Poