AVANT-PROPOS La Bible est le livre le plus révéré des Juifs depuis plus de troi
AVANT-PROPOS La Bible est le livre le plus révéré des Juifs depuis plus de trois mille ans et des chrétiens depuis deux mille ans et l’adjonction du Nouveau Testament. Considéré comme révélé, c’est-à-dire dicté par l’inspiration divine, il a à son tour dicté la morale et les lois humaines. À ce jour, par exemple, les présidents des États-Unis d’Amérique prêtent serment sur la Bible quand ils prennent leurs fonctions. Ce statut exceptionnel n’a pas suspendu l’attention de ceux qui lisaient le texte d’un œil vigilant. La lecture critique des deux Testaments commença assez tôt. Ainsi au XIe siècle, le médecin juif Isaac Ibn Yashoush, attaché à la cour musulmane de Grenade (autres temps !), avait noté un anachronisme contraire à la tradition. Celle-ci, en effet, soutenait que Moïse avait été l’auteur de la Genèse ; or, la liste des rois édomites énumérés dans ce Livre (XXXVI) ne pouvait pas avoir été établie par lui, étant donné que ces rois avaient régné longtemps après sa mort. Au siècle suivant, le rabbin Abraham Ibn Ezra se contenta de surnommer Yashoush, « Isaac le Gaffeur ». Mais ces égratignures à l’autorité de la Bible restaient mineures et leurs échos confinés aux cercles des érudits, ne fût-ce qu’en raison d’une portée restreinte. En effet, jusqu’à l’invention de l’imprimerie, il était quasiment impossible de parcourir l’ensemble des textes bibliques dans un temps relativement restreint, quelques jours ou semaines, comme ce fut le cas à partir du XVIe siècle. On surprendra sans doute plus d’un croyant contemporain en rappelant que la Bible figura à l’Index des livres dont la lecture était interdite aux catholiques, index établi par l’Inquisition, qui devint le Saint-Office, puis la Congrégation pour la doctrine de la Foi, laquelle ne fut abolie qu’en 1966. Deux raisons successives motivèrent cette interdiction. La première, au XIIe siècle, fut la méfiance à l’égard des traductions, où l’Inquisition, qui ne reconnaissait que la Bible en latin, flairait des infiltrations des hérésies. La seconde raison, qui s’imposa à l’époque de la Réforme, fut qu’une libre lecture de la Bible permettait de faire des comparaisons critiques entre ses enseignements et les traditions de l’Église ; les chefs de la Réforme considéraient, en effet, que ces traditions ne correspondaient pas aux enseignements du Nouveau Testament, ce qui consomma la rupture avec Rome. La lecture critique des textes sacrés1 se poursuivit cependant. Lorsque les progrès des sciences mirent en cause le premier des cinq Livres du Pentateuque, la Genèse, notamment en ce qui concerne l’apparition de la vie sur terre et l’évolution des espèces, les interdictions étaient devenues inefficaces : l’imprimerie avait répandu trop d’exemplaires de la Bible dans le monde. Un courant de pensée se constitua alors, à la fois dans le monde des Églises réformées et dans le catholicisme, postulant que la Bible ne pouvait que guider la foi des humains, et non enseigner l’histoire de l’univers et du monde. La réaction fut presque simultanée chez les protestants et les catholiques, les premiers soutenant que la Bible devait être considérée comme littéralement véridique. Ainsi naquit le créationnisme, selon lequel le monde a bien été créé en six jours, et qui persiste jusqu’aujourd’hui dans certains groupes réfractaires. L’une des dates symboliques de ce mouvement fut le fameux procès Scopes de 1925, aux États-Unis, où la justice condamna un professeur d’université pour avoir enseigné l’évolution des espèces et ainsi contredit la Bible. La réaction de l’Église catholique ne fut pas différente : en 1893, dans l’encyclique Providentissimus Deus, le pape Léon XIII condamna la liberté d’interprétation prônée par les critiques, tout en encourageant, d’ailleurs, les études scientifiques. Le point de vue des traditionalistes était : « Tout ce qui est contenu dans la Bible est religion et a été révélé par Dieu », tandis que celui des critiques était : « La Bible ne contient que la religion révélée par Dieu. » Les progrès de l’histoire, de l’archéologie et des études bibliques rendirent bientôt les deux positions incompatibles. * Comme le savent les biblistes, qui s’y emploient, le travail critique reste inachevé et un troisième point de vue s’impose : l’Ancien et le Nouveau Testament ont été rédigés au cours des siècles par des hommes qui avaient interprété des récits selon des traditions, c’est-à-dire selon des habitudes de pensée et des influences locales. Ces œuvres intégralement humaines sont en fait les versions écrites de courants indépendants, entraînant des contradictions flagrantes, en plus d’invraisemblances placées sous le sceau de la divinité, dont les principales sont exposées dans ces pages. Il est donc