Maurice CUSSON Professeur à l’École de Criminologie Chercheur, Centre internati
Maurice CUSSON Professeur à l’École de Criminologie Chercheur, Centre international de Criminologie comparée, Université de Montréal. (1992) “Déviance” Table des matières I. La nature de la déviance Première approximation Définition Relativité et universalité de la déviance La déviance comme construction sociale Sens ou non-sens de la réaction sociale L'unité et la diversité du phénomène II. La théorie du contrôle social « Le suicide » de Durkheim La postérité du « Suicide » Déviances et intégration sociale Urbanisation et aires de délinquance La sociologie de la délinquance juvénile Toxicomanie et désinsertion sociale La contrôle social comme processus III. Le paradigme actionniste Raisons et rationalité L'analyse des situations L'opportunité Les marchés L'organisation sociale La croissance des vols dans les démocraties occidentales Le cas des suicides anglais IV. La conjoncture présente Bibliographie Maurice Cusson [professeur à l’École de Criminologie, chercheur au Centre international de Criminologie comparée de l’Université de Montréal] “Déviance”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Raymond Boudon, Traité de sociologie, chapitre 10, pp. 389-422. Paris: Les Presses universitaires de France, 1992, 1re édition, 575 pp. LA NATURE DE LA DÉVIANCE Première approximation Retour à la table des matières Les sociologues utilisent le terme déviance pour désigner un ensemble disparate de transgressions, de conduites désapprouvées et d'individus marginaux. Pour donner au lecteur une idée concrète de ce qui est considéré comme de la déviance en sociologie, nous commencerons par en faire une première classification. Elle comporte sept catégories. 1/ Les crimes et délits. Dès le XIXe siècle, les sociologues ont analysé les statistiques de la criminalité. Plus tard, ils ont réalisé des travaux sur l'homicide, le vol, le crime en col blanc, les voleurs professionnels, les bandes de jeunes délinquants... 2/ Le suicide est, depuis la célèbre étude de Durkheim, un thème important de la sociologie de la déviance. 3/ L'abus de drogue et le monde des toxicomanes intéressent les sociologues qui ont étudié les aspects sociaux de la consommation de la marijuana, du haschisch, des opiacés, de la cocaïne, de l'alcool, etc. 4/ Les transgressions sexuelles. La prostitution, l'homosexualité et la pornographie ont fait l'objet de nombreux travaux. Il se trouve aussi des sociologues américains qui incluent l'adultère et les autres formes de sexualité extraconjugale dans le chapitre des déviances sexuelles. 5/ Les déviances religieuses. Les sociologues partagent avec les historiens un intérêt pour la sorcellerie, les hérésies et le sectarisme religieux. 6/ Les maladies mentales ont aussi été considérées sous leur angle social. On a traité de l'origine sociale de certains symptômes psychiques, de la distribution des troubles mentaux et du monde social des asiles. 7/ Les handicaps physiques. Quelques sociologues ont étudié les relations tendues que l'on observe quand des gens «normaux » interagissent avec les sourds, les aveugles, les obèses, les handicapés... Est-il opportun d'inclure dans la déviance des choses aussi différentes que l'homicide et la surdité ? Avant de répondre à cette question, il importe d'abord de souligner qu'il existe une gradation dans l'univers de la déviance allant du parfaitement volontaire à l'involontaire. En s'inspirant de Merton (1971, pp. 829-831), de Moscovici (1976) et de Montanino et Sagarin (1977), on peut distinguer quatre catégories de déviants allant du plus au moins volontaire. 1/ Les déviants sous-culturels. Merton parle à ce propos de non-conformistes et Moscovici de processus régulateurs grâce auxquels les sociétés. Nous sommes ici en présence d'individus qui mettent carrément en question la légitimité des normes qu'ils violent. Ils s'efforcent de promouvoir des normes et valeurs de substitution et militent en ce sens. Les terroristes, les dissidents et les membres de sectes religieuses appartiennent à cette catégorie de déviants qui assument leur déviance et en revendiquent la légitimité. 2/ Les transgresseurs sont des déviants qui violent délibérément une norme dont ils reconnaissent la validité. Ils n'agissent pas par principe mais par intérêt, par opportunisme, ou encore ils se laissent emporter par la passion ou la concupiscence. La plupart des délinquants sont de simples transgresseurs : ils violent des normes dont ils ne récusent pas vraiment la légitimité. 3/ Les individus qui ont des troubles de comportement. On entre ici dans une zone intermédiaire où le caractère volontaire de l'acte n'est ni acquis ni exclu. C'est ainsi que les alcooliques et les toxicomanes agissent, au moins durant les premières phases de leur évolution, de manière volontaire, mais si la dépendance s'instaure, ils cessent d'être tout à fait libres. Il existe aussi des troubles mentaux comme la névrose, la sociopathie, les troubles du caractère où il est difficile de distinguer la part de compulsion et la part de détermination. 