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HAL Id: hal-01624202 https://hal.science/hal-01624202 Submitted on 26 Oct 2017 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. C’est avec l’histoire que les enfants jouent récit d’enfance et poétique romanesque, de Valery Larbaud à Louis René des Forets ” Alexandre Gefen To cite this version: Alexandre Gefen. C’est avec l’histoire que les enfants jouent récit d’enfance et poétique romanesque, de Valery Larbaud à Louis René des Forets ”. Romanesques : revue du Cercll : roman & romanesque, 2004, 1, pp.265–274. ￿hal-01624202￿ « C’EST AVEC L’HISTOIRE QUE LES ENFANTS JOUENT » RECIT D’ENFANCE ET POETIQUE ROMANESQUE, DE VALERY LARBAUD A LOUIS RENE DES FORETS p Au roman de l’enfance (roman d’apprentissage ou roman de filiation, autobiographique ou non) et au roman pour l’enfance (qui feint d’avoir comme destinataire des enfants), on peut, je crois, opposer un roman dans l’enfance où le narrateur viendrait produire non des topiques ou des realia mais recherche dans le thème de l’enfance les processus cognitifs et affectifs mêmes de la découverte du monde. Loin d’être un proto-récit maladroit des origines que l’écrivain viendrait fuir ou comprendre, ce roman d’initiation ontologique est, au contraire, un roman d’apprentissage du roman : la plongée aux origines de la conscience étant une manière pour le romancier de thématiser et mettre en abyme les problèmes de la représentation fictionnelle. C’est moins sa place dans les cartographies génériques que son importance historique que je souhaiterai ici examiner, mon hypothèse étant que ce roman des origines du roman est propre au XXe siècle, et plus précisément à deux moments de crise dans l’histoire des poétiques du genre : c’est le premier, le mieux identifié depuis le célèbre ouvrage de M. Raimond1, les années 1920, qui m’intéressera ici essentiellement, réservant quelques remarques finales aux rapports entre crise de l’énonciation et récit d’enfance dans les années 1960. Crise du déterminisme narratif et du réalisme descriptif, la crise moderniste du roman est moment fondamental de réflexivité critique et de renouvellement formel. Les innovations techniques qui caractérisent l’époque témoignent d’une mutation déterminante pour l’histoire littéraire : le passage d’un roman visant à imiter le réel à un roman visant à produire des univers subjectifs, mondes possibles émancipés de la légitimité mimétique. L’intuition que je voudrais développer ici, en m’appuyant essentiellement sur les Enfantines de V. Larbaud (1918), c’est que l’enfance a servi de point de passage à cette rupture avec le réalisme : c’est grâce à un retour à l’enfance, conçue en termes aristotéliciens comme le point de départ de toute fiction (puisque « dès l’enfance les hommes ont une tendance à représenter »2) que le langage romanesque a pu se repenser comme mécanisme ontologique et s’échapper de la dépendance d’une théorie de la représentation d’origine scientifique. Bref, c’est la manière dont les mécanismes de constitution d’univers de l’enfance, ontogenèse et de phylogenèse, sont reversés par le roman à sa réflexion sur lui-même que je voudrai exposer3. Pour illustrer cette idée, je vais donc parcourir brièvement trois problèmes (la crise du point de vue, la crise de la référence, la crise du déterminisme) touchant le roman de l’entre-deux guerres et montrer comment l’écriture de l’enfance se trouva aux avant-postes des trois solutions qui y furent trouvées (le monologue intérieur, le récit poétique, la mise en abyme de la narration par l’écriture romanesque). Écriture de l’enfance et monologue intérieur On sait que, peut-être sous l’influence du cinéma ou des théories de la relativité (à moins que ce soit le contraire), le début du XXe siècle se caractérise par une crise du point de vue omniscient adopté par le narrateur démiurge du siècle réaliste. Le roman s’engage dans une série de 1 La Crise du roman, Corti, 1966. 2 Poétique, IV, 48. 