Par Alexandra Huguet, professeure de Lettres au lycée Jacques-Monod (Paris) Séq
Par Alexandra Huguet, professeure de Lettres au lycée Jacques-Monod (Paris) Séquence 2de Le travail de l’éloquence, d’hier à aujourd’hui Séries générales et technologiques Présentation « Parler, c’est échanger, et c’est changer en échangeant »1 . Cette formule de Catherine Kerbrat-Orecchioni résume parfaitement et la force de la parole, et le sens profond de l’argumentation. Dans les premières pistes de la réforme des programmes de lycée, cet objet d’étude est non seulement maintenu, sinon renforcé. Étude de la littérature d’idées, travail sur l’éloquence dans les spécialités de pre- mière, « grand oral » terminal : la parole est mise à l’honneur tant dans l’étude des discours écrits que dans sa pratique orale. Cette séquence propose donc d’aborder le travail de l’éloquen- ce dans ces deux aspects et dans une perspective diachronique. En effet, observer, analyser et produire un discours ne peut se faire sans comprendre comment les règles antiques de la rhétorique sont, aujourd’hui encore, au fondement de l’écriture des discours. Pour montrer cette permanence au fil des siècles, nous avons choisi de commencer la séquence par l’analyse de corpus « énigmes », sans paratextes. La proximité des exordes et des péroraisons est telle que les élèves comprennent rapidement quel fil unit tous ces textes, d’hier à aujourd’hui. C’est pour cette même raison que nous avons également choisi d’étudier des discours immédiatement contem- porains, aux enjeux essentiels dans notre société, en lien avec les grandes définitions d’Aristote. Les trois étapes proposées se fondent enfin sur une distinction essentielle entre rhétorique et éloquence, et permettent, par une construction progressive de ces deux notions, d’aborder de façon plus sereine les séances les plus complexes, parce que les plus personnelles, d’écriture et de mise en voix. Faire travailler les compétences orales aux élèves de lycée est compliqué. Il nous faut prendre en considération les effectifs lourds de nos classes, les conditions pratiques (comment organiser des ateliers dans des salles de classe et sur des séances courtes ?), et le manque de formation préalable à la construction de ces compé- tences. Pour nous y préparer efficacement, l’ouvrage de Stéphane de Freitas, Porter sa voix, ainsi que le documentaire À voix haute sont des aides précieuses. Les ateliers proposés sont aisément transposables dans le cadre de l’accompagnement personnalisé. Projeté en début de séquence, le documentaire permettra l’ouverture d’un débat sur le rôle essentiel de la parole en société, et sera sans doute un catalyseur efficace dans la mise au travail des élèves. 1. Catherine Kerbrat-Orecchioni, Interactions verbales, A. Colin, 1990, p.17. Le discours de Christiane Taubira à l’Assemblée nationale du 29 janvier 2013 Dans cette séquence, vous pourrez exploiter les ressources multimédia suivantes, disponibles sur le site NRP dans l’espace « Ressources abonnés ». Rendez-vous sur http://www.nrp-lycee.com. Les numériques + Sommaire Supports : – Corpus de courts extraits de discours – Christiane Taubira, discours du 29 janvier 2013 à l’Assemblée nationale. Étape 1. La rhétorique, d’hier à aujourd’hui Atelier 1 : Quatre exordes pour quatre époques Atelier 2 : L’art de la rhétorique Atelier 3 : La péroraison, point ultime d’un discours Étape 2. L’éloquence au-delà du texte Atelier 4 : La mise en voix : du sens à l’éloquence Atelier 5 : L’art oratoire au service de l’argumentation Étape 3. Vers la pratique de l’éloquence Atelier 6 : Construire son propre discours Atelier 7 : À voix haute Objet d’étude : Genres et formes de l’argumentation 22 NRP LYCÉE JANVIER 2019 JANVIER 2019 NRP LYCÉE 23 Séquence 2de Séries générales et technologiques ÉTAPE 1. La rhétorique, d’hier à aujourd’hui ATELIER 1 Quatre exordes pour quatre époques Support : Un corpus « énigme », soit quatre courts extraits de discours, donnés sans aucun paratexte Objectif : Comprendre par la comparaison des textes ce qui fait l’essence d’un discours et notamment de son exorde Durée : 1 heure, et des recherches à la maison pour la séance suivante ➔ ➔Corpus TEXTE 1 Mes chers concitoyens, pardonnez-moi, permettez-moi de demander, pourquoi suis-je appelé à prendre la parole ici au- jourd’hui ? Qu’ai-je, ou ceux que je représente, ont à faire avec votre indépendance nationale ? Les grands principes de liberté politique et de justice naturelle, incarnée dans cette Déclaration d’Indépendance, sont-ils étendus à nous ? Suis-je donc appelé, à amener notre humble offrande à l’autel national, et à avouer les avantages et la fervente gratitude exprimée pour les bénédictions qui résultent de votre indépendance à nous ? Devant