4/ Les handicapés. On quitte le domaine de l'action volontaire quand on traite des sourds, des aveugles, des bossus, des paraplégiques, des débiles et des malades mentaux dont le trouble résulte d'une lésion organique. Certains sociologues se sont intéressés à la manière dont se déroule l'interaction des handicapés physiques et des gens de leur entourage. Goffman (1963) a consacré un livre à la stigmatisation et aux stratégies relationnelles qui s'élaborent entre les handicapés et les gens qui se considèrent comme normaux. Cependant, il ne nous paraît pas opportun de faire entrer ces phénomènes dans le champ de la déviance. Dans ce chapitre, l'attention se portera essentiellement sur les formes de déviance les plus souvent étudiées en sociologie : les crimes, les suicides et les toxicomanies. Définition Retour à la table des matières La déviance est l'ensemble des conduites et des états que les membres d'un groupe jugent non conformes à leurs attentes, à leurs normes ou à leurs valeurs et qui, de ce fait, risquent de susciter de leur part réprobation et sanctions. C'est donc dire que le sociologue considère comme déviantes les actions et les manières d'être qui sont mal vues et sanctionnées par la plupart des membres d'un groupe. Cette définition n'est pas exempte d'ambiguïtés. Nous nous efforcerons de les dissiper en ayant conscience qu'il est probablement impossible de formuler une définition de la déviance qui serait totalement transparente. Attentes, normes et valeurs. La déviance apparaît d'emblée comme une activité qui déçoit une attente, qui viole une norme sociale ou qui nie une valeur. La notion de déviance présuppose l'existence d'un univers normatif On ne saurait parler de criminel, d'hérétique, de fou, ou de pervers si l'on n'a au préalable des idées assez nettes sur le juste et l'injuste, sur le vrai et le faux, sur le normal et le pathologique, sur le bien et le mal. Un acte déviant est d'abord un acte blâmé et il ne saurait l'être si l'on n'avait au départ une conception de ce qui est blâmable ou non. Cependant l'univers normatif d'un groupe n'est que rarement un ensemble homogène et aisément repérable. La plupart des attentes sont implicites et changeantes. Si certaines normes sont incontestées, d'autres sont acceptées par les uns et récusées par les autres. Finalement, le groupe de référence est souvent difficile à circonscrire dans un monde où la plupart des individus appartiennent simultanément à plusieurs unités sociales ayant des normes fort différentes. C'est donc dire que la distinction entre la déviance et la non-déviance risque d'être problématique et variable. Interaction. Durkheim (1893, p. 48) disait du crime : « Nous ne le réprouvons pas parce qu'il est un crime mais il est un crime parce que nous le réprouvons. » Ceci vaut tout aussi bien pour la déviance : c'est parce qu'un acte est désapprouvé que le sociologue affirme qu'il est déviant. La déviance est essentiellement le produit d'un jugement porté sur une conduite ou sur une manière d'être. Elle n'est pas comme telle une propriété inhérente à certains comportements, mais bien une qualité qui leur est attribuée par l'entourage (Erikson, 1966, p. 6). Le critère majeur de la déviance est donc la réaction qu'elle provoque : réprimande, sarcasme, réprobation, dénonciation, isolement, ostracisme, traitement obligatoire, enfermement, exécution... Quand un acte autrefois jugé déviant ne fait plus réagir, c'est qu'il a cessé d'être déviant. La notion de déviance ne saurait être comprise en dehors de l'interaction du déviant et de ceux qui le jugent. Distribution. La normalité et la déviance sont des notions qui véhiculent un sens statistique. On le conçoit bien, les conduites normales sont fréquentes et les actes déviants sont rares. Allons plus loin : plus un acte est déviant, plus il est rare. Sur ce point, l'analyse de Wilkins (1964) a été largement acceptée aussi bien en sociologie de la déviance qu'en criminologie. Cet auteur représente la distribution des conduites morales sur une courbe de Gauss comme celle qui est couramment utilisée pour décrire les résultats aux tests de quotient intellectuel. À une des extrémités de la distribution, est représenté un tout petit nombre de conduites criminelles (ou mauvaises, condamnables, perverses, etc.), à l'autre extrémité, se trouve une très faible quantité de conduites extrêmement bonnes, vertueuses, admirables. Au centre, se dresse la masse des conduites ordinaires, ni très bonnes ni très mauvaises. L'intensité de la déviance varie en raison inverse de sa fréquence parce qu'il est impossible au sein d'un groupe que les gens réprouvent avec une indignation extrême des agissements fréquents. L'hérésie uploads/Litterature/ cusson-la-deviance.pdf
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- Publié le Mar 03, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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