Le classicisme “Si la France a manqué le temps du grand art baroque, elle seule
Le classicisme “Si la France a manqué le temps du grand art baroque, elle seule en revanche a possédé, au XVII-e siècle, un grand art classique où elle s’est reconnue, non sans quelques renoncements ou sacrifices (la poésie lyrique a payé le plus haut prix).” Marcel Raymond L’adjectif classique était l’épithète que l’on attachait à une œuvre, à un auteur destiné(e) à être étudié(e) en classe (Ennodius, VI-e siècle), à un modèle du genre; il s’agissait en fait d’une étymologie populaire qui est présente aussi dans le dictionnaire de Furetière et dans l’Encyclopédie française. Aule- Gelle avait emprunté le terme au fisc : classicus désignait le membre de la première des cinq classes de contribuables1. C’est ce même sens de modèle, de parangon, que reprend Thomas Sébillet dans son Art poétique, 1548, lorsqu’il juge Alain Chartier et Jean de Meun comme de “bons et classiques poètes français”. Une connotation péjorative, qui se prolonge jusqu’à nos jours, se rencontrait déjà au XVII-e siècle: classique pouvait aussi désigner ce qui était propre au pédant. Le classicisme (le terme apparaît au XIX-e siècle) est un concept qui se forge lentement, au fil des siècles: lors du XVIII-e siècle, admirateur inconditionnel du XVII-e, pour lequel le XVII-e siècle était le Grand Siècle qui a produit des œuvres inimitables, qu’il fallait prendre pour modèle (Racine et Molière) et qui entreprend de publier tout cet héritage culturel (Voltaire, Le Siècle de Louis XIV), mais aussi lors du XIX-e siècle, surtout pendant sa première moitié. Même si les institutions littéraires continuent de célébrer la gloire du classicisme, le terme devient peu à peu synonyme de sclérose, d’académisme, et le classique synonyme de conservateur, sinon de réactionnaire. La nouvelle critique est responsable de la dernière vision sur le classicisme: ces nouvelles études (Ch. Mauron, Racine, 1961; L. Goldmann, Le Dieu caché, 1956; S. Doubrovsky, Corneille et la dialectique du héros, 1963; R. Barthes, Sur Racine, 1963) ne diminuent nullement la valeur des auteurs qui ont illustré le classicisme; par contre, une perspective plus complexe quant à leurs moyens d’expression ou aux ressorts intimes de leur création se fait jour. Ces études sur le classicisme ont permis à la nouvelle critique de valider certaines de ses méthodes et au classicisme de prouver une nouvelle fois sa complexité et sa valeur. D’ailleurs, le conflit qui a opposé R. Barthes et R. Picard mettaient en cause la vénération presque religieuse du classicisme. À cette attitude de la critique traditionnelle, universitaire, la nouvelle critique des années 50 oppose une vision plus objective, mais aussi plus productive. C’est d’ailleurs ce qu’on lui reprochait: elle pouvait bien expérimenter ses méthodes sur les auteurs contemporains, mais elle ne devait pas toucher aux valeurs du patrimoine littéraire français. Cette même glorification du classicisme a retardé en quelque sorte les recherches sur le baroque, qui menaçait d’empiéter sur le terrain tellement vénéré du classicisme. Dans la mentalité des gens, même aujourd’hui les auteurs classiques n’ont pas perdu de leur éclat: on cite parmi les célébrités littéraires La Fontaine, Molière, Racine, Mme de Sévigné, Boileau, Corneille, certes, après Hugo. Si du point de vue littéraire une telle énumération ne vaut pas trop, du point de vue de la perception du public et des critères auxquels s’en tient l’enseignement, elle a du poids. La doctrine Les auteurs classiques se rassemblent tout d’abord autour d’une communauté de goût. Mais les textes théoriques ne manquent pas, dès l’époque que l’on appelle préclassique. Il faut remettre L’Art poétique de Boileau à sa place - paru en 1674, le poème fait figure de synthèse et non de programme du classicisme. L’idéal classique est fait d’une aspiration à la clarté, à l’ordre, à la mesure, fondée sur la raison, pour ne pas parler comme Goethe qui pensait que tout ce qui était sain était classique et que ce qui était maladif appartenait au romantisme. Au début le classicisme se manifesta comme une réaction contre les dégénérescences de la Renaissance, contre les excès du baroque (“Le classicisme français peut être dit postbaroque.” - M. 1 Aule-Gelle, Noctes Atticae, 19, 8, 15. Le terme apparaît chez Cicéron (Academica, 2, 73). Les Grecs nommaient les auteurs exemplaires du point de vue du style et de l’emploi de la langue enkritoi, tandis que les Romains les désignaient par des syntagmes, tels que in numerum redigere (placer au premier rang). 10 Raymond), comme une émancipation de la littérature française et aussi bien de la langue française, surtout pour la première période, le préclassicisme, qui se déroule simultanément avec le baroque (Malherbe, Guez de Balzac, Chapelain ou l’abbé d’Aubignac). Une nouvelle esthétique veut palier à ces excès, s’attaquant aussi à des questions plus générales qui portent, par exemple, sur la définition du bon/mauvais goût. C’est aussi une réaction contre les influences italienne et espagnole et un retour aux modèles antiques, une tendance de régularisation qui se fait sentir dans toute la société après les bouleversements de mentalités apportés par les guerres de religion et les Frondes. L’influence des salons, des cercles d’érudits, la nouvelle pensée scientifique y sont pour quelque chose, comme ce fut le cas aussi du temps de la Renaissance. L’élaboration de la doctrine classique s’est faite à travers une accumulation de données. Il convient de distinguer deux étapes: 1. Ce fut d’abord la poétique imaginée par Malherbe et par Guez de Balzac. En pleine période baroque Malherbe (1555-1628) jette les fondements d’un nouvel art poétique: s’inspirant de l’Éloquence française de Guillaume du Vair, 1594, il arrive peu à peu à formuler un corpus de règles, jamais exposées par écrit de manière systématique (on retient surtout ses annotations sur un manuscrit de Desportes qui constitueront le Commentaire sur Desportes, la critique de Ronsard, et les relations de ses disciples, notamment Racan). C’est une sorte de révolution qui va à l’encontre de celle de la Pléiade. Dans le domaine de la langue il exige de la pureté et de la précision, et non de richesse. Il proscrit donc les mots régionaux (il voulait “dégasconner” la cour), les néologismes, obtenus indifféremment pas composition, dérivation, substantivation, etc., il bannit les mots empruntés à la technique, les mots archaïques. Toute ambiguïté doit être évitée; Malherbe exigeait une langue claire et précise (choix du synonyme le plus juste, car un mot doit rendre une idée et un mot ne devrait avoir qu’un sens) et il faisait l’éloge du langage des “crocheteurs du Port au Foin”, qu’il nommait ses “maîtres pour le langage”, selon les dires de Racan. Ce souci de respecter l’usage apparente Malherbe à Vaugelas. Il aurait même dit au roi « Quelque absolu que vous soyez, vous ne sauriez, Sire, ni abolir ni établir un mot, si l’usage ne l’autorise. » pour souligner l’omnipotence de l’usage. Il aura pour conséquence un langage poétique réduit, mais rigoureux, précis et élégant. La clarté et la précision doivent présider aussi à la composition du poème; le choix des mots et les constructions syntaxiques rigoureuses sont de mise (la coupe à l’hémistiche dans les alexandrins). La prosodie elle- même doit se discipliner: Malherbe proscrit l’enjambement et l’hiatus, fixe la censure, conseille une rime riche, qui exclut les mots de la même famille. Son attention se porte aussi sur le rythme: il conseille le renoncement aux séries de monosyllabiques et les fâcheuses rencontres de sons. Malherbe s’est préoccupé aussi de la strophe, fixant le sixain d’alexandrins, le dizain d’octosyllabes, exigeant une ponctuation obligatoire après le quatrième vers. C’est à lui qu’on doit aussi la forme de l’ode française, conservée jusqu’au XIX-e siècle. À l’opposé de la liberté de création que prônaient les poètes baroques, Malherbe pense qu’il faut rimer aussi bine pour les yeux (il ne fau pas rimer innocence/puissance) que pour les oreilles, qu’il ne fallait pas rimer les composés (temps/printemps, jour/séjour) ou les mots dérivés (commettre/admettre), les mots propres (Thessalie/Italie). Il défendait qu’on rimât des mots ayant « quelque convenance » (montagne/campagne, père/mère). Ces exigences ne sont pas uniquement formelles ; Racan cite l’argument de Malherbe : « La raison qu’il disait pourquoi il fallait plutôt rimer des mots éloignés que ceux qui avaient de la convenance est que l’on trouvait de plus beaux vers en les rapprochant qu’en rimant ceux qui avaient presque une même signification ; et s’étudiait fort à chercher des rimes rares et stériles sur la créance qu’elles lui faisaient produire quelques nouvelles pensées, outre qu’il disait que cela sentait un grand poète de tenter les rimes difficiles qui n’avaient point encore été rimées ». On peut y voir un credo poétique d’une grande modernité, la forme productrice du sens. Racan remarque que Malherbe usait de trois styles : celui de ses lettres familières, « qu’il écrivait à ses anus sans aucune préméditation », celui de ses lettres travaillées « à demi », sans aucun agrément et celui qu’il travaillait et l’élevait « beaucoup au-dessus de tous les écrivains de son temps » (Racan). Les poètes étaient pour lui des “arrangeurs de syllabes”, selon les dires de Racan2, des simples rimeurs. Racan dit qu’il « avait un grand mépris pour uploads/Litterature/ classicisme-c 1 .pdf
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- Publié le Oct 16, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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