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Un entrefilet, trop rapide, mais pourtant assez net, donné ici, l'année dernière, au moment où se répandit ce singulier engouement, me valut une foule de protestations ; ces paroles avaient troublé d'honnêtes consciences et je crois que les cercles de deux ou trois petites villes me mirent un peu à l'index. Plusieurs amis que j'ai m'écrivirent leur affliction. Cette unanimité dans l'admiration des Trophées ne sera pas la moindre honte du goût contemporain. Quelle pitié qu'il soit besoin de dire (et même de crier un peu) que les vers que voici sont bons à mettre au cabinet ! Il pleuvait. Les soldats, devenus frénétiques Par le harcèlement venimeux des moustiques Qui noircissaient le ciel de bourdonnants essaims, Foulaient avec horreur dans ces bas-fonds malsains Des reptiles nouveaux et d'étranges insectes 2… Et pourquoi faut-il que ces infamies aient plu à Michel Salomon 3 ? Un ami de Barbey trouva, un jour, le grand critique vêtu de rouge et brandissant un poignard japonais en guise de coupe- papier : « Vous me voyez en bourreau pour la femme Sand », criait l'ennemi des bas-bleus. Il faudrait se mettre en bourreau pour parler équitablement de ces rhapsodies. Et notez, je vous prie, qu'il y en a peu de meilleures par tout le tome des Trophées ! Je ne sais pourquoi la critique a fait grise mine à ce poème des Conquérants de l'or, d'où sont tirés les cinq vers qu'on vient de lire, quand elle applaudissait amoureusement tout le reste. Je veux bien que le reste soit plus haut en couleur, plus retentissant et même, si l'on veut, d'un relief plus accusé. Les laideurs ne font qu'y gagner plus de saillie. L'art de José-Maria de Heredia offre ce caractère essentiel, de n'être jamais si condamnable ni si distant de la véritable beauté qu'aux endroits que les admirateurs marquent d'un caillou blanc. « Pour les sonnets, note justement Michel Salomon, il n'y a eu qu'un cri. » Et j'en dois convenir ; mais aussi ces sonnets sont les plus mauvais de la langue. On ne crie plus, on pâme devant certains sonnets. Tenez-les pour les pires. Antoine et Cléopâtre nous est donné pour le chef-d'œuvre des chefs-d'œuvre. Ce n'est que le chef- d'œuvre d'une méthode poétique non moins fausse que surannée. Tous les procédés s'y font voir rangés dans un bon ordre. Les résultats sont clairs aussi, puisqu'ils sont nuls ; sous le barbare éclat de la coloration, l'œil ne perçoit rien qu'un pittoresque heurté dont les effets s'entre-détruisent. Que penser notamment des tercets vantés : Tournant sa tête pâle entre ses cheveux bruns Vers celui qu'enivrait d'invincibles parfums, Elle tendit sa bouche et ses prunelles claires (Je ne souligne ni l'incroyable abus des épithètes, que je m'abstiendrai de nommer du vrai nom de chevilles, ni leur insupportable symétrie ; prenez seulement garde au poids odieux de la phrase, à l'inharmonieuse crudité des peintures et surtout à l'incohérence de tout le mouvement.) Et, sur elle courbé (!) l'ardent Imperator (!!) Vit dans ses larges yeux étoilés de points d'or Toute une mer immense où fuyaient des galères. # C'est Alceste en personne qu'il faudrait convier à lire ce sonnet d'Oronte. La chute assurément lui en eût paru amoureuse 4. Les voilà, dirait-il, ces yeux de Cléopâtre ! Tant de grands rois et de poètes n'ont donc aimé que ces kaléidoscopes bizarres, peints de points d'or, d'étoiles, de « toute une mer » et de plusieurs galères, romaines, par surcroît ! Il est vrai qu'ils sont « larges ». Subtile précaution ! L'auteur les pouvait élargir sans risquer d'y verser une larme, un regard, un trait de vivante lumière ! C'est que la vie est synthétique ; il n'y a ici qu'une succession de trois ou quatre images trop nettes, qui se remplacent sans se superposer ni se fondre, car elles ne sont ni homogènes ni harmoniques. Trait caractéristique de l'art parnassien ! Il vaut bien que l'on s'y arrête. Parce que Chateaubriand et les romantiques abusaient déjà de la permission de décrire, leurs successeurs se sont appliqués à ne