présomptueux et même erroné de les considérer comme fondateurs d’une Loi morale révélée. Comment, en effet, concilier des prescriptions aussi antagonistes que celles-ci : « Les fils ne seront pas mis à mort pour les fautes de leurs pères » (Deut., XXIV, 16) et « Je suis Yahweh, qui punis l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et à la quatrième génération » (Ex., XX, 5 et XXXIV, 7) ? Comment Dieu aurait-il pu se contredire aussi radicalement sur un point aussi grave ? Dans la seconde moitié du XIXe siècle et au XXe, les travaux des biblistes dans le cadre de ce qu’on appelle l’Hypothèse documentaire établirent les causes de ces contradictions : les cinq premiers Livres de la Bible avaient été rédigés par des rédacteurs appartenant à quatre courants principaux et différents, distants de plusieurs siècles. Il s’agissait des élohistes, ainsi nommés parce qu’ils désignaient Dieu sous le nom d’Elohim, les yahwistes, qui le désignaient sous le nom de Yahweh, les sacerdotaux, qui écrivaient dans la conviction de la primauté absolue du clergé dans l’histoire d’Israël, et les deutéronomistes, auteurs presque exclusifs du cinquième Livre du Pentateuque (jusqu’au VIIe siècle avant notre ère, celui-ci était composé de seulement quatre Livres : c’était un Tétrateuque)2. Ces rédacteurs n’accordaient pas toujours leurs textes à ceux qui existaient déjà et se bornaient souvent à ajouter leurs versions aux précédentes. D’où des différences souvent considérables dans un même Livre, comme les deux versions de la création d’Ève dans la même Genèse. Certains, parfois, payèrent d’audace ; ce fut ainsi qu’en 622, lors de la restauration du Temple sous le règne de Josias, le grand prêtre Hilquiyyahou découvrit le cinquième Livre, le Deutéronome, dans les fondations du monument. Le choc fut si fort que les travaux furent interrompus. Comment pouvait-on avoir méconnu pendant des siècles un Livre qu’on s’empressa d’attribuer au calame même de Moïse ? Depuis, ce Livre est inscrit dans le Pentateuque. On soupçonne, non sans raison, qu’il avait en fait été rédigé par des prêtres du Temple dans le cadre de la réforme religieuse entreprise par Josias. Aucune harmonisation des cinq Livres ne fut jamais effectuée ; et les contradictions demeurèrent. Contrairement à ce qu’on supposerait, certaines ont même été aggravées par des ajouts à l’époque moderne. Dans leurs versions des textes anciens, certains traducteurs ont en effet introduit des explications de leur cru, croyant ainsi dissiper des obscurités ou combler des lacunes, alors que, plus prudemment ou plus modestement, les prêtres des siècles d’avant notre ère se limitaient à les consigner dans des recueils séparés de commentaires ou midrashim. Les contradictions en cause n’affectent pas que l’Ancien Testament : elles abondent également dans le Nouveau, pour d’autres raisons. Certaines sont mineures, d’autres majeures, comme celles qui portent sur la vengeance divine ou sur la vie de Jésus. L’objet de ces pages n’est pas de répondre aux questions de doctrine qu’elles posent, il se limite à l’exposé de contradictions et d’obscurités qui ont parfois engendré des conflits séculaires. Un tel exposé nous est apparu nécessaire pour tous les esprits de bonne foi. ___________________ 1. Cf. note 1, p. 305 sur les différences entre les contenus des Bibles selon les religions et les confessions. 2. Cf. note 2, p. 305-307. PREMIÈRE PARTIE L’ANCIEN TESTAMENT I. LA GENÈSE 1. Ève aurait été créée comme « aide » d’Adam À quel moment, dans la symbolique biblique, la femme a-t-elle été créée ? Il est impossible de trouver la réponse à cette question dans les textes qui racontent pourtant sa création. Car il existe dans le premier Livre de la Bible deux versions successives et contradictoires de celle-ci. Au verset 27 du Ier chapitre du Livre de la Genèse, il est dit, en effet : « Elohim créa l’homme à son image, à l’image d’Elohim il le créa. Mâle et femelle, il les créa. » Le récit ne peut être évidemment que symbolique, même pour les croyants les plus résolument fondamentalistes, puisqu’il implique que les premiers humains aient été créés à un âge adulte, indéterminé, au défi des lois universelles de la croissance d’un être vivant. Et ils n’avaient pas de nombril, puisqu’ils n’avaient pas eu de cordon ombilical. Mais après avoir dit plus haut que l’homme et la femme avaient été créés ensemble, la Genèse se contredit radicalement, et d’une manière qu’aucune casuistique ne peut réfuter. Au verset 7 du IIe chapitre, en effet, Dieu crée l’homme seul, parachève son ouvrage, et fait ainsi pousser le Jardin d’Éden. Il crée les uploads/Litterature/ contradictions-invraisemblances-bible.pdf
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- Publié le Mai 02, 2022
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