Khâgne Ulm, séance du 14 mai 2020. Lycée Champollion. Confrontation de sujets :

Khâgne Ulm, séance du 14 mai 2020. Lycée Champollion. Confrontation de sujets : cerner la problématique et la formuler (jeudi 14 mai). Analysez ces deux citations et regardez ce qui les distingue en termes de thèses et de prolongement de la réflexion sur nos œuvres. Quels exemples hors-programme pourrait-on convoquer ? Rédigez les énoncés des problématiques pour ces deux sujets. « L’isolement d’un événement, d’un ou de plusieurs personnages, la mise en place de types ou de stéréotypes, qui sont propres au récit bref, invitent le lecteur à l’extrapolation : il passe du cas d’espèce à la généralisation, du sens littéral à un sens symbolique. S’il revient aux auteurs de réfréner, au besoin, le sens figuré de leurs récits, il leur est difficile d’interdire le processus qui voue ceux-ci à l’exemplarité. » (Daniel Grojnowski, « L’Amateur de nouvelles » in Maupassant, miroir de la nouvelle, Presse universitaires de Vincennes, coll. « L’Imaginaire du texte », 1988, p.60). [La] « finalité moraliste est doublement incompatible avec une poétique de la brièveté. D'abord parce qu'elle implique une préoccupation didactique, et le didactisme se fonde sur le principe de répétition et sur celui de la nécessaire clarté du discours. Or la brièveté procède par économie discursive et par ellipse, allusion, condensation. Ensuite parce que le moralisme s'appuie le plus souvent sur le pathétique : il faut émouvoir le lecteur pour le rendre accessible à la vertu. Et le pathétique s'exprime dans des tableaux, non dans des actions ; il est d'essence statique, descriptive ; il joue sur les effets de soulignement, de vision attentive aux moindres détails d'une situation. » (Pierre Testud, « Récit court et brièveté au XVIIIe siècle », Cahiers Forell - Formes et Représentations en Linguistique et Littérature – De la brièveté en littérature, Publié en ligne le 10 juillet 2012). *** 1/ Sujet « Grojnowski » « L’isolement d’un événement, d’un ou de plusieurs personnages, la mise en place de types ou de stéréotypes, qui sont propres au récit bref, invitent le lecteur à l’extrapolation : il passe du cas d’espèce à la généralisation, du sens littéral à un sens symbolique. S’il revient aux auteurs de réfréner, au besoin, le sens figuré de leurs récits, il leur est difficile d’interdire le processus qui voue ceux-ci à l’exemplarité. » Il y aurait un conflit radical entre le travail du lecteur qui tire le récit vers le sens symbolique/figuré, le cas d’espèce, la généralisation afin d’en déterminer la dimension exemplaire (le récit vaudrait d’abord comme exemplum essentiellement) et le travail de l’auteur qui se heurte à une double contrainte : - celle interne du format bref qui par l’économie de moyens présupposé réduit les possibilités de nuances développées et favorise un moment privilégié, un fait massif (isolement d’un évènement) et des types/stéréotypes qui exemplifient le ou les personnages. Ces derniers existent à travers les relations qui les combinent les uns avec les autres en fonction de schémas stéréotypés comme situations d’agôn (cf. Morphologie du conte). - Et celle externe de la tendance du lecteur qui extrapole à partir de ces réductions et condensations des événements et personnages imposés par la poétique du récit bref. A cette tendance qui est inscrite ds une tradition narrative où le conteur est l’homme de bon conseil (W. Benjamin), l’auteur, selon Grojnowski, peut opposer un frein, et ne peut qu’agir par défaut. Il est dépossédé de la finalité de son récit qui devient une forme Khâgne Ulm, séance du 14 mai 2020. Lycée Champollion. d’apologue, d’exemplum malgré lui. Cette généralisation à finalité didactique ou universalisante gomme les particularités, les singularités inhérentes au sens littéral qui font le sel de l’inouï, de l’anecdote. Cette manière d’envisager le tropisme didactique du récit bref serait donc le fait du lecteur plus que de l’auteur. En revanche, l’auteur, en même temps que son récit lui échappe partiellement par cette opération de généralisation qu’est l’extrapolation, aurait la possibilité de maîtriser le développt du sens figuré. Il y a là ds la répartition des rôles et leur détermination des aspects pbmatiques qui méritent discussion. è Paradoxe et tension dans ce jeu autour des limites. Le récit bref est contraint par des limites mais elles provoquent leur transgression par l’extrapolation, le passage du singulier au général, du littéral au monde imaginaire et moral du lecteur. En travaillant dans cet espace limité du récit bref, en favorisant des figures et événements fermement limités et reconnaissables, l’auteur conduit le lecteur malgré lui — second paradoxe — à figer le sens du