Annales. Économies, Sociétés, Civilisations « La Mémoire de la Mort » : recherc
Annales. Économies, Sociétés, Civilisations « La Mémoire de la Mort » : recherche sur la place des arts de mourir dans la Librairie et la lecture en France aux XVIIe et XVIIIe siècles Daniel Roche Abstract The reconstruction of the corpus of "arts de mourir" published in the 17th and 18th centuries permits us to see how the production and circulation of a language of dying takes shape. An inventory of titles and publications shows that after an initial phase of adaptation, the genre reaches a peak between 1675 and 1700. During the Enlightenment, the curve of publications remains nearly stable but, in contrast, the shrinkage in the number of titles points up the fact that the theme itself does not undergo a renewal. A sociological study of the authors permits us to attribute the greater part of this production to the members of the Company of Jesus and to representatives of the major religious orders. The use of this production covered a wide social range and had three basic aims : pastoral care, individual prayer, youth education. Finally, an analysis of this language permits us to reconstruct how one learns the acts of this preparation and to show how the gestures of living, illness and dying form a pattern in the Mémoire de la Mort. Citer ce document / Cite this document : Roche Daniel. « La Mémoire de la Mort » : recherche sur la place des arts de mourir dans la Librairie et la lecture en France aux XVIIe et XVIIIe siècles. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 31ᵉ année, N. 1, 1976. pp. 76-119. doi : 10.3406/ahess.1976.293701 http://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1976_num_31_1_293701 Document généré le 29/09/2015 «LA MÉMOIRE DE LA MORT» Recherche sur la place des arts de mourir dans la Librairie et la lecture en France aux XVIIe et XVIIIe siècles La reconstitution du corpus des préparations à la mort publiées aux xvne et xvnie siècles se heurte à deux difficultés principales ' . La première procède de la situation actuelle du catalogue des livres anciens dans les bibliothèques publiques françaises. Sans même évoquer le problème capital des disparitions de la période 1789-1815, particulièrement sévères pour les ouvrages religieux de faible valeur marchande, on peut estimer que près de la moitié de la librairie ancienne demeure inaccessible faute d'un inventaire exhaustif 2. Il en résulte que notre enquête ne peut être considérée comme définitive, mais elle est une exploration exhaustive des principaux fonds accessibles. La seconde difficulté relève de l'ambiguïté essentielle du genre durant la période moderne. De fait, la clarté des temps médiévaux finissants fait place à une imprécision gênante. A la fixité d'un texte unique 3, bien connu et bien répertorié dans ses versions manuscrites, dans ses éditions xylographiques comme dans ses nombreuses impressions de la fin du xve siècle et du début du xvie siècle, succède un foisonnement prodigieux de formules nouvelles irréductibles à l'unicité. La diffusion des idées post- tridentines encourage le phénomène et favorise la multiplication des recherches dans les frontières nationales comme à l'horizon de l'Europe chrétienne. La circulation des textes apporte encore un élément de trouble mais facilite les rencontres. Le prouve, dans le contexte français, la vogue des traductions, ou des adaptations, faites à partir des ouvrages italiens, ceux de Bellarmin ou de Bona, des pères Solutrive et Tavello, du théatin Scupoli et du franciscain Blancone, des jésuites Novarin et Recupitio 4, pour ne citer que les principaux succès de la librairie ascétique. Entreprendre la généalogie de ces textes dépasse les possibilités d'un seul chercheur, qui doit raisonnablement limiter ses ambitions et se contenter de dresser la liste des préparations à la mort publiées dans le domaine d'expression française à partir des sources accessibles, critiquées et comparées. Prudence de profession indispensable qui permet de découvrir sous le titre Faut- y -penser 5, recensé sans date à la Nationale, non un ouvrage de piété mais une chanson à la gloire de l'Empereur (« Faut-y -penser, disait Magloire à ce héros dont la valeur... »), ou bien derrière le Sénèque mourant de Ducrest, non un art de mourir mais un pamphlet politique. A cette fin trois types de sources ont été 76 D- R0CHE LA MÉMOIRE DE LA MORT interrogés : sources nationales : le catalogue général des séries C.D.E. de la Bibliothèque Nationale, le catalogue générardes anonymes et dans un but de vérification le catalogue de la Bibliothèque du Roi ; sources provinciales : les catalogues des fonds anciens des bibliothèques d'Amiens, Besançon, Bordeaux, Carpentras, Grenoble, Le Mans, Nantes, Reims, Rouen, Troyes ; enfin sources récapitulatives et synthétiques : les grandes bibliographies, Cioranescu, Ingold, Sommervogel. Au total, ce sont 236 titres qui ont pu être retrouvés, dont plus de 150 pour la seule Nationale. Même incomplète, cette liste permet une triple interrogation : il s'agit de voir d'abord comment s'installe et triomphe le nouveau discours sur la mort, en d'autres termes quelles sont les données principales de sa production, figurées dans la courbe des titres et des éditions, représentées dans la carte des lieux d'impressions. Ensuite l'ensemble des ouvrages recensés rend loisible une comparaison avec les données, connues par aHleurs, de la production de l'imprimé pour deux siècles 6, et par conséquent autorise à mesurer la place du genre, son succès, son recul, dans la Librairie d'Ancien Régime, tant du point de vue de la comptabilité des publications que d'une géographie de la circulation. Enfin ce corpus peut servir de point de départ à une sociologie de la publication et de la lecture dont l'intérêt est évident pour l'étude de la réformation catholique en son écho social, prélude nécessaire à une étude quantifiée des thèmes. /. Définition. Production Une première constatation s'impose, les préparations à la mort sont des textes neufs. Si l'on excepte quelques grands titres de la fin du xvie siècle, Bellar- min, Richeome, Scupoli, repris et réadaptés, on ne voit plus paraître au catalogue des imprimeurs ni les grands succès médiévaux, YArs moriendi, Y Art au morier ou YArte moriendi de Gerson, ni les principaux auteurs de l'âge des réthoriqueurs, G. Chastellain, Jean Molinet, Jean Castel, ou le tractatus de Jacob Van Juterbock, ni même les best-sellers humanistes, Clichtove, Doré, Columbi et bien sûr Érasme dont Y Art de mourir, qui fait toutefois partie de l'édition des œuvres complètes publiées à Leyde en 1706, avait été réédité une fois en latin à Paris en 1 685 et traduit en 1711. Pour ce seul auteur, comparées à la vingtaine d'éditions connues pour le xvie siècle, ces trois publications font piètre figure et soulignent un changement de climat 7. Deuxième leçon d'évidence, le nouveau discours sur la mort proclame le triomphe des mots sur l'image 8. A l'opposé des multiples éditions de YArs moriendi qui montrait le pouvoir édifiant de l'image dans une union indissoluble du texte et des figures, les préparations à la mort de l'âge baroque et classique parient sur la puissance du verbe contre les facilités concrètes de l'illustration. Sur un sondage plus exhaustif d'une centaine d'ouvrages, un quart seulement présente une figuration quelconque, et moins de 5 % une série diversifiée. De surcroît, une épuration progressive est à noter, avant 1650, 47 % des titres ont une illustration, de 1650 à 1700 on tombe à 23 %, et pour l'ensemble du xviiie siècle à moins de 10 %. L'instruction religieuse ne passe pas ici par la méditation des allégories sacrées. Dans leur conseil pratique les auteurs ne l'oublient cependant pas. Ainsi dans les années 1600-1620 le Père Binet et le franciscain Blancone. 77 AUTOUR DE LA MORT II sera bon de faire apporter en la chambre des tableaux excellents tant en beauté qu'en la représentation de quelques belles histoires, un beau crucifix, une Notre Dame qui vous regarde de bon œil, un Saint Etienne grêlé d'un orage de cailloux, qui meurt du mal de la pierre, Saint Sébastien qui sert de buttes aux archers d'enfers (sic). Parlez avec eux sans mot dire, dialoguez non de la langue mais d'yeux à yeux. Ils parleront au cœur 9. L'image conserve pour le pédagogue jésuite toute sa fascination, mais c'est un support isolé de l'expérience spirituelle, une aide à la méditation sans doute conforme à la pratique ignacienne et aux habitudes des grands spirituels du temps. Plus pathétiques et plus réalistes sont les exigences de Blancone l0 soucieux de familiariser le malade avec l'adversaire fatal. (Il faut) imprimer sur les tablettes de son âme l'horrible figure d'icelle (la mort), et non seulement l'avoir en mémoire, mais encore dépeinte sur quelque tableau ou toille et pour mieux l'engraver en son cœur faire crayonner sur toille un malade tout pasle que le front lui sue, les yeux ternis, le visage maigre et tout transfiguré, semblable à un qui soit sur le point de faire ce passage... Et d'un côté du lit, on voit la mort laquelle face (sic) semblant avec les bras ouverts le vouloir prendre, de l'autre part, soit dépeint un démon qui tienne livre en main montrant le nombre et saleté des péchés, ou soit encore le bon ange qui le uploads/Litterature/ daniel-roche-la-memoire-de-la-mort.pdf
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- Publié le Mai 14, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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