CLARETIE, Jules (1840-1913) : Jules Verne.- Paris : A. Quantin, imprimeur- édit

CLARETIE, Jules (1840-1913) : Jules Verne.- Paris : A. Quantin, imprimeur- éditeur, 7 rue Saint-Benoit, 1883.- 32 p.- 2 f. de pl. ; 17,5 cm. - (Célébrités contemporaines). -------------------------------------------------------------- ------------------ Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (02.X.2010) Texte relu par : A. Guézou. Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville- lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ -------------------------------------------------------------- ------------------ Diffusion libre et gratuite (freeware) -------------------------------------------------------------- ------------------ Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque André Malraux (Bm Lx : 15248/2) -------------------------------------------------------------- ------------------ Jules Verne par Jules Claretie ~*~ JE ne sais qui disait, en sortant d’une représentation du Tour du Monde en 80 jours ou du Voyage à travers l’impossible : ‘C’est la Biche au bois en locomotive... » Le mot a du vrai. Il faut toujours à l’homme sa part de rêve, même dans l’époque la moins idéaliste qui soit dans l’histoire, en un siècle où la guerre se fait avec des télégraphes, où les corps d’armée arrivent en chemins de fer sur les champs de bataille, et où l’éloquence d’un Cicéron pourrait être emmagasinée par le téléphone. Nous n’en sommes plus aux contes de ma Mère l’Oie et M. Édouard Laboulaye a peut-être écrit les derniers Contes bleus. Nous en sommes aux contes scientifiques. La science a pris notre temps au collet. Elle le secoue même un peu violemment, quitte à faire tomber toutes ses illusions ; et à l’heure où la féerie se réfugie dans le téléphone, il était naturel qu’un conteur traduisît, dans des récits bientôt populaires, les aspirations de notre époque vers le fantastique scientifique. C’est ce qu’a fait, avec un bonheur rare, l’inventeur dont je voudrais ici résumer le rôle. Jules Verne incarne à l’heure où nous sommes le romanesque essentiellement moderne et contemporain. Il a résolu ce problème d’intéresser avec des gens en vestons courts, en paletots sacs et en guêtres de voyage. Son Philéas Fogg et son capitaine Hatteras, et leur dernier frère, Kéraban le Têtu, sont les Athos, les Porthos et les Monte-Cristo d’une époque pratique et qui sait le prix des chèques, des tickets et des télégraphes. Les coups d’épée des mousquetaires et les bottes secrètes de Nevers rencontreraient aujourd’hui plus d’un sourire sceptique ; mais les coups de revolver du parisien Passe-Partout, de l’Américain Corsican et du Russe Michel Strogoff, - ce courrier du czar traversant les steppes pour porter un ordre, comme d’Artagnan traverse la Manche pour rapporter les ferrets de la reine, - sont acceptés comme détonation d’évangile. Ils ont leurs disciples et leurs croyants. Encore une fois, il faut toujours à l’humanité sa ration de songes. Chacun de nous, sa journée finie, la plupart du temps terne et maussade, éprouve le besoin d’ouvrir une sorte de lucarne sur l’infini. Vivent les contes qui consolent de l’histoire quotidienne ! Et lorsque le fringant Aramis ou Athos le pensif ont amusé, sans les lasser, les générations ; lorsque le prince Rodolphe des Mystères de Paris a vu son grand-duché de Gérolstein envahi par l’opérette et sa Fleur-de-Marie chanter : J’aime les militaires ; lorsque Rodin est mort d’une indigestion de radis noirs ; lorsque les millions d’Edmond Dantès sont devenus la misère, comparés aux milliards que coûtent aujourd’hui les cannonades internationales et les krachs financiers ; lorsque les ruses de Rastignac ont pâli devant les ambitions de nos politiciens ; lorsque Vautrin a rendu les armes à M. Lecoq et Atar-Gull à Tropmann, il faut bien chercher ailleurs le songe, l’impossible, la consolation, l’oubli, la chimère, la chère Chimère, toujours prête à étendre son aile dorée sur la hideur des réalités. C’est ce qu’a fait M. Jules Verne, Parisien jusqu’aux ongles par l’esprit et cosmopolite par l’imagination ; gai causeur, inventeur inépuisable, boulevardier et solitaire, le premier à l’ouverture du Salon comme à la course en yacht en pleine mer avec les pêcheurs des côtes, esprit original, visage sympathique, et l’oeil, comme la main, franchement ouvert. Les aventures de Philéas Fogg, visitant la terre en quatre-vingt jours, ont diverti les Parisiens durant des mois entiers, et dans son fauteuil on a fait paisiblement le Tour du Monde. Puis ces décors, ces machines, ces steam-Boats, ces serpents, cet éléphant, ces locomotives, ces Indiens Pawnies parcourant l’Europe, on les a applaudis à Bruxelles, on les a vus à Londres, on les réclame à Vienne, on les attend à New-York. Il n’y a plus de succès parisiens : le théâtre devient européen. Le vieux monde est fini avec les vieilles moeurs. Go ahead ! Place à Philéas Fogg et à son siècle ! Don Quichotte est une ganache, et ce n’est pas à des moulins à vent que s’en prennent nos héros de romans, c’est à des bateaux à vapeur, comme ce M. Fogg, à des continents ignorés, à la mer libre du pôle, comme le capitaine Grant, ou à des citadelles, comme Strogoff. M. Jules Verne a eu le bon esprit de comprendre et de deviner son temps. Ce Parisien, comme je l’appelais tout à l’heure, est né à Nantes le 8 février 1828 ; il a donc cinquante-cinq ans aujourd’hui. C’est, encore une fois, le plus aimable des hommes. L’auteur des Voyages à travers l’impossible, dont les plus récents sont les aventures de Kéraban le Têtu, débuta il y a trente ans environ, en littérature, par des nouvelles et des comédies. Je lisais, il n’y a pas longtemps, une pièce de lui, écrite en collaboration avec Pitre-Chevalier et insérée dans le Musée des Familles. Déjà l’instinct traveller de Jules Verne s’y révèle. Cela s’appelle Pierre qui roule n’amasse pas mousse, et c’est l’histoire d’un bon bourgeois parti pour la Californie sur la foi de la réputation de ce coin de terre. Dans le même volume, Jules Verne a signé de son nom une nouvelle mexicaine, Martin Paz. Il portait déjà, on peut le dire, en lui, à l’état latent, le roman scientifique. A cette époque, pourtant, il « rimait » et nous le surprenons en train d’écrire non des romans, mais des romances. Le Phare de la Loire publiait naguère (1), dans les Souvenirs d’un vieux Nantais, une chanson, péché de jeunesse de Jules Verne, que chantait jadis admirablement le baryton Charles Bataille, Les Gabiers, par Jules Verne et Aristide Hignard : En partant du bord Vous voyiez naguère, Pleurer sur le bord Votre vieille mère ! Dans son triste adieu A la Sainte Vierge, Elle a fait le voeu De brûler un cierge Si son pauvre fils, Sauvé de l’orage, Revient au rivage, Revient au pays ! Hardis matelots, Montez dans la hune, Pour chercher la dune Au milieu des flots. Alerte ! Alerte, enfants, alerte ! Le ciel est bleu, la mer est verte, Alerte ! Alerte ! Presque en même temps, Jules Verne, co- auteur des Gabiers, collaborait avec Alexandre Dumas fils, demeuré son ami et qui l’aime « comme il aime quand il aime », et Verne donnait avec lui, au Gymnase, les Pailles rompues. Puis il apportait au Vaudeville une comédie en trois actes : Onze jours de siège. A cette époque encore, avant d’être secrétaire du Théâtre-Lyrique, - avant ou après le spirituel Ph. Gille - Verne fréquentait la Bourse ; il avait rêvé jadis de partir pour la Californie, de se faire chercheur d’or ; il s’était fait coulissier. Il mêlait agréablement la littérature à la finance. Cependant, son tempérament littéraire particulier se développait déjà. On trouvera, à la fin du volume de Verne qui a pour titre le Docteur Ox, une nouvelle fort curieuse : Un drame dans les airs. C’est l’aventure d’un aéronaute qui, prenant un passager, s’aperçoit que ce passager est fou. Méry avait conté une histoire de ce genre : le fou dont parle M. Verne jette au vent tout ce qui sert de lest à l’aérostat. « Le ballon, entièrement délesté de tous les objets qu’il contenait, nous fûmes emportés, écrit le romancier, à des hauteurs inappréciables ! L’aérostat vibrait dans l’atmosphère. Le moindre bruit faisait éclater les voûtes célestes. Notre globe, le seul objet qui frappât ma vue dans l’immensité, semblait prêt à s’anéantir, et, au-dessus de nous, les hauteurs du ciel étoilé se perdaient dans les ténèbres profondes ! « Je vis l’individu se dresser devant moi ! « Voici l’heure ! me dit-il. Il faut mourir ! Nous sommes rejetés par les hommes ! Ils nous méprisent ! Écrasons-les ! « - Grâce ! fis-je. « - Coupons ces cordes ! Que cette nacelle soit abandonnée dans l’espace ! la force attractive changera de direction, et nous aborderons au soleil ! « Le désespoir me galvanisa. Je me précipitait sur le fou ; nous nous prîmes corps à corps, et une lutte effroyable se passa ! Mais je fus terrassé, et tandis qu’il me maintenait sous son genou, le fou coupait les cordes de la nacelle. « - Une ! fit-il. « - Mon Dieu !... « - Deux ! trois ! » « uploads/Litterature/ clare-tie.pdf

  • 39
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager