28 PAULRICGUR même de préfascisme exprime la projection sur les années trente d

28 PAULRICGUR même de préfascisme exprime la projection sur les années trente de la connaissance que nous avons d'événements rcssortissant au futur des hommes de cette époque. On ne savait pas en 1932 que Hitler serait l'homme de la Solution finale. C'est une faute de méthode d'employer en histoire Ie futur antérieur. Il faut rouvrir f incertitude du présent passé. La valeur thérapeutique de cette relecture du passé est considérable. En réveillant et en réanimant les promesses non tenues du passé, nous réarmons notre propre futur avec Ie futur entbui de ceux qui nous ont précédés. Au terme de cette analyse des échanges entre mémoire et histoire, que peut-on dire sur l'opposition entre vérité et fidélité ? Faut-il opposer le r,æu de vérité de l'histoire au væu de fidélité de 1a mémoire ? Ma suggestion serait de ne pas opposer ces deux vertus, qu'elles ne soient pas opposées l'une à l'autre, mais de les refor- muler en fonction de 1a dialectique qui vient d'être élaborée. Seule une histoire réduite à sa fonction rétrospective sâtisferait au seul impératif de vérité. Et seule une mémoire privée de la dimension critique de l'histoire satisferait, de son côté, au seul impératif de fidélité, comme y incline un usage non critique des traditions et des commémorations. Bref, uns mémoire soumise à l'épreuve critique de l'histoire ne peut plus viser à la fidélité sans être passée au crible de 1a vérité. Et une histoire replacée par la mémoire dans le mou- vement de la dialectique de ia rétrospection et du projet ne peut plus séparer la véiité de la fidélité, qui s'attache en dernière instance aux promesses non tenues du passé ; car c'est à l'égard de celles-ci que nous sofirmes primordialement endettés. Roger CHARTIER LA VÉRITE ENTRE, FICTION ET TTISTOTRE - Le titre proposé pour cette conférence était « Le statut de vérité lans ie récit d'histoire ». On pourrait 1e reformuier de deux façons, soit comme << 1e statut de la vérité dans le récit d'histoire », soit .-omme << le statut de vérité du récit d'histoire ». Ce petit écart n est pas sans signification. La première formrjle, « le stâtut de la '. érité dans 1e récit d'histoire », renvoie, en effet, à ce que je traiterai i Ia fin de l'exposé, à savoir. la refondation ou 1es tentatives de :efondation du régime de connaissance spécifique de l'histoire. La leuxième, « le statut de vérité du récit d'histoire >>, concerne, eile, .r contrat passé entre l'écriture de 1'histoire et le iecteur d'histoire auant à 1'accréditation du récit comme vrai, ce qui renvoie aux :arentés et aux différences existant enffe toutes les formes de - écriture narative, qu'elie soit d'histoire ou de fiction. Je suppose .tre cette double problématique est proche de celle qui vous est :amilière et qui s'interroge sur le statut de 1a vérité dans le cortl'at :assé entre le spectateur et le film et sur ies effets de réaiité produits :ar les différentes techniques de la repioduction des images. .\ujourd'hui, pour les historiens, la pertinence d'une interroga- :rcn sur les rapports entre histoire et ÿérité est directement liée à :-rn envers, c'est-à-dire à leur relation avec la fiction. I1 y a là p1u- .reurs éléments. Le premier tient au fait que les æuvies de fiction :rnt devenues objet d'histoire. À titre d'exemple, j'évoquerai mon ::opre domaine de travaii, qui pofte fondamentalement sur l'époque ' Ce texte est celui d'une conférence prononcée à l'lnstitut d'histoire dü t€ mps :::::nr Ie 21 mars 1996. Je Iui ai volontairement laissé sa fome ora1e. 30 ROGER CHARTIER modeme (entre XVI. et XVIIIe siècie), et sur les rapports à la culture écrite etlou imprimée. Mais je pense que mes remarques peuvent être appliquées à d'autres périodes et à d'autres supports, Dans tous les cas, à une lecture classique qui était une lecture fon- damentalement documentaire, c'est-à-dire où l'æuvre de fiction était abordée comme une réserve d'informations factuelles ou comme une provision d'exemples ou de citations illustrant un savoir construit avec d'autres séries et d'autres techniques, a succédé une perspective qui, selon le terme préféré du New Historicisn, s'attache à la « négociation » nouée entre la création esthétique et Ie monde social. La question essentielle est, donc. de comprendre comment chaque æuvre es! construite dans une relation avec des discours ou des pratiques ordinaires, qui ne relèvent pas du registre esthélique pour les contemporains et qui se déploient dans l'ordre du politique, dujudiciaire, du religieux, du rituel, etc. La « négociation >> a une