout cela a des répercussions sur les représentations qu’ils ont d’eux-mêmes comme locuteurs, transmetteurs de langues, apprenants. Mon histoire de recherches m’a en particulier amenée à m’interroger, dans des contextes sociolinguistiques de pluralités inégalitaires comme celui de la Réunion, sur la construction de rapports malaisés, douloureux, honteux, insécurisés aux langues. Cette notion de contextes renvoie en particulier à l’idée que les langues qui construisent les répertoires linguistiques des individus sociaux ne sont pas neutres, mais situées dans un espace sociolinguistique particulier qui leur confère des statuts, un certain nombre de valeurs, des formes de reconnaissances socio-symboliques et politiques, des légitimités qui peuvent être inégales. Il s’agit ainsi d’abord de s’interroger sur la manière dont la place, la reconnaissance, la valorisation, la stigmatisation, l’ignorance dont les langues font socialement l’objet, à travers les représentations qu’en ont les individus sociaux, participent à la façon dont ceux-ci appréhendent et construisent, en histoire et en interactions, leurs rapports aux langues ; - à leurs langues maternelles, « langue(s) qui introdui(sen)t le sujet à l’autre » (Hassoun, 1993), langues de provenance, qui disent et construisent l’histoire, au travers desquelles les individus émergent et sont reconnus comme sujets parlants, sujets sociaux, langues qui habilitent les sujets comme locuteurs, interlocuteurs (Deprez, 1994) ; - aux autres langues de leurs répertoires, langues de scolarisation, langues d’insertion socio-professionnelle, dont l’histoire interactionnelle avec les langues initiales est à interroger, qui occupent chacune une place particulière, ont un sens particulier dans l’histoire du sujet. Ce travail conduit également à interroger les conséquences des sentiments socio- épilinguistiques sur les représentations de légitimité ou d’illégitimité linguistique, sur les perceptions qu’un locuteur natif d’une langue socialement stigmatisée peut avoir de sa propre capacité, ou légitimité, à se construire une bonne compétence en langue « dominante ». Illégitimité linguistique, clivages conflictuels, langues adversaires La légitimité du sujet, comme locuteur, comme apprenant, se construirait ainsi en regard de la légitimité qu’il confère à ses langues. On trouve une contribution intéressante à la construction de cette problématique dans l’étude de Fabienne Leconte (1997), qui, à partir d’enquêtes menées auprès d’enfants originaires d’Afrique francophone, allophones de langues premières, souvent nés et toujours scolarisés en France, a montré une articulation forte entre l’intériorisation de la stigmatisation GLOTTOPOL – n° 11 – janvier 2008 http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol 72 sociale d’une langue signifiante pour l’individu d’un point de vue identitaire, langue familiale en particulier, et l’émergence d’insécurité linguistique en français langue de scolarisation. Les analyses de Leconte rencontrent sur ce point mes propres recherches sur l’insécurité linguistique et identitaire en français et en créole à la Réunion (Bretegnier, 1999, 2002), qui montrent que l’insécurité linguistique dans la langue dominante de l’espace social – la peur de ne pas être légitimé comme locuteur de cette langue –, ne pouvait être comprise sans interroger les rapports construits aux autres langues du répertoire. L’insécurité ressentie en français, langue de réussite et d’insertion sociale, scolaire, professionnelle, ce que l’individu exprime par exemple à travers une mise en doute ou une disqualification de ses compétences dans cette langue, se double ainsi fréquemment d’une intériorisation des discours sociaux dévalorisant l’autre / les autres langue(s), celle(s) qui construi(sen)t ce qu’il se représente comme son identité linguistique initiale. A la Réunion, j’ai ainsi montré que l’insécurité linguistique s’inscrit dans une logique de clivage – c’est-à-dire est associée à des représentations particulièrement clivées de l’espace sociolinguistique et des relations qui existent entre les langues, français et créole2, souvent perçues comme langues adversaires, voire menaçantes l’une pour l’autre. Cette idée de clivages se retrouve encore concernant les compétences construites dans ces deux langues : par exemple à travers l’idée, fréquente, que la créolophonie serait un frein à la construction d’une « bonne » compétence en français, et que celle-ci impliquerait de se distancier nettement par rapport au créole, voire d’y renoncer. Inversement, un Réunionnais connu pour ses bonnes compétences linguistiques en français peut être considéré comme suspect du uploads/Litterature/ bretegnier08-francais-insertion.pdf
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- Publié le Jul 03, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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