DEUIL FINI ET DEUIL SANS FIN. A PROPOS DES EFFETS DE L’INTERPRÉTATION Daniel Wi
DEUIL FINI ET DEUIL SANS FIN. A PROPOS DES EFFETS DE L’INTERPRÉTATION Daniel Widlöcher in Nadine Amar et al., Le deuil Presses Universitaires de France | « Monographies de psychanalyse » 1998 | pages 151 à 162 ISBN 9782130463665 DOI 10.3917/puf.hanus.1998.01.0151 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/le-deuil---page-151.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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La souffrance, certes, mais plus précisément ici celle que fait naître l'annonce de la perte soudaine et que va distiller le lent travail de deuil. L'écart entre l'évidence immédiate du malheur et la lente habi- tuation à sa réalité constitue en effet une énigme de nature psychologique. Or cet écart, tel que Proust nous le fait découvrir dans le travail de deuil, c'est aussi lui que le psychanalyste connaît dans sa pratique quotidienne, entre la compréhen- sion immédiate du sens de l'interprétation et le travail de perlaboration qui lui fait suite. C'est en effet d'observation courante que les effets structuraux du travail interprétatif prennent du temps, alors même que l'interprétation elle-même a été entendue. On sait toute la complexité des processus engagés, les déterminations multiples des symptômes et des conduites symptomatiques, le rôle des résis- tances et de la compulsion de répétition. Mais, indépendamment de ces multi- ples facteurs, le terme même de perlaboration ( Durcharbeitung) a été utilisé par Freud pour rendre compte de ce temps nécessaire. Les problèmes techniques que ce dernier soulève sont d'ailleurs clairement repérables en pratique. Dans quelle mesure faut-il répéter une interprétation, déjà donnée et apparemment saisie, lorsque le matériel clinique en montre à nouveau la légitimité ? A trop le faire, on court le risque de paraître céder à un souci de persuasion, voire d'endoctrine- ment. A ne pas le faire, on s'expose à celui de laisser s'organiser une structure cli- vée et, dans la relation thérapeutique, un malentendu entre ce que chacun sait 1. M. Proust, A la recherche du temps perdu, t. III, Paris, Gallimard,« Bibliothèque de la Pléiade», 1954. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/01/2022 sur www.cairn.info via Université de Paris (IP: 195.220.128.226) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/01/2022 sur www.cairn.info via Université de Paris (IP: 195.220.128.226) 152 Daniel Widlocher ou croit savoir du travail interprétatif accompli en commun. Cette difficulté avait suffisamment attiré l'attention de Freud pour qu'il en reprenne l'examen dans « Analyse avec fm et analyse sans fm »1• Le fait de savoir n'entraîne pas nécessairement le changement attendu. L'éducation « sexuelle » des enfants nous en offre un exemple : « Longtemps encore, après avoir reçu les éclaircisse- ments sexuels, ils se conduisent comme les primitifs auxquels on a imposé le christianisme et qui continuent, en secret, à adorer leurs vieilles idoles » (1985, 249). Freud évoque la« viscosité de la libido », cette incapacité à« se résoudre à se détacher d'un objet et à déplacer sur un nouvel objet des investissements de la libido ... » (op. cit., 257). Comme on parle de la force de l'habitude chez les personnes très âgées, il faut ici parler d'une sorte d'entropie psychique, de « résistances provenant du ça ». Autant de raisons qui plaident en faveur du caractère nécessairement limité des attentes que l'on peut avoir de la fm d'une psychanalyse et des réserves que l'on doit faire au regard de l'espoir de raccour- cir les cures. Le temps du deuil Le travail de deuil nécessite du temps. C'est là une constatation triviale et la psychologie du sens commun a depuis longtemps découvert cette loi. On aurait tort pour autant de ne pas s'interroger sur les mécanismes qui expliquent cette évidence. Dans« Deuil et mélancolie» (1915 b,), Freud en recherche la nature en référence à la communauté qu'il établit entre le travail de deuil et la pensée répétitive de la dépression. Il nous offre d'ailleurs deux ordres d'explication, les unes de nature dynamique, les autres de nature économique. L'explication dynamique rejoint d'ailleurs les évidences du sens commun : « ... l'examen de réalité a montré que l'objet aimé n'existe plus, et édicte dès lors l'exigence de retirer toute libido de ses connexions avec cet objet. Là contre s'élève une rébellion compréhensible, on peut observer d'une façon générale que l'homme n'abandonne pas volontiers une position libidinale, pas même alors qu'un substitut lui fait déjà signe » (Freud, 1915 b,). Il s'agit donc bien d'un conflit de représentations entre un jugement de réalité et des formations de pen- sée antérieures qui se rapportent au même objet d'amour. C'est là sans doute l'explication du sens commun, mais ce n'est pas la seule occasion où Freud nous rappelle tout l'intérêt de cette sagesse des nations quand il s'agit de l'appliquer à des formations de l'inconscient et à la pathologie. Mais qu'a-t-on réellement expliqué ? Car comment les attachements résis- 1. S. Freud, Analyse avec fm et analyse sans fm, in Résultats, idées, problèmes, Il, Paris, PUF, 1985. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/01/2022 sur www.cairn.info via Université de Paris (IP: 195.220.128.226) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/01/2022 sur www.cairn.info via Université de Paris (IP: 195.220.128.226) Deuil fmi et deuil sans fin 153 tent-ils en dépit de l'évidence du réel ? L'explication économique qu'il propose peu après semble mieux répondre à la question : « Le complexe mélancolique se comporte comme une blessure ouverte, attire de tous côtés vers lui des énergies d'investissement (que nous avons nommées dans les névroses de transfert "contre-investissements") et vide le moi jusqu'à l'appauvrissement total... » (op. cit., 272). Economique, cette explication l'est bien, d'autant qu'elle ne se contente pas de se référer au simple point de vue de la quantité, mais qu'elle prend en compte l'hypothèse d'une énergie spécifique. Hypothèse ou méta- phore? Nous ne reprendrons pas ici le débat. Essayons du moins de faire une lecture clinique de cette explication. L'énergie libidinale ne peut être contenue. La perte de l'objet n'assure plus cette fonction de saturer l'énergie libre. De ce fait, celle-ci risque de s'écouler à vide. Le moi s'efforce de contenir cette « fuite » ou cette « hémorragie » de la libido en mobilisant des énergies qui viennent «obturer» en quelque sorte cette fuite par des« contre-investissements ». Tout se passe comme si, tant que la blessure demeure ouverte, c'est-à-dire tant que la libido se dirige vers un objet qui n'existe plus, ces contre-investissements doivent parer au plus pressé dans une tâche coûteuse pour le moi et qui le prive des éner- gies nécessaires pour d'autres investissements. Laissons donc de côté la question de la nature de cette énergie et le principe des sources somatiques de la libido. Remarquons toutefois que rien n'est venu, depuis un siècle, conforter l'hypothèse de l'origine somatique de la libido et que, bien au contraire, de nombreux travaux ont montré que le principe des schèmes d'action, stockés en mémoire et aptes à se réaliser lorsque des situations-cibles se présentent, paraît approprié pour rendre compte de la vie pulsionnelle (Bowlbyl, 1984; Zazzo2, 1974). Si cette thèse rencontre une forte résistance chez les psy- chanalystes, c'est qu'elle semble difficilement compatible avec le principe de représentations inconscientes. C'est précisément cette incompatibilité que nous contestons. Dans le cas particulier, il nous faut discuter la valeur heuristique de l'explication économique pour rendre compte de cette viscosité de la libido ob- servable dans le deuil (et dans le travail interprétatif). Que penser de cette idée d'une fuite de l'énergie libidinale, d'une blessure créée par la perte« réelle» de l'objet? Admettons que chaque fois que le désir renait, une représentation d'un lien avec l'objet s'actualise. L'objet est bien pré- sent, en imagination, dans la scène qui exprime le désir. La représentation (Vorstellung) de la scène a donc bien pour fonction de tenir lieu ( Repréisentanz) de la pulsion. Or, le jugement de réalité est incompatible avec cette représenta- tion. Sa fonction d'expression ( Repréisentanz) de la pulsion ne peut plus s'exer- 1. J. Bowlby, Attachement et perte, uploads/Litterature/ puf-hanus-1998-01-0151.pdf
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- Publié le Mar 13, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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