CARNETS DU DEHORS Dialogues avec des objets naturels CARNETS DU DEHORS Dialogue

CARNETS DU DEHORS Dialogues avec des objets naturels CARNETS DU DEHORS Dialogues avec des objets naturels Justine Andrieu sous la direction de Cédric de Veigy ENSCI les Ateliers 2011 SOMMAIRE L’Enfant Sauvage Introduction, où la question des conditions actuelles d’un dialogue avec le dehors est posée Le Renard Parle • LA PLAINE, où une interface empirique permettant le dialogue avec la nature est analysée Les Habitants Muets • LES JARDINS, où l’histoire d’un espace de monologue avec la nature est racontée Vous Fleurissez, Nous Rougissons • UN BOUQUET, où les liaisons organiques entre l’homme et la nature sont exposées La Main Verte • DU BALCON, où des pratiques favorisant le dialogue entre la nature et la ville sont observées Le Temps de Demain Conclusion, où il est proposé l’hypothèse d’un dialogue retrouvé entre le dehors et le dedans Annexes, où des graines d’idées, un terrain fertile et des nutriments sont mis à disposition du lecteur pour explorer à son tour sa relation au dehors Miscellanées du dehors Inventaires parisiens Lexique Bibliographie Remerciements 9 - 11 13 - 18 21 - 25 39 - 42 63 - 65 77 - 83 101 - 104 27 - 36 45 - 60 67 - 75 85 - 99 107 - 111 115 - 122 113 - 153 123 - 144 145 - 147 148 - 153 155 1 2 3 4 L’enfant sauvage INTRODUCTION où la question des conditions actuelles d’un dialogue avec le dehors est posée 8 - 9 L’enfant sauvage Amrad me parle. Comme s’il s’adressait avant tout à lui-même, ses mots rebondissent et lui donnent contenance. Il s’est assis sur les marches. Il rompt une feuille d’Aloe Vera que je presse sur mes pieds brûlés par le frottement de mes sandales. Son corps et l’ile Tioman ne font qu’un. Il est chez lui dedans comme dehors. Ce matin, en appui sur ses pieds, ses bras enlaçant le tronc, il est allé cueillir une noix de coco au sommet d’un palmier. Je le regarde, il est agile. Il m’explique qu’Allah guide son esprit, que sans Allah, il serait trop libre. Il serait égoïste. Sa croyance est son garde-fou, les lois du Coran lui permettent, paradoxalement, d’échapper à la tradition. Grâce à l’Islam seulement, il se permet d’être l’enfant sauvage. Sur la photographie, je suis assise avec ma cousine dans l’ornière d’un chemin du Finistère Nord. Comme s’il s’agissait d’un MisterFrizz, nous aspirons le jus sucré des fleurs en boules violettes qui apparais­ sent là-bas à la fin de l’été. La colline qui surplombe la baie était notre fief ; nous connaissions les buissons de mûres toujours garnis, les rares chemins secs, les coins abrités du vent et les endroits où manger une tar­ tine de confiture sans attirer les guêpes. Dans un creux de la digue, nous avions découvert une grotte où nous nous retrouvions chaque année. Assez menues pour nous glisser dans le vide laissé par l’empilement des blocs de granit, nous étions les seules à avoir accès à La Salle. Deux rochers creusés par la mer faisaient office de chaises longues. Sous les algues séchées, nous en­ treposions nos galets favoris, des coquillages, quelques fleurs violettes en réserve, une brioche pour le goûter et des feutres. Là-bas, nous adoptions un ton de voix particulier. Cette sonorité appartenait au lieu. Nous incarnions des personnages. Nous adorions, à propre­ ment parler, ces rochers. 12 - 13 Pendant l’année scolaire, j’avais inventé une histoire dont les éléments clefs se cachaient entre mon école et le square que nous fréquentions avec Luce et Nour. J’avais élaboré un scénario à partir des signes que nous avions pu trouver sur notre parcours quoti­ dien. ABUIRL était un homme dangereux dont nous seules, par le hasard de notre géographie, avions dé­ tecté la présence et l’identité. Nous avions déchiffré son prénom en interprétant des phénomènes étranges dans un A-rbre auquel était accroché un sac plastique et dans un BUI-sson curieusement troué en son centre, puis dans un R-éverbère éteint sur le chemin du retour de l’école et enfin dans le L-ierre tacheté qui enlaçait le portail de l’école. Pour palier à l’ennui et à la répétition de la routine école-square-école, nous augmentions le réel par des histoires. Plutôt que d’aller éprouver mon corps dans les jeux, plutôt que de tester mes limites, de tomber, d’aller le plus haut possible sur la balançoire, je mettais à épreuve mon environnement. Les éléments qui m’en­ touraient ont toujours été pour moi un outil, un moyen, une matière. Ce qui était déjà là devenait le support, par collage, par extrapolation, d’une