CHRISTIANISME ET JUDAÏSME, OU LES DESTINS DE L'ALLIANCE Philippe Capelle Presse

CHRISTIANISME ET JUDAÏSME, OU LES DESTINS DE L'ALLIANCE Philippe Capelle Presses Universitaires de France | « Cités » 2008/2 n° 34 | pages 53 à 61 ISSN 1299-5495 ISBN 9782130568636 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-cites-2008-2-page-53.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- !Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Philippe Capelle, « Christianisme et judaïsme, ou les destins de l'alliance », Cités 2008/2 (n° 34), p. 53-61. DOI 10.3917/cite.034.0053 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 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Volens nolens, toute considération sur l’histoire « judéo-chrétienne » ou sur la notion de « judéo-christianisme », doit passer aussi par la question du sens de cet énoncé et donc assumer ses conditions minimales d’interprétation i.e. l’identité juive et chrétienne de son énonciateur (saint Jean) et son domicile littéraire (la textualité chrétienne canonique). Sa charge suscite classiquement deux sentiments opposés : l’orgueil et la jalousie, orgueil d’être juif, jalousie de ne point l’être. Le Chrétien peine à surmonter sa résistance et le Juif sa suspicion. La seule vertu des deux vices sera de renvoyer à la chose qu’il faut aborder centralement : le salut vient des Juifs, scandale pour les religions, folie pour les athéismes. Autre chose donc, doit advenir pour sortir du cercle infernal, un quelque chose que le Juif et le Chrétien doivent (re)conquérir ou, mieux, recevoir, à l’écart de toute tenta- tion inspirée par les mille logiques puristes de l’histoire. Léon Bloy fit sensation lorsqu’il énonça cette abyssale évidence : le sang du Christ répandu au titre de l’alliance entre Dieu et les hommes, était celui d’un homme juif. Nous partons en effet de cette donnée selon laquelle l’intelli- gence du lien historique et ontologique entre christianisme et judaïsme s’entend et s’exerce essentiellement dans le cadre conceptuel de l’alliance. 53 Christianisme et judaïsme, ou les destins de l’alliance P. Capelle Cités 34, Paris, PUF, 2008 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Descartes - Paris 5 - - 193.51.85.60 - 22/03/2016 20h44. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Descartes - Paris 5 - - 193.51.85.60 - 22/03/2016 20h44. © Presses Universitaires de France I Le dernier tiers du XXe siècle aura célébré de belles retrouvailles. Elles ont été rendues possibles, côté chrétien, en vertu d’inspirations théologiques et mystiques majeures dont certains premiers auteurs sont aujourd’hui (presque) tombés dans l’oubli : Charles Péguy le dreyfusard1, Léon Bloy l’intempestif et l’excessif, Paul Claudel le poète sans concession, Jacques Maritain philosophe courageux2, si attentif à la distinction entre la question politique et la question religieuse, Charles Journet, le théologien cardinal influencé par Maritain. Bref, ceux des meilleurs intellectuels chrétiens de la période 1910-1970. Grâce à eux, avant, pendant et surtout après la « Shoah », maintes étapes décisives furent franchies. Ainsi, l’ « Association les Amis d’Israël » – cofondée en 1926 par Franceska Van Leer, juive « convertie » et deux prêtres hollandais, généreuse et audacieuse, parfois ambiguë, soucieuse de prôner le retour des Juifs à la foi messianique du christianisme – donna les premières stimulations d’une réévaluation globale de la question. Mais c’est la « Conférence d’Oxford » (1946) qui dessina le premier cadre des rapprochements ; elle aboutît à une déclaration remarquée ( « Postulats fondamentaux du judaïsme et du christianisme, rela- tifs à l’ordre social » ) et à la mise en œuvre de deux initiatives majeures : l’une visait à ressaisir systématiquement le problème de l’antisémitisme en Europe, l’autre constituait un comité chargé de créer un « Conseil interna- tional de Chrétiens et de Juifs ». C’est ainsi qu’un an plus tard, la « Confé- rence de Seelisberg », réunissant des personnalités juives et chrétiennes de premier plan, telles Jules Isaac, le Grand rabbin Kaplan, un certain abbé Charles Journet et le P. Calliste Lopinot, forma dix commandements, 54 Dossier : L’héritage judéo-chrétien, mythe ou réalité ? 