fournir que des descriptions. Ils ont essayé d'être paysagistes et portraitistes. Ils ont même lavé l'aquarelle psychologique. Humble ambition, vœu médiocre, qu'ils n'ont même pas accomplis ! Les effets qu'ils ont obtenus, on en a vu plus haut le plus parfait échantillon. Leurs descriptions ne font rien voir. Michel Salomon me fera peut-être observer que l'auteur des Trophées sait nous montrer « un enlacement de fleurons », une « courbe d'aiguières », et qu'il peint « par les mots et les rythmes » « le poli d'une lame » ou « la torsion d'une poignée ». Mais l'indulgent critique est-il sûr de voir tout cela ? Et puis après ? Fragments qui ne s'unissent point et tendent au contraire à se subdiviser ! De sorte que non seulement le parfait Parnassien apparaît incapable d'embrasser et d'exprimer aucun objet ni aucun être en son entier, mais il est prisonnier des détails, des facettes les plus insignifiantes des choses et encore de l'analyse à laquelle il ne cesse de les soumettre. Tout se résout en taches, en membres de phrases pourprés on verdoyants, le plus souvent en mots d'une assez sauvage polychromie et animés d'un ronflement régulier et fort. Mais j'aurais horreur d'être ingrat. Je veux dire à José-Maria de Heredia quelle sorte de gratitude je lui ai. Je le remercie d'être né. Je le félicite d'avoir offert au monde un modèle si pur du tour d'esprit des malheureux poètes de sa génération. Cela lui donnera peut-être une gloire plus sérieuse que celle qu'on lui fait goûter aujourd'hui. Cent cinquante sonnets polis pendant trente ans et qui laissent voir du premier jusqu'au dernier une absurdité identique, le document sera de poids pour le philosophe et l'historien. Les sonnets de Stéphane Mallarmé, qui ont leur prix, ne valent pas ceux-ci pour les horizons psychologiques qu'ils nous découvrent. Toutes les habiletés du monde (« finesses savantes » ou « perfections techniques » dont s'émerveillait Michel Salomon) ne sauraient déguiser ici les symptômes flagrants du mal parnassien. Or, c'est le même mal qui sévit devant nous en morale et en politique, en philosophie sociale, cette impuissance à réduire les formes, les pensées, les visions, les rêves, à la loi d'aucune Unité. Comme, dans un organisme dont le ressort est affaibli, ce sont les derniers éléments nerveux qui déterminent le branle des rouages supérieurs de toute la machine, comme, dans une démagogie, ce sont les intérêts des simples citoyens qui l'emportent sur les intérêts de l’État, ici les rimes et les mots, et les mots de l'ordre inférieur (les épithètes) orientent la phrase, déterminent le vers. Et c'est ainsi, d'images fortuites et adventices, que découle le sens général du poème, lorsque le poème offre un sens. Observez que les Parnassiens ont essayé d'arrêter la déliquescence. Crainte de la licence, ils ont appauvri les ressources naturelles de la langue et de la poésie. Ils ont redoublé de contraintes extérieures. Ils ont établi en prosodie une sorte de mécanisme. Tout a été réglé et réglementé du dehors. Le moins possible d'inversions et peu d'enjambements. Point d'hiatus. Banville a écrit au chapitre des licences poétiques 5 : « Il n'y en a pas ». La rime a dû s'enrichir de plusieurs consonnes d'appui. Il y a eu les sonnets réguliers et irréguliers, suivant que les rimes des quatrains y étaient quadruplées ou non. Mêmes règles pour ce qu'on nomma « l'écriture » ; on n'osa plus parler d'un jardin agréable, d'une pluie fine ou d'un beau temps, ces différentes épithètes manquant de rareté. Peines ingénieuses et laborieuses législations ! Elles furent bien superflues. On ne guérit pas l'épilepsie avec des béquilles. Tant de soutiens, de contreforts, ne firent que donner à la poésie du Parnasse un air plus délabré et aux bons Parnassiens d'inutiles tourments. Leurs rêveries d'histoire, où je ne uploads/Litterature/ franceza 3 .pdf
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- Publié le Mar 23, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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