Roman et autobiographie chez Stendhal Author(s): Béatrice Didier Source: Revue
Roman et autobiographie chez Stendhal Author(s): Béatrice Didier Source: Revue d'Histoire littéraire de la France, 84e Année, No. 2, Stendhal (Mar. - Apr., 1984), pp. 217-230 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40527786 . Accessed: 06/11/2013 20:06 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue d'Histoire littéraire de la France. http://www.jstor.org This content downloaded from 136.145.174.50 on Wed, 6 Nov 2013 20:06:08 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions ROMAN ET AUTOBIOGRAPHIE CHEZ STENDHAL Beaucoup d'autobiographes proclament hautement, en liminaire et dans le cours de leur texte, leur volonté d'être sincères et vrais (ce qui, bien entendu, n'est pas synonyme). Cette affirmation est même un « topos » fondamental de l'autobiographie, et sur ce point, comme sur bien d'autres, les Confessions de Jean-Jacques Rousseau sont exemplaires. Pourtant Stendhal marque sa radicale nouveauté en ceci : il ne dit pas tant qu'il est sincère (ce qui, en quelque sorte, va de soi, est une condition sine qua non de l'exercice autobiographique, d'autant plus facile à remplir qu'ici l'auteur ne se met pas en position d'accusé, qu'il n'entreprend pas de se défendre devant des accusateurs réels ou imaginaires), mais il affirme à maintes reprises qu'il ne fait pas de roman. Ce refus du romanesque de la part d'un romancier qui a fait ses preuves à cette date, prend un sens bien précis. « Faire du roman » sous la plume d'Henry Brulard ne signifie pas seulement d'une façon générale fabuler, être menteur, c'est aussi utiliser une certaine technique dont Stendhal connaît bien les lois, et dont il sent qu'il doit maintenant s'écarter radicalement pour faire autre chose. Quoi? Il ne le sait pas exactement, il va le découvrir en écrivant, car si les romans abondent, si le genre romanesque est constitué en France depuis longtemps, l'autobiographie, au moment où écrit Stendhal, est un genre, non certes absolument nouveau, mais qui n'a pas encore été suffisamment exploité pour pouvoir apparaître comme ayant aussi nettement ses lois, ses systèmes de références. Le roman intervient donc, dans la Vie de Henry Brulard, comme un anti-modèle, pour aider à définir un genre qui se prête mal à être défini. Mais l'originalité de Stendhal, en tout cas, c'est dès le départ, d'avoir senti que le rapport roman/ autobiographie se situe non plus sur le seul plan de la vérité, mais sur celui d'une technique de l'écriture, du problème de la désignation et du nom, des lois du récit, de la description et des dialogues. This content downloaded from 136.145.174.50 on Wed, 6 Nov 2013 20:06:08 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 218 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE Distinguer radicalement récriture romanesque de « récriture de soi » ' a donc été un des soucis majeurs de Stendhal Et la tâche ne manque pas d'être ardue, comme l'écrivain ne cesse de le dire, non tant pour faire valoir ses mérites que pour se conforter lui-même dans sa propre voie. Il y avait bien des écueils qu'il rappelle à plusieurs reprises, mais peut-être davantage au début et à la fin (provisoire) de son œuvre interrompue, parce qu'au début il faut montrer ses cartes sur table, parce qu'à la fin, il arrive à une période vécue très passionnément, et que cette peur du romanesque se fait souvent sentir lorsqu'il aborde les moments les plus intenses. Nous allons voir que ce n'est pas un hasard si le danger de faire du roman est particulièrement pressant dans ces épisodes-là. Essayons d'abord de voir pourquoi les risques du romanesque semblent si grands. Il faut convenir qu'au départ l'autobiographe s'est choisi lui-même comme substitut d'un être de fiction. En effet, dit-il, ses fonctions administratives ne lui laissent pas le loisir de créer des personnages et des intrigues : il y faudrait de longues séances de travail, une absolue disponibilité d'esprit II lui reste alors à écrire une histoire connue d'avance : la sienne, à se servir d'un personnage qui existe déjà (mais il s'aperçoit qu'il se connaît bien mal) : lui-même. En outre, la vie de Stendhal se trouvait être très romanesque : et c'est peut-être une raison, parmi d'autres, de l'interruption de l'autobiographie ; l'écrivain ne se risquera pas à raconter les périodes les plus pittoresques : l'épopée napoléonienne, ses nombreuses amours. Il ne semble pas qu'au départ il ait eu l'intention de se limiter ainsi, rien ne l'indique dans les deux chapitres liminaires (au contraire : voir l'énumération des femmes aimées), rien ne l'indique non plus dans les notices et les projets d'autobiographie que nous possédons 2. Dans les années mêmes racontées dans Henry Brulard, les tentations romanesques abondaient Non seulement parce que le jeune Bey le est romanesque (ce qui ne suffit évidemment pas pour devenir un personnage de roman, et n'empêche pas d'être un être réel), grand lecteur de romans, se figurant à tout moment que des aventures extraordinaires vont lui arriver3 et finalement passant à côté de la réalité qui lui paraît imaginaire4, mais surtout parce que, dans les moments les plus intenses de l'autobiographie, le romanesque serait une facilité pour l'écrivain. Je sais bien que l'expression « faire du roman » n'est pas l'exact synonyme de « faire 1. Expression de Michel Foucault, « L'écriture de soi », L 'Autoportrait, Corps écrit, 1983, n° 5. 2. Voir éd. Cercle du Bibliophile, t XXI. 3. Cf. ibid., p. 226, 229, 240. 4. En particulier la Revolution, ibid., p. 71. This content downloaded from 136.145.174.50 on Wed, 6 Nov 2013 20:06:08 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions ROMAN ET AUTOBIOGRAPHIE CHEZ STENDHAL 219 un roman » ; elles sont proches parentes cependant « Je ferais du roman si je voulais noter ici l'impression que me firent les choses de Paris, impression si fort modifiée depuis »5 ou encore, au moment de l'ascension du Saint-Bernard : « Je serais obligé de faire du roman et de chercher à me figurer ce que doit sentir un jeune homme de dix- sept ans, fou de bonheur en s'échappant du couvent, si je voulais parler de mes sensations d'Etroubles au fort de Bard»6. Même réflexion à propos de la première représentation du Matrimonio segreto où Beyle a éprouvé un « bonheur divin » : « Je mentirais et ferais du roman si j'entreprenais de le détailler »7 . L'écriture romanesque pourrait pallier soit les manques de la mémoire, soit le caractère indicible de l'intense bonheur, soit encore la distance entre les deux « moi », et la difficulté pour un homme mûr de reconstituer les sentiments de l'enfant qu'il a été. Le romanesque, pour l'autobiographe, est une facilité. Il était un moment de l'autobiographie, en revanche, où il semblait simple de marquer la différence entre le roman et l'autobiographie : c'est la page de titre, cette page où s'instaurerait d'après Philippe Lejeune le pacte entre auteur et lecteur8 . Disons plutôt cette page où l'auteur propose un pacte que le lecteur reste toujours libre de ratifier ou non. Or, on connaît la fameuse page de titre de Brulard : « Vie de Henry Brulard écrite par lui-même. Roman imité du Vicaire de Wakefield. A MM. de la Police. Ceci est un roman imité du Vicaire de Wakefield. Le héros, Henry Brulard, écrit sa vie, à cinquante-deux ans, après la mort de sa femme, la célèbre Charlotte Corday ». L'affirmation du romanesque se poursuit au tome II : « A MM. de la Police, rien de politique. Le héros de ce roman finit par se faire prêtre comme Jocelyn » ; et enfin au tome III : « Roman à détails, imité du Vicaire de Wakefield. A Messieurs de la Police. Rien de politique dans ce romaa Le plan est un exalté dans tous les genres qui, dégoûté et éclairé peu à peu, finit par se consacrer au culte des hôtels »9. L'adresse même à la Police suffit à faire entendre à cet autre lecteur, le lecteur « bénévole », le vrai lecteur de 1880 ou de 1935 qu'il faut comprendre par antiphrase : qu'il est, en fait, beaucoup question de politique dans la Vie de Henry Brulard , que Brulard n'est pas un héros de roman, qu'il n'a rien à voir avec le cher vicaire, et encore moins avec Jocelyn, qu'il s'agit bien d'une autobiographie. Il n'en reste pas moins que la supercherie stendhalienne est à plusieurs niveaux, qu'elle est le lieu d'une certaine émotion, 5. P. 320. 6. P. 349. 7. P. 361. 8. Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique. Le Seuil, 1971. 9. O.C., L XXI, p. 425-426. This content downloaded from 136.145.174.50 uploads/Litterature/ roman-et-autobiographie-chez-stendhal.pdf
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- Publié le Jul 31, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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