126 l Le Monde de la Bible l 224 Premier écrivain du christianisme, Paul livre

126 l Le Monde de la Bible l 224 Premier écrivain du christianisme, Paul livre dans ses épîtres des informations précieuses pour comprendre les premières communautés chrétiennes. Décryptage de ses lettres qui suscitent aussi certaines polémiques… Par Régis Burnet Professeur à l’université de Louvain-La-Neuve (Belgique). Comprendre la Bible L e corpus paulinien traîne derrière lui une série de préjugés qui, encore très souvent, font obstacle à sa lecture. Tout d’abord, le texte a la réputation d’être difficile : il serait « théorique », complexe, et pas toujours clair – en tout cas, il souffre de la comparaison avec les évangiles considé­ rés comme faciles d’accès. Ensuite, ce que l’on croit connaître de la personnalité de saint Paul suscite des réticences : ne serait- il pas misogyne ? ne détesterait-il pas le plai­ sir ? le corps ? Enfin, un préjugé très ancien puisqu’il remonte à Nietzsche, et par-delà le XIXe siècle à Marcion (vers 85-160), en fait le fondateur félon d’un christianisme répressif : verrouillant le message de liberté de Jésus, il aurait inventé une religion oppressive et tyrannique. Pour renverser ces préjugés, il faut entrer plus avant dans la compréhen­ sion du corpus paulinien. Comprendre la Bible ... L’apôtre Paul Bible française de Philippe IV de Lévis et d’Antoinette d’Anduze, vers 1430-1440. Ms 7, fol. 220 v. Paris, Bibliothèque nationale de France. © BNF les bases de la théologie Le corpus paulinien POURQUOI LIRE PAUL ? Puisque nous sommes à une époque où lire Paul ne va plus toujours de soi, il convient de rappeler l’intérêt d’étudier le corpus paulinien. 1. D’un point de vue historique Paul est le premier écrivain du christia­ nisme. La lettre la plus ancienne qui nous soit conservée de lui remonte au tout dé­ but des années 50, soit vingt ans avant la date assignée au premier des évangiles (Marc). Les lettres pauliniennes constituent donc un document de première main pour comprendre l’organisation des premières communautés chrétiennes comme par exemple la distinction entre les apôtres, les anciens (presbuteroi) et les servants (diaconoi) des premières lettres et l’intro­ duction des « surveillants » (episcopoi) des Pastorales, l’ordonnance du culte liturgique (voir le long passage de 1 Co 11–14), LE CORPUS PAULINIEN Lettres écrites par Paul (rédigées entre 51 et 58) présentées dans l’ordre supposé de rédaction : l Première épître aux Thessaloniciens (1 Th) l Première épître aux Corinthiens (1 Co) l Épître aux Galates (Ga) l Deuxième épître aux Corinthiens (2 Co) l Épître aux Philippiens (Ph) l Épître à Philémon (Phm) l Épître aux Romains (Rm) Pour certains exégètes 2 Thessalonicens a été écrite par Paul alors que d’autres estiment que c’est l’œuvre d’un de ses successeurs. Lettres qui prolongent la pensée de Paul (rédigées dans les années 80) l Épître aux Colossiens (Col) l Épître aux Éphésiens (Ép) Lettres ou « Pastorales » rédigées dans les années 90 après la mort de Paul l Première épître à Timothée (1 Tm) l Deuxième épître à Timothée (2 Tm) l Épître à Tite (Tt) 128 l Le Monde de la Bible l 224 129 Comprendre la Bible les mécanismes de solidarité entre les communautés (la collecte, 2 Co 8–9). Mais elles constituent également des documents précieux pour les historiens du judaïsme du second Temple – dont le mouvement de Jésus est encore l’une des composantes – en montrant quelles sont les références d’un Judéen de la dias­ pora éduqué dans le milieu pharisien de Jérusalem ou quelles sont les techniques d’utilisation des textes sacrés (voir par exemple la lecture des récits de la Genèse évoquant Adam ou Abraham proposée par Ga 3 ou Rm 4–5). Le fait que Paul manie avec virtuosité la rhétorique gréco-latine renseigne également sur le degré d’helléni­ sation des milieux judéens. 2. D’un point de vue théologique Paul constitue l’une des bases de la théo­ logie chrétienne. C’est évidemment une banalité pour tous les textes du canon des Écritures, qui, par définition, sont au fonde­ ment de tout le discours chrétien, mais c’est tout particulièrement vrai pour Paul au moins pour deux raisons. La première est que Paul invente une bonne partie du vocabulaire chrétien en employant de manière figurée des expressions courantes pour décrire le salut : le cadeau gracieux, le rachat d’un es­ clave, l’acquittement au tribunal. Ces méta­ phores progressivement figées deviendront des concepts du vocabulaire technique de la théologie : la grâce, la rédemption, la justi­ fication. La seconde est l’interprétation de la Croix qu’il donne en 1 Corinthiens 2–3, mais aussi en Galates et en Romains : la mort de Jésus du supplice de la crucifixion est rédemptrice. Cette déclaration est tellement fondatrice de tout le christianisme (dans toutes ses dénominations) qu’elle devient évidente. Pourtant il suffit de lire l’évangile de Jean qui traite la Croix comme une exalta­ tion ou d’approfondir les écrits de certaines communautés marginales en particulier les écrits gnostiques pour s’apercevoir que cela n’allait pas du tout de soi. 3. D’un point de vue spirituel L’influence des écrits pauliniens a été consi­ dérable. Ses longs passages sur le « métier d’apôtre » (1 Co 3,1–4,13 ; 2 Co 2,14–6,10) servent aujourd’hui encore à définir les techniques missionnaires des Églises. De nombreuses citations de ses lettres ont été appelées en renfort (à tort ou à raison, le sujet est débattu) pour donner forme à l’expérience mystique. Son ravissement au septième ciel, évidemment (2 Co 12), mais aussi ses passages sur « le parler en lan­ gues » (1 Co 14). Là encore, il fournit aux chrétiens qui vont le suivre un vocabulaire et des concepts, comme l’expression « en Christ » ou la distinction chair/esprit. Diaspora (en grec « dispersion ») Ensemble des communautés juives établies en dehors de la terre d’Israël à partir du VIIe siècle av. J.-C. (Égypte, Syrie, Mésopotamie…). Pharisien Membres d’un des principaux partis du judaïsme ancien à l’époque du second Temple. Ils constituaient l’essentiel des dirigeants religieux du peuple. Leur enracinement était essentiellement populaire (à l’inverse des sadducéens). Très attachés à la Loi, ils l’expliquaient en fonction de la tradition orale, la nuançaient et l’interprétaient. Ils survécurent à la destruction du Temple en 70 (à la différence des sadducéens, qui disparurent après) et les rabbins recueillirent une partie de leur héritage. Pseudépigraphie Le fait d’écrire sous le nom d’un autre. Philippiens, Philémon, Romains. Elles ont été rédigées entre 51 et 58. Certains exé­ gètes y rajoutent 2 Thessaloniciens, alors que d’autres estiment qu’il s’agit de l’œuvre d’un successeur de Paul, mais peinent à définir à quelle époque et dans quelles circonstances il aurait écrit. Le deuxième groupe contient deux lettres qui prolongent la pensée de Paul (en particulier celle mise en place en Philippiens) et auraient été com­ posées dans les années 80 : Colossiens et Éphésiens. Certains exégètes parlent de « corpus deutéro-paulinien ». Le troisième groupe est constitué de trois lettres qui ont été rédigées peut-être une trentaine d’années après la mort de Paul (dans les ... ... Le ravissement de saint Paul Le livre des merveilles et autres récits de voyages et de textes sur l’Orient, par Jean de Mandeville, enluminé par le Maître de la Mazarine 1410-1412. Ms 2810, fol. 171. Paris, Bibliothèque nationale de France. © BNF années 90, par conséquent) pour régler des difficultés internes aux communautés pauli­ niennes. La tradition ancienne (avant même qu’on imagine qu’elles puissent ne pas être de Paul) les avait déjà singularisées sous le nom de « Pastorales », certains contempo­ rains parlent de « corpus trito-paulinien » : il s’agit des deux lettres à Timothée et de la lettre à Tite. Ce verdict de pseudépigraphie, pro­ posé timidement à partir du XIXe siècle et aujourd’hui largement accepté, modifie évidemment l’interprétation à donner aux différents textes, selon qu’ils sont de Paul ou pas, écrits en prolongement de sa pen­ sée ou pas… COMMENT ABORDER LE CORPUS ? Une fois acquise l’importance du corpus paulinien, il convient de prendre contact avec lui à travers quelques clefs de lecture. La plus fondamentale étant qu’il s’agit, précisément, d’un corpus, c’est-à-dire d’un ensemble de textes et non un unique texte, qui présenterait une « théologie de l’apôtre Paul », claire comme un manuel de théologie. 1. Un corpus hétérogène Même si toutes les lettres « de Paul » décla­ rent qu’elles ont l’apôtre comme auteur, les recherches des exégètes depuis deux siècles s’accordent à montrer que certaines sont le fruit d’un travail de tradition autour d’un noyau paulinien. En effet, certaines différences de théologie et de vocabulaire, certaines questions sur le rôle de Paul (qui se présente comme un apôtre éloigné), cer­ taines disparités de l’organisation des com­ munautés suggèrent des dates de rédac­ tion diverses. On distingue habituellement trois groupes. Le premier comporte sept lettres certaine­ ment de la main de Paul qui sont, dans l’ordre supposé de leur écriture : 1 Thessaloniciens, 1 Corinthiens, Galates, 2 Corinthiens, 130 l Le Monde de la Bible l 224 131 Comprendre la Bible ... 3. Un corpus lié à la personnalité de Paul La dernière clef d’interprétation du corpus est évidemment uploads/Litterature/ burnet.pdf

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