Dieu, pour votre bien et le nôtre, une réponse positive devrait être véridiquement retournée à ces questions ! Alors ma tâche serait allégée, et mon fardeau facile et appréciable. Qui est-ce, celui-là qui a si froid qu’une sympathie de la nation ne pourrait pas le réchauffer ? Qui est si obstiné et insensible aux réclamations de gratitude à tel point qu’il ne reconnaîtrait pas de tels avantages ines- timables ? Qui est si impassible et égoïste à tel point qu’il ne donne- rait pas sa voix pour grossir l’alléluia du jubilé de la nation, quand les chaînes de servitude auraient été déchirées de ses membres ? Je ne suis pas cet homme. Dans un tel cas, le muet pourrait parler éloquemment et le boiteux sauter comme un cerf. Frederick Douglass, Discours du 5 juillet 1852 à Rochester. TEXTE 2 Monsieur le Président, Messieurs du Tribunal, Il m’échoit, aujourd’hui, un très rare privilège. Je ressens avec une plénitude jamais connue à ce jour un parfait accord entre mon métier qui est de plaider, qui est de défendre, et ma condition de femme. Jamais autant qu’aujourd’hui, je ne me serai sentie – comme nous disons dans notre jargon – « toutes causes confondues » à la fois inculpée dans le box et avocate à la barre. Si notre très convenable déontologie prescrit aux avocats le recul nécessaire, la distance d’avec son client, sans doute n’a-t-elle pas envisagé que les avocates, comme toutes les femmes, étaient des avortées, qu’elles pouvaient le dire, et qu’elles pouvaient le dire publiquement, comme je le fais moi-même aujourd’hui. Je ressens donc au premier plan, au plan physique, il faut le dire, une solidarité fondamentale avec ces quatre femmes, et avec les autres. Gisèle Halimi, plaidoirie du 8 novembre 1972 lors du procès de Bobigny. TEXTE 3 Peut-être certains d’entre vous s’étonnent-ils qu’après être res- té jusqu’ici fidèle aux habitudes de notre cité, avec un scrupule qu’à ma connaissance aucun homme de mon âge n’a sans doute manifesté, je bouleverse assez profondément ma manière de faire aujourd’hui, pour venir vous donner mon avis, malgré ma jeunesse, sur un sujet que les hommes plus âgés que moi hésitent à aborder. Pour ma part, si l’un de vos orateurs habituels s’était exprimé en termes dignes de notre pays, je garderais un silence absolu ; mais, en fait, je constate que les uns soutiennent le parti que vos ennemis vous présentent comme des ordres, que les autres s’y opposent sans vigueur, que d’autres encore se taisent complètement ; je me suis donc levé pour vous déclarer mon sentiment car je considère comme vil, sous prétexte de sauvegarder l’ordonnance de ma propre vie, de laisser le pays prendre des résolutions indignes de lui. En outre, j’estime que, s’il est bien pour les hommes de mon âge de garder le silence dans toutes les autres discussions, sur la question de faire ou non la guerre il sied que ceux-là surtout donnent leur avis qui prendront la plus large part du danger, étant donné par ailleurs que le pouvoir de décision nous appartient en commun. Isocrate, Archidamos, vers 366. TEXTE 4 Messieurs, parmi les vertus les plus faciles à pratiquer il faut compter la reconnaissance : c’est aussi le sentiment le plus facile à exprimer. Si je regarde autour de moi pour y chercher les per- sonnes auxquelles il convient que je témoigne ma gratitude, au soir de ce congrès qui réalise l’espérance des dix premières années de ma vie d’homme, je sens que mon discours va devenir une litanie ; j’espère donc, Messieurs, que vous m’excuserez si je ne nomme personne et si, après avoir enveloppé dans un remerciement ému tous ceux qui m’ont aidé et soutenu, je vous convie à lever vos regards vers les choses qui, en ce monde, dominent les hommes, et à donner un instant d’attention à un spectacle profondément et étrangement philosophique. En cette année [….], il nous a été donné de réunir, dans cette grande ville de Paris, dont le monde partage toutes les réjouissances comme toutes les inquiétudes, en sorte qu’on a pu dire qu’elle en était le centre nerveux, il nous a été donné de réunir les représen- tants de l’athlétisme international et ceux-ci, unanimement, tant le principe en est peu controversé, ont voté la restitution d’une idée, vieille de deux mille ans, qui aujourd’hui comme jadis agite le cœur des hommes dont elle satisfait l’un des instincts les plus vitaux et, quoiqu’on en ait dit, les plus nobles. Baron Pierre de Coubertin, Discours au Congrès de Paris tenu à la Sorbonne, 16-23 juin 1894. 24 NRP LYCÉE JANVIER 2019 Séquence 2de Séries générales et uploads/Litterature/ nrp-2de-eloquence 1 .pdf
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- Publié le Apv 27, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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