Texte tiré de Doise, W. (1982). L’explication en psychologie sociale, 97-102, P

Texte tiré de Doise, W. (1982). L’explication en psychologie sociale, 97-102, PUF. Si les études sur la normalisation s’intéressaient aux modalités de convergence des réponses de divers individus, les études sur le conformisme étudient les conditions qui amènent un individu à adopter les positions d’un autre individu ou d’un groupe (ou du moins à s’en approcher), souvent même en dehors de toute pression à l’influence explicite de la source d’influence. Les expériences réalisées par Asch à ce propos (1951, 1956) constituent le prototype d’une masse énorme de recherches empiriques. Décrivons brièvement le paradigme de base : un sujet expérimental est placé en compagnie d’autres individus ne diffèrent pas apparemment de lui, mais qui en réalité sont des compères. La tâche qui leur est proposée consiste à juger à laquelle des trois barres variables est égale à une barre-étalon. La réponse ne pose en réalité aucune difficulté, les stimuli étant sans ambiguïté. Cependant le sujet « naïf » qui répond en avant dernière position se voit confronté à une même réponse incorrecte, donnée unanimement par plusieurs compères, à un nombre important d’essais. Les résultats montrent qu’un peu plus du tiers des réponses des sujets expérimentaux est affecté par la réponse incorrecte du groupe. Dans ces cas, un processus d’influence, le conformisme, a pris place. Nombreuses sont les expériences qui confirmèrent cet effet « Asch », et qui varièrent les conditions de son apparition. Les interprétations avancées pour rendre compte de l’influence sociale apparaissant dans de telles conditions considèrent que les phénomènes mis en évidence concernent l’influence d’une majorité sur une minorité. Le sujet ne se trouve-t-il pas en effet seul à dévier des réponses données par une majorité numérique par ailleurs consensuelle ? Les relations prises habituellement en considération pour l’explication sont celles qui sont établies hic et nunc par les protagonistes de la situation. Tout comme pour l’effet de la normalisation, les explications les plus courantes de l’effet de conformisme ont donc été élaborées aux niveaux I et II et à leur articulation (voir Ricateau, 1970-1971, et Mugny et Doise, 1979, pour une revue des explications). Mais il est plus important de décrire ici comment les travaux de Moscovici (1979) ont élargi le cadre de cette interprétation et comment Mugny (1981) à son tour, essaie de situer cette réinterprétation de Moscovici dans un contexte plus sociologique. 1-Asch : effet majoritaire ou effet minoritaire ? L’explication traditionnelle de l’effet Asch reposait, donc, sur une définition en termes des relations interindividuelles et intra-situationnelles : étaient définies comme majoritaires des entités sociales numériquement plus nombreuses que les sujets expérimentaux ; trois quatre ou neuf compères répondant incorrectement ne sont-ils pas majoritaires face à un unique sujet expérimental ? Si cela paraît plausible en termes numériques, le sujet expérimental défendant sa position seul contre plusieurs personnes unanimes, cela ne l’est plus si l’on considère la nature des réponses alternatives. En effet, dans le paradigme de Asch, la « majorité » oppose aux réponses correctes du sujet des réponses totalement erronées ; le conflit qui amène à une influence résulte bien d’ailleurs de l’incertitude du sujet placé entre l’évidence perceptive et le consensus « majoritaire » sur une réponse absurde. Dès lors, on peut avec Moscovici considérer que la norme sociale reconnue hors laboratoire est remise en cause par la source. En effet, les sujets arrivent dans la situation expérimentale avec leurs schémas habituels d’évaluation des différences de longueur. Ces normes sont partagées par tous les membres d’une communauté, du moins dans les limites de normalité que celle-ci définit. Dès lors, les compères, en remettant en question ces schémas habituels de jugement, schémas partagés par les sujets expérimentaux, constituent, en termes normatifs, une entité minoritaire, et non majoritaire. En termes de normes donc, l’influence exercée par ces compères, même supérieurs en nombre, témoignerait non d’un effet majoritaire, mais des potentialités d’influence minoritaire. Cette réinterprétation relève donc du quatrième niveau d’analyse, puisque les relations propres à la situation expérimentale sont reliées aux systèmes de représentation en vigueur dans une société donnée. L’explication de l’influence minoritaire donnée par Moscovici même, qui s’appuie sur des résultats anciens ou nouveaux, intègre néanmoins aussi les deux premiers niveaux d’analyse. Plus précisément, l’influence minoritaire trouverait sa source dans la consistance diachronique ou intra-individuelle (répétition dans le temps de la même réponse ou du même système de réponses), et dans la consistance synchronique ou interindividuelle (consensus des membres de la minorité). Ces variables entraînent notamment (et surtout dans une situation de tension créée par un conflit) l’activation de processus d’intégration de l’information provenant d’autrui, ou de processus d’attribution, tels qu’ils ont été décrits dans les travaux classiques sur l’influence sociale. 