texte dans une généralisation exemplaire, donc à lui imposer d’autres limites. Discussion du sujet : - Les composantes narratives (événements, personnages) revêtent-elles nécessairement un sens symbolique dès lors qu’elles sont uniques ou du moins peu nombreuses ? Pourquoi ? Un événement unique, un personnel dramatique restreint ne peuvent-ils pas conserver leur singularité ? - Le récit bref oscille entre deux pôles : l’anecdote, qui met en valeur la singularité d’une situation (présentée comme un cas d’espèce) et l’apologue, qui au contraire tend à la généralisation par le biais de l’allégorie. Pourquoi ce second modèle l’emporterait-il sur le premier ? Une discussion est nécessaire sur les ressources du récit bref en faveur d’une singularisation et d’une particularisation. Elles déjouent les simples types et étoffent l’événement en le rendant plus inouï que généralisable, extraordinaire et sans possibilité de réduction à une forme d’universalisation. - Les récits brefs sont-ils plus enclins à l’exemplarité que les récits longs ? Un roman ne peut-il pas être aussi exemplaire, symbolique ? L’extrapolation n’est-elle pas inhérente à toute lecture d’un récit, quelle que soit sa longueur ? Cf. la typologie balzacienne des personnages et la discussion de cette notion de type dans Les Illusions perdues1 ou bien dans le portrait polyphonique construit par l’accumulation de point de vue distincts dans l’incipit de Madame Firmiani. - Pourquoi certains auteurs de récits brefs souhaitent-ils « réfréner […] le sens figuré » ? Comment cela peut- il se faire ? Inciter le lecteur à l’extrapolation, est-ce un défaut du récit bref ? On devine dans le propos de D. Grojnowski une réticence : il semble dire que l’exemplarité est une tendance du récit bref contre laquelle il vaut mieux lutter, car elle implique un appauvrissement. Cela est lié à la typisation qui va de pair avec la stéréotypie : la valeur symbolique est obtenue en recourant à des traits convenus, fixés par la tradition et aisément reconnaissables. Les récits brefs tendraient donc à constituer un répertoire de figures et de situations conventionnelles, immuables, dépourvus d’originalité. Mais il n’est pas du tout sûr que l’auteur cherche à tt prix à freiner le processus d’extrapolation, il le favorise en cherchant le trait, celui qui stigmatise le type en caricature du genre, ex. Caravan, le bouc dans le puits… - La généralisation n’est pas le moteur d’une nécessaire exemplarité : elle peut au contraire servir une forme de mise en crise de cette poussée didactique en renversant par exemple les polarités des types traditionnels cf. « Le Renard et la Cigogne », « Le Coq et le Renard », la figure du Roi chez Michaux, des femmes de mauvaise 1 Les Illusions perdues est le roman de Balzac sur la littérature et le champ littéraire. Le personnage de l’écrivain pur, Daniel d’Arthez prodigue des conseils à Lucien de Rubempré, quant au roman qu’il écrit, trop imité des romans de Walter Scott. Ces derniers déclinent toujours le même type de femme selon d’Arthez qui porte la voix de Balzac : « Pour lui [Scott] la femme est le devoir incarné. À de rares exceptions près, ses héroïnes sont absolument les mêmes, il n’a eu pour elles qu’un seul poncif, selon l’expression des peintres. Elles procèdent toutes de Clarisse Harlowe ; en les ramenant toutes à une idée, il ne pouvait que tirer des exemplaires d’un même type variés par un coloriage plus ou moins vif ». Seconde partie, éd. Gallimard, coll. Folio, p.226. Khâgne Ulm, séance du 14 mai 2020. Lycée Champollion. vie chez Maupassant, bref tous les procédés de carnavalisation voire de subversion des représentations des types. - La place et le rôle du lecteur ds cette activité herméneutique pose problème : fixité et rigidité de cette posture de lecteur prédéterminée. Les textes, dès lors qu’ils sont des objets litt., tentent de travailler, de déranger ces certitudes. Il y a une certaine valeur et un intérêt lié à la perplexité qui fonde le goût pour l’activité herméneutique (cf. Vincent Jouve, Pouvoirs de la fiction, Pourquoi aime-t-on les histoires ?, 2019) et qui est au cœur de la valeur anthropologique de la lecture des histoires. L’on pourrait parier sur une surenchère de cette perplexité par le fait même du bref qui joue de ses lacunes, de ses raccourcis… Le lecteur creuse les signes, les significations multiples, il « surcode » a lieu de décoder (cf. Barthes, Le Bruissement de la langue). Enfin, le mouvement de la lecture se fait aussi ds le sens d’un investissement particulier du lecteur du côté d’une hyper singularisation (cf. Proust, chaque lecteur est uploads/Litterature/ confrontation-de-sujets-correction-comple-mentaire.pdf

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