1. « Je connais bien ce peuple. Il n’a pas sur la peau un seul point qui ne soit pas douloureux, où il n’y ait un ancien bleu, une ancienne confusion, une douleur sourde, la mémoire d’une douleur sourde, une cicatrice, une meurtrissure. » Ou encore ces lignes étonnantes : « Pauvre, je porterai témoignage pour les Juifs pauvres. Dans la commune pauvreté, dans la misère commune, pendant vingt ans, je les ai trouvés d’une sûreté, d’un attachement, d’un mystique, d’une piété dans l’amitié inébranlable. » 2. « Plus la question juive devient politiquement aiguë, plus il est nécessaire que la manière dont nous traitons cette question soit proportionnée au drame divin qu’elle évoque ; il est incom- préhensible que des écrivains catholiques parlent sur le même ton que Voltaire de la race juive et de l’Ancien Testament, d’Abraham et de Moïse » (« À propos de la “question juive” », in La vie spiri- tuelle, 11, juillet 1921). Ou encore, en réponse, au propos antisémites de M. de Corte : « Le germe morbide de tout racisme est précisément l’idée qu’une race porte dans sa nature un “germe secrète- ment méprisable”. Les Docteurs de l’Antiquité chrétienne n’avaient pas de ces imaginations » (« Le mystère d’Israël », in La question d’Israël, no 69, juillet 1939). Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Descartes - Paris 5 - - 193.51.85.60 - 22/03/2016 20h44. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Descartes - Paris 5 - - 193.51.85.60 - 22/03/2016 20h44. © Presses Universitaires de France appelés « Les dix points de Seelisberg », sur la base des 18 propositions de Jules Isaac ; leur impact dans l’élaboration du fameux § 4 du décret Nostra Aetate de Vatican II (1967), est connu. Non moins, ce décret aura été le fruit d’actes de haute portée symbo- lique, tel l’ordre d’abolition donné par Jean XXIII en 1959, du pèlerinage de Deggendorff (Bavière) qui célébrait annuellement le massacre des Juifs « profanateurs de l’Hostie », ou, la même année et par le même pape, la suppression de la formule de prière : « Que son sang retombe sur nous », sujette à des mésinterprétations abusives dans maints missels chrétiens, ou ceci, radical : l’abandon dans le rituel de conversion au catholicisme de l’impératif : « Abhorre l’incroyance juive. » Porté par des décisions aussi fortes, surmontant les obstacles de quel- ques prélats latins et orientaux, soumis à des phases rédactionnelles complexes, ledit décret a indéniablement ouvert une ère nouvelle du dialogue interreligieux et, d’une façon tout à fait particulière, judéo-chré- tien. Deux schèmes théologiques fondamentaux le traversent : a) l’un adopte une clé herméneutique forgée lors de la toute première époque patristique, celle du « Logos Spermatikos (Verbe ensemençant) » qui ouvre à la reconnaissance positive des vérités partielles, enfouies ou visibles, semées dans les sagesses et les croyances de l’humanité ; b) l’autre structure spécialement le texte sur la « religion juive », rendant celui-ci parfaitement irréductible aux autres : il fait immédiatement valoir la filiation spirituelle du Chrétien à l’égard du Juif, se réappropriant du même coup la méta- phore de l’apôtre Paul sur le binôme « olivier sauvage (païen) » / « olivier franc (juif) » et assumant le caractère « irrévocable » des promesses faites par Dieu au peuple juif. En somme, le principe fondateur de l’existence juive i.e. l’alliance, était attesté, répété, mieux : confessé comme part inté- grante de la conviction chrétienne. L’essentiel était dit. Qu’il y ait eu un antisémitisme dans l’histoire du christianisme, qu’il y ait un antisémitisme de Chrétiens, qu’il y ait eu des structures théologiques favorisant l’antisé- mitisme, cela n’autorise donc pas à parler d’un antisémitisme « chrétien ». De fait, les principaux motifs de discorde de nature religieuse furent levés. On relève l’abandon de formules malheureuses, au mieux ambiva- lentes, telle « Pro perfidis ludeis » même si, comme l’affirmaient certains de uploads/Litterature/ capelle.pdf

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