CHAPITRE VII Thématique W. SuprnNs Université de Gand I. DEFINITIONS ET DISTINC

CHAPITRE VII Thématique W. SuprnNs Université de Gand I. DEFINITIONS ET DISTINCTIONS Il faudrait pouvoir situer les études de thèmes dans le prolonge- ment de I'ancienne topique. I)ans un cas comme dans I'autre, de toute façon, il s'agit moins directement du sujet qu'on traite une cause à défendre, une histoire â raconter, un sentiment à exprimer - que du matériau sémantique mobilisé à cette occasion. De plus, le rapprochement avec le topos, au-delà d'un écart historique important, suggère pour le thème une définition fort simple. Nous poserons ainsi que le thème est un élément sémantique qui se répète à travers un texte ou un ensemble de textes. Se répétant, le thème naturellement varie. C'est rnême ainsi qu'il se présente : comme une série de variations, ou, pour le dire en lan- gage mathématique : le thème est une < variable >. Il est, suivant son étymologie, une (position > ou suivant l'étymologie de topos, :une < place > dans le texte que peuvent venir occuper une série de valeurs concrètes : ses variations r. Rien, aucun élément de sens, qui ne puisse servir de thème. Il peut s'agir d'une figure, d'un objet, d'un sentiment, d'un acte de la vie la * Voir bibliographie p. 362. l. Tel qu'on vient de le présenter, le thème est une unité paradigmatique, laisanl partie du système (sémantique) du texte. Toutefois, dans I'analyse du nressage, la lin- guistique utilise parlois I'opposition thème/propos, parallèle à sujet/prédicat (voir, Ductor O. et ToDoRo"t'1., Dictionnaire entyclopédique des sciences du langagc,Paris, Seuil, 1972, p.345). Cette convergcnce terminologique reste à analyser ct nc dcvr-iril pas conduire, sans autre forme dc procès, ii unc idcntification, pourlant asscz ll(' qucntc, clu thème avcc lc su.jcl (voir. pal cxcntplc,'I'or.nachcvski 1925: 26.1 cl S. Rirrr ttttrtt-Kcttittt 19135: 3()7), Voir cttcorc, pour l:r tléllnilion tltr lhùnrc, l)tr thi'nrt,t'tr liti,rrt t ttn', lt)85. lttt.t.tinr 96 plus quotidienne (disons dans l'ordre I la femme, les lunettes, I'envie, la vue) tout autant que de grands personnages mythologiques, légen- daires ou historiques ((Edipe, Faust, Richard IIl, Napoléon). De même, I'ensemble textuel parcouru par le thème peut aller du texte unique (un poème, un roman, ...) à la totalité de la littérature mondiale (s'il se trouvait quelqu'un pour I'embrasser), en passant par l'æuvre d'un auteur, par un genre, par la littérature d'une époque, cl'un mouvement, d'un pays, d'un continent ou de quelque combinai- son de ces domaines (le théâtre classique en France, le roman russe, ctc.). Historiquement, les études de thèmes sont liées aux débuts de la littérature comparée, c'est-à-dire à la constitution de grands espaces textuels, résultant de rapprochements inêdits. Ainsi lorsque Lessing 2 compare le théâtre de Voltaire à celui de Shakespeare, il le fait sur la base du traitement, bien diffêrent, de certains thèmes communs, comme I'amour-passion (dans Z(ù're et Roméo et Juliette) ou le fan- tôme (dans Sémirumi,g et Hamlet). Comme on sait, il s'agissait de llire de Shakespeare - et non de Voltaire ni d'aucun-de ses prédéces- seurs classiques le modèle du nouveau théâtre allemand. Le thème rr donc d'abord fonctionné comme une sorte de test. d'épreuve con- lrastive et presque comme un thème au sens scolaire - de texte :i traiter, à < traduire >> par des élèves ou des candidats qu'on veut rlépartager. Ce n'est qu'assez longtemps après, semble-t-il, que le thème a pu t()uer encore un autre rôle. Dans À la recherche du temps perdu, le rrrrrateur donne à Albertine une remarquable leçon de lecture. En voici quelques lignes 3 : Je ne peux pas vous parler comme cela en une minute des plus grands, mais vous verrez dans Stendhal un certain sentiment de I'altitude se liant à la vie spirituelle: le lieu élevé où Julien Sorel est prisonnier, la tour au haut de laquelle est enfermé Fabrice, le clocher oir I'abbé Blanès s'occupe d'astrologie et d'où Fabrice jette un si beau coup d'æil. l.c thème relevé ici semble uniquement stendhalien, il n'est pas uti- lr:'i' muis produit par le texte même où il apparaît comme une .) Voir LrsstN<;, ().F.., Ilunthurgisthe Drannturgie dans Werke, êd. F. Fischer, /rrrrr'lr. Stirul'litcltcr. l9(r5_, l. lV. pp. 8l-lt2 ct 64-70. I Voirlttrottst.M.,.,l lttrrthcrtharhtlctnp.tpcrdu,ô<1. P.ClaracctA.Fcrrô,Paris, r,,rllrrrnrtl, l()54. (l'lôirrtlc). l. IIl, P. .177. ("cst l'ôdition quc nous utilisons également ,l,rrr., l:r srrilt'(ltlrrt'1lct . I'l ) l.t's l):lssill'.('s lrrrxt;rrcls l)rottsl litil itllitsiott sc trouvcnt dans I, Iit,tu'r't'tlr'Nrttt.tlt l(rr'l/rr('ltrrtlrr'ttst'rkI'ttrtttr'.t'lr l1{elt'lr.tlcl(). 97 tt marque, une signature individuelle. Ce goût assez paradoxal pour l'élévation liêe à I'isolement, voire à la prison, c'est une nouveauté apportée par Stendhal et par 1à pour son æuvre une caractéristique aussi précise que pour Léonard de vinci le sourire sur le visage des femmes et cles anges, ou chez Rubens la corpulence baroque des nus ou encore l'élongation, à la manière de flammes, des figures humaines chez le Greco : ce sont des traits de style p[utôt que des traits des rnodèles représentés. Dans ce sens, le thème qu'une première dÇfinition aura immanqua- blement situé dans le domaine du contenu devrait pourtant être con- sidéré comme une caractéristique (forrnelle) o de l'æuvre de I'auteur ou d'ailleurs de tout autre ensemble textuel s. Voilà, en fait, I'idée fondamentale de la critique thématique. Au contraire, pour Lessing le thème continue évidemrnent d'ap- partenir au contenu. Seul son traitement peut diffêrencier et caractéri- ser individuellement des auteurs, qui au départ en disposent en commun. Cette conception est celle de la thématologie 6, mieux connue peut-être sous le terme allemand StoJJgest:hichte qui en souli- gne bien I'esprit, puisque thème s'y traduit par Stoff, ( étoffe ), < matière >. De la thématologie à la critique thématique, le thème subit donc une sorte d'inversion de sens, passant du contenu à la forme' Cet aspect biface, oscillant fait du thème un élément difficile à saisir, parfois déroutant et même, si on ose dire, virtuellement révolu- tionnaire dans le contexte du signe classique. La perspicacité de Roland Barthes n'a pas manqué de le relever: La critique thématique a pris, ces dernières années, un coup de discré- dit. Pourtant, il ne fàut pas lâcher cette idée critique trop tôt. Le thème est une notion utile pour désigner ce lieu du discours où le corps s'avance sous sa propre responsabilité, et par là même déjoue le signe : le < rugueux ), par exemple, n'est ni signifiant ni signifié, ou tous les <leux à la fois : il fixe ici et en même temps renvoie plus loin' (Ba.nrHrs 1975 : 180-181.) 4. Le thème pourrait ôtre situé plus précisément au niveau de la < lorme du con- tenu > (voir HJELMSLEV, L'., Prolégomènes àune théorie dulangaga, Paris, Minuit, l97l' pp. 70 s4.), c'est-à-dire dc cettc organisation de I'cxpéricnce qu'on pcut appclcr rrrt < mondc >> (voir in.fru.\. 5. Vçir. pur cxclnplc, lc cas rlc l:r liltôurturc littrtitstic;ttc ('[irtlttrov l()1(l: ()7 tt1.\. (r. Srrr l:r tlri:rrrlrlologic ()lt l)()urril cottsrtltcr lit'cttzcll l()71{, l'olt't l()71{ ct ltottssott l()81. 98 L'ambiguïté du thème, qui < déjoue le signe > réapparaît donc à I'intérieur même de la critique thématique. En effet, le (( rugueux ) que Barthes prend comme exemple, ou n'importe quel autre thème d'ailleurs, va-t-on le considérer comme le fin mot de I'analryse ? D'une part, sans doute on regardera et on fixera le thème retenu comme un sens, un signifié qui explique ou du moins éclaire le texte. D'autre part, il faudra se rendre compte de son pouvoir explicatif très limité : que veut dire, au fond, le ( rugueux > selon Barthes ou encore cette prison élevée chez Stendhal et qu'est-ce que cela explique ? Ces ques- tions vont entraîner le thème, en tant que signifiant, à la recherche d'une meilleure définition, dont le bénéfice pourra être qu'au fil < d'une nomination en expansion > (Barthes 1970 :99) il rencontre un autre thème et que se constitue ainsi un réseau thématique complexe. Cela n'approfbndira pas, évidemment, le niveau de l'explication et on s'en tiendra toujours à une critique thématique telle que Proust I'illustrait et dont le principe se trouve dans le simple relevé du thème. En d'autres mots, on restera dans l'analyse immanente, proposant ur-re explicitation beaucoup plus qu'une explication (cf. Barthes 1964: 251). Si, au contraire, on pense devoir et pouvoir atteindre un méta- langage (scientifique) indiscutable, on fera appel à des sciences humaines constituées, comme la psychologie ou la sociologie, pour interpréter les thèmes et leur donner un statut de signifiés définitifs. [-a critique thématique deviendra alors psychocritique ou sociocriti- que. Dans ce qui suit, nous ne parlerons en principe que de critique thé- rnatique (( pure >, mais en principe seulement. On verra que si, dans cct examen des études de thèmes, nous nous sommes donné Proust ct Barthes pour guides, nous avons également préparé une sorte de ('()rpus d'étude, réunissant l'æuvre de quatre critiques < genevois > : ( ieorges Poulet, Jean Rousset, Jean Starobinski, Jean-Pierre l{.ichard7. Or ce corpus, cet album d'illustrations contient aussi, il ''rrlït de le parcourir rapidement pour le voir, des exemples d'utilisa- lrou occasionnelle de la psychologie ou de la psychanalyse, des 7. ("cst ôgalcnrcnt lo corpus retcnu uploads/Litterature/ critique-thematique 2 .pdf

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