double signification. D'un côté, l'æuvre de fiction travaille sur des matériaux et des matrices qui lui viennent du monde social et qu'elle déplace, reformule, transfère dans un autre régime de discours et de pratiques. De l'autre côté, 1a négociation est ce qui rend intelligible 1'ceuvre pour ses lecteurs, ses auditeurs ou ses spectateurs. C'est à partir de 1'expérience des discours et des pratiques ordinaires, « sans qualités », pourrait-on dire, que peut être déchiffré le déplacement esthétique qui soustrait l'æuvre à 1'urgence de l'immédiat. C'est cette démarche que les critiques littéraires rassemblés sous la bannière dt New Historicism ont suivi dans leurs études du théâtre élisabéthain et, au premier chef, de Shakespeare, en identifiant comment les intrigues ou les scènes des pièces sont construites dans une relation forte, mais décalée avec les discours et les pratiques du quotidien et, d'autre part, en posant 1a question des différentes significations des mêmes pièces pour 1es publics du théâtre du Globe et de la Cour, qui, à la fois, partagent des expériences communes et réagissent en fonction de leur culture propre. J'ai. pour ma pârt, entrepris un travail para1lèle, sinon semblable, sur Molière. Un article est paru dans les Annales,lly a deux ans. mais ce nest qu'un élément d'un travail plus large qui consiste à lier deux éléments 1. D'une part, il s'agit de reconstruire 1es différentes « performances >r, pour reprendre un terme qui est difficile à traduire, disons les différents modes de représentation des 1. " George Dândin ou le social en représentation »,, Annales HSS, mars-avril 1994. p. 21 ,a -309. La vérité entre liction et histoire ;:rêmes pièces. Pour beaucoup des comédies de Molière. existent âu ::toins trois situations de représentation : la représentation dans la :.rte de cour à Versailles, 1a représentation sur la scène du théâtre du Paiais-Royal. dans le monde du théâtre urbain qui a ses lieux, son :alendrier. son public mêlé, et la représentation dans f imprimé 1ui- nême, c'est-à-dire 1a communication du texte à travers différentes .ones d'imprimés. 11 y a donc trois situations différentes de rappott --Lu même << texte >>. Le problème est justement de savoir si cette ;iversité des conditions de ia circulation, de 1a dissémination, de la ;ommunication du texte autorise à parler du « même >> texte, nême si rien ne change dans sa lettre. De ce point de vue, entre Shakespeare et Molière la trajectoire est inverse. Dans le cas Ce \lolière, pour nombre de pièces. à partir du moment où sa troupe :'st reconnue comme tloupe du roi. ce sont les représentalions des :rèces à la cour qui sont premières, données avânt leur présentation .ur ia scène du théâtle parisien. Dans le cas de Shakespeare, au .orltraire, 1es représentations à Londres, au Globe, viennent avant .:s représentations à ia cour de Jacques I". Mais dans les deux cas le même >> texte est donné pour des publics différents dans des lormes différentes. * Pourquoi cette reconstruction ? De façon à comprendre les :elations nouées entr-e les intrigues mises sur 1e théâtre, leurs per- ::ptions possibles par leuls différents publics et Ie statut du iiscours tenu sur le monde social. De 1à, la question de la vérité de .a fiction. Quel est le lieu où s'inscrit la « vérité » du rappofi enlre ,3 texte de fiction - par exemple dans les grandes comédies :noliéresques - et la construction du monde social ? C'est un :roblème dont on peut, je pense, trouver des équivalents pour i'autres formes théâtrales, ou pour d'autres textes, pour d'autres :eriodes, et y compris pour le cinéma. Où situer 1a vérité de . rntrigue pâr rappoft au monde social ? Il faut opérer à chaque fois ::r écart, c'est-à-dire ne pas comprendre cette « vérité » comme on 'a souvent fait, comme la duplication du social, comme si ce qui :it donné à voir était une simpie ffaduction esthétique de la réalité. Pour en rester à George Dandin, une mise en scène comme la riemière réa1isée par Roger Planchon était tout à fait prise dans .efie pespective. Les paysans de fiction du théâtre reproduisaient 1es :estes des « vrais >> paysans de la campagne et, du coup, I'intrigue :.ait pensée dans un rapport de vérité immédiate par rapport aux ::-lations de classes du monde social. il me paraît nécessaire de déplacer 1e lieu de repérage de 1a i érité » de la fiction et de considérer què c'est à travers I'invrai- 3t i 1, I t I i u ul lll'.ii illbffit ffi 32 ROGER uploads/Litterature/ chartier-verite-entre-fiction-et-histoire-dans-de-l-x27-histoire-du-cine-ma-extraits1.pdf

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