2- L’effet Moscovici Voyons maintenant plus en détail les nouvelles manipulations proposées par Moscovici pour illustrer les potentialités minoritaires d’influence, et notamment les opérationnalisations des deux types de consistance, synchronique et diachronique. A l’instar du paradigme de Asch, le paradigme développé par Moscovici, Lage et Naffrechoux (1969) est relativement simple : les sujets commencent par passer collectivement un test permettant d’assurer qu’ils disposent tous d’une vision correcte des couleurs. Après un dépouillement immédiat des tests perceptifs, on explique aux sujets que leur tâche consistera à attribuer un nom de couleur simple aux diapositives qu’ils verront. La couleur habituellement perçue est bleue. Dans les conditions expérimentales, deux des six sujets sont des compères de l’expérimentateur, qui jugent contrairement aux sujets expérimentaux, la diapositive comme étant verte. Dans une condition témoin, n’impliquant aucun comparse, les sujets donnent toujours la même couleur bleue. Dans une condition expérimentale où les compères sont consistants donnant pour tous les items une réponse contradictoire verte, 8,42% des réponses des sujets expérimentaux sont vertes, ce qui témoigne d’une influence minoritaire significative. Lorsque, par contre, les compères ne sont pas consistants, ne donnant que 66% des réponses vertes, il n’y a plus d’influence significative. C’est la démonstration de l’importance de la consistance diachronique minoritaire. Quant à la consistance synchronique, elle consiste à varier le taux d’accord entre les membres de la minorité. Si l’on ne dispose pas de vérification directe de l’effet de ce type de consistance, on peut cependant l’illustrer par de nombreuses expériences classiques à propos de l’effet Asch, si, bien sûr, l’on accepte avec Moscovici qu’Asch a illustré les potentialités d’influence minoritaire, et non majoritaire. Parmi les travaux ultérieurs à la première formulation de cette réinterprétation (Faucheux, et Moscovici, 1967 ; Moscovici, Lage et Naffrechoux, 1969), on note une centration des recherches sur les processus d’attribution impliqués. Ainsi, par exemple, Nemeth, Swedlund et Kanki (1974) montrent que l’attribution de consistance ne dépend pas que de la répétition d’une même réponse, mais qu’elle peut également apparaître lorsque des réponses différentes coïncident avec des modifications dans les stimuli, la cohérence perçue dans ces changements assurant une influence minoritaire significative. De même, Nemeth et Wachtler (1973) montrent comment le choix par la source minoritaire d’une position stratégique autour d’une table lui assure plus d’influence dans la négociation que la simple assignation de cette place par l’expérimentateur. Pour être perçue et permettre l’influence, la consistance doit parfois être rendue saillante au travers de certains comportements. Or, ces recherches, bien qu’inspirées par la réinterprétation de Moscovici, relèvent davantage d’explications articulant les deux premiers niveaux. En effet, les théories de l’attribution (notamment Kelley, 1967) auxquelles l’idée même de la consistance semble être directement empruntée, ne considèrent que les attributions dans le cadre des relations interindividuelles immédiates. Il n’est donc pas étonnant que certains auteurs tentent de réinterpréter les travaux de Moscovici en fonction des approches classiques critiquées par Moscovici même (Wolf, 1977 ; Doms, 1978 ; Cramer, 1975). Ainsi, Doms, émet l’hypothèse qu’une minorité de deux individus répondant les premiers dans un groupe de six peut influencer le premier sujet expérimental en tant que majorité : dans ce cas en effet, le sujet naïf se trouve opposé à des individus supérieurs en nombre. Il en va de même pour les sujets naïfs suivants, bien que pour eux la probabilité augmente qua la « majorité » ne soit pas unanime, le ou les sujets naïfs précédents ne se conformant pas nécessairement. Ses données expérimentales confirment partiellement une telle interprétation. Il faut souligner que le paradigme de Moscovici prête largement le flanc à une telle critique, et cela pour une bonne raison : Moscovici et ses collaborateurs, même en inscrivant le processus d’influence dans des systèmes normatifs (cf. Lage, 1973 ; Moscovici et Lage, 1978), continuent de définir des entités majoritaires et minoritaires en termes numériques : quand ces auteurs manipulent (comme le répliqueront Doms et autres) le caractère minoritaire ou majoritaire de la source en introduisant deux ou quatre compères, parmi des groupes de six, en quoi a-t-on réellement avancé, du point de vue de l’opérationnalisation en ce domaine ? D’autre part, une apparente contradiction apparaît entre les résultats de quelques expériences manipulant la consistance : celle-ci n’est pas toujours source d’influence, dans certains cas, elle peut donner lieu à des phénomènes de rejet. Schachter (1971) en étudiant les phénomènes de déviance, fait ainsi l’hypothèse qu’un déviant qui reste sur sa position sera davantage rejeté uploads/Litterature/ doise-w-1982-l.pdf

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