3 Cette réversion au roman des schèmes extérieurs au corpus constitué (ou de genres ou de formes non substantiellement littéraire) est une caractéristique de l’évolution du genre au XXe siècle. Alexandre Gefen restrictions de champ (« solipsisme proustien4 », récits croisés, description progressive, narration perspectiviste, etc.) dont le terme ultime est l’invention du monologue intérieur, fermeture d’un point de vue sur sa propre insularité et tentation de saisir à sa source la conscience. La présence du motif de l’enfance est indéniable dès les origines de ce double mouvement. D’une part l’invention (ou l’introduction en France) du récit polyphonique (ou kaléidoscopique) se fait par la médiation de narrateurs enfantins, puisque la forme apparaît pour la première fois dans La Croisade des Enfants de M. Schwob (1895), récit où l’auteur des Vies imaginaires prête voix aux enfants acteurs de ce drame médiéval, qui relateront chacun avec leur maladresse une microscopique partie de la Grande Histoire, à une époque où les œuvres de J. Vallès et J. Renard témoignent que la fonction de critique sociale que l’on découvre à l’enfant a pour corrélat une profonde remise en question de l’unicité des représentations du monde. La magnification égocentrique de la narration à la première personne à laquelle procède Proust pour refonder le roman est, d’autre part, indissociable d’une enquête sans équivalent dans l’histoire de la littérature sur l’enfance du narrateur (si le mouvement proustien est plus rétrospectif que prospectif, tout se passe dans À la Recherche du temps perdu comme si le seul fondement possible du point de vue était le retour à son moment de constitution dans l’histoire personnelle, et comme si l’ampleur de la cathédrale proustienne était rendue permise par la profondeur de ses fondations). Le monologue intérieur qui accomplit à partir des années 1920 cette quête d’une expression originelle, vient au demeurant chercher une partie de sa légitimité psychologique dans la généalogie de l’individu. Comme l’a montré récemment L. Jenny, le monologue intérieur est moins un mode énonciatif qu’un genre de récit « marqué par le non-enchâssement de l’instance de première personne, la présentation immédiate de ses pensées au présent et la continuité de son discours silencieux »5, c’est-à-dire la quête d’un discours premier, qui serait, si ce n’est une image de l’intériorité (thèse contestée par L. Jenny), du moins une l’écho de la porosité phénoménologique de la conscience au monde. Ce monologue partage avec la représentation enfantine la confusion du signe et de la chose, de l’externe et de l’interne (en termes psychanalytiques, dans son narcissisme, l’enfant est le monde), la confusion de la matière et de la pensée. Un tel rapprochement trouve sa source dans les analyse du psychologue russe L. Vygotski sur « le langage égocentrique » de l’enfance (c’est-à- dire antérieur à la parole socialisée), comme le rappelle D. Cohn, qui attribue dans La Transparence intérieure à cette analogie le statut d’hypothèse théorique forte : Les concordances entre les découvertes de Vygostky et le monologue joycien concernent la seconde des transformations essentielles que ce monologue fait subir au modèle de la conversation ; sa tendance à l’opacité lexicale. Vygostky observe que l’appauvrissement de la syntaxe dans le langage égocentrique des enfants est contrebalancé par un enrichissement sémantique d’une coloration spécifique à chaque mot. 6 Si D. Cohn admet que Joyce n’a pu lire L. Vygosky, et si les Enfantines (1918) sont antérieures à la découverte par Larbaud de Joyce et Dujardin (Amants heureux amants est de 1923) il n’en demeure pas moins que les récits de Larbaud se veulent une représentation au plus près de la vie psychique et exemplifient remarquablement cet usage de l’enfance comme forme de recherche de l’antécédent, d’une transparence intérieure par une transparence antérieure. Prenons en comme exemple la merveilleuse « Heure avec la figure » des Enfantines de V. Larbaud, qui dépeint les divagations intérieure d’un jeune garçon attendant son professeur de piano et persuadé de déchiffrer une « figure » dans les veines du marbre : En attendant Figure, viens t’asseoir dans mon petit canot – on a sonné ! La porte va s’ouvrir , et M Marcatte et le solfège entreront avec leur odeur de tabac et leurs mains vieilles, et leurs ongles épais, 4 L’expression est de M. Raimond (La Crise du roman, op. cit. p. 345). 5 La Fin de l’intériorité, Paris, PUF, coll. « Perspectives littéraires », 2002, p. 42. C’est L. Jenny qui souligne. 6 La Transparence intérieure, Seuil, 1981, p. 118. M. Robert parle quant à elle de « rareté » sémantique. recourbés et brunis par les cigarettes. Toutes les petites pensées se cachent, et le canot manque de chavirer, et la Figure se confond avec les veines du marbre.7 La conscience enfantine semble saisie dans son organisation même, conquête d’autonomie faite d’un va et vient entre le flux des sensations, les constructions abstraites de l’affabulation et le mouvement projectif de l’imagination temporelle. La descente dans la conscience enfantine permet donc uploads/Litterature/ c-est-avec-l-histoire-que-les-enfants-j.pdf

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