fiction. J’imagi­ nais des histoires terribles, tragiques et cathartiques. Aujourd’hui encore, quand je suis à court d’idées, je feuillette un catalogue, je vais voir une exposition, je me perds entre les rayons du BHV. Mes idées naissent dehors, dans les interstices, dans les projections que je fais sur les éléments que je croise, sur les situations dans lesquelles je me trouve. J’interagis en inventant des dialogues avec elles, en les détournant, en les rê­ vant différentes, meilleures. Je n’aimais pas peindre. Je dessinais avec la peur de voir surgir sur le papier blanc la preuve défi­ nitive, ineffaçable, de ma présence maladroite, de mon incapacité à faire une avec le moi du dehors. En gran­ dissant pourtant, j’ai aimé les cours de nu où j’ai appris à faire confiance à mon corps pour prendre les devants, pour animer la feuille. Regarder avec les mains, accep­ ter d’ignorer, aller au-devant de ce que je ne sais pas. Cette découverte de la translation du moi-du-dedans au moi-du-dehors me permet d’avoir une meilleure conscience de ma manière d’être au monde. Dès lors, je cherche les conditions qui permettent d’être en adé­ quation avec le dehors, les situations ainsi que les mé­ dias qui favorisent un échange entre intérieur et exté­ rieur. La nature que je fréquente pendant mes gran­ des vacances m’apparaît comme un milieu particuliè­ rement propice à l’interaction entre mon imaginaire, mon corps et le réel. Comme les romantiques, enfant, je vois dans la nature le miroir de mes sentiments, et les collines comme la preuve de l’infinité des possibles. Il me semble pourtant que cette relation itérative et projective est liée à l’enfance et j’ai du mal à la retrou­ ver depuis. Même lorsque que je quitte la ville et me confronte à des espaces végétaux que je ne connais pas, en Afrique, en Pologne, puis à Paris voire chez moi, je me trouve souvent démunie. Les expériences de mon enfance demandaient du temps, de l’ennui, de l’espace à l’imaginaire. Le dessin demande lui aussi une forme d’attention et un certain laisser-aller. Aujourd’hui, j’ai du mal à être simplement là où je suis et il me semble que pour retrouver une rela­ tion fluide avec le dehors, il me faut des intermédiaires. Je regarde alors autour de moi pour savoir qui d’autre a besoin d’objectiver sa relation au réel. Qui a eu aussi besoin de construire des lieux comme la grotte de la di­ 14 - 15 gue, des objets ou des histoires comme celle d’Abuirl? Dans mes voyages ou mes escapades en dehors de la ville, je cherche de lieu en lieu des situations où des in­ termédiaires favorisent l’expérience du dehors. Quels sont les intermédaires? Comment fonctionnent-ils? Quelle type d’expérience rendent-ils possible? Et en­ fin, quelles en sont les conséquences pour moi et l’envi­ ronnemement en question? Je me pose la question de savoir comment, aujourd’hui, objectiver un rapport au monde pour le comprendre sans le détruire ou l’altérer définitivement. Trouver un dehors où écrire mon mémoire. Où pensez-vous, où écrivez-vous, où lisez-vous, ai-je envie de demander. Moi, j’enfourche mon vélo et j’échappe à ma routine. Le Jardin des Plantes m’arrête, je m’ins­ talle sur un banc. Il y a ici un café où je ne reconnais personne et étale mes papiers. Je m’accroupis derrière un rayon de bibliothèque et me plonge dans une image. Au milieu de la nuit, chez les L., je regarde un film de Tarkovski. Je me perds dans la ville. En bus, puis en bateau. Je marche, je nage. On dirait que je pars mais pourtant c’est l’inverse. J’écris, je trouve et je cherche. Je sors. Moi qui aime tant les situations, les signes et les histoires, pour suivre le chemin de ma pensée, j’ai besoin d’un environnement sans référence. Délestée, desaturée, en terrain étranger, je me concentre. La démarche de ce mémoire se situe parfois dedans, parfois dehors, ici et là-bas, et explore à tra­ vers des actes du quotidien, certaines des conditions de l’accord frontalier qui lient nature et culture. Des textes spontanés - écrits dedans mais ressentis dehors - et des textes réflexifs - basés sur des idées glanées de­ hors en lien avec mon ressenti intérieur - permettent de voyager à l’interface des deux milieux en question. L’idée du dehors que j’explore à travers ce mémoire, mêle paysage et nature, ville et campagne, elle représente pour moi ce milieu vivant extérieur à l’homme mais en même temps nécessairement uploads/Litterature/ carnets-du-dehors-dialogues-avec-des-objets-naturels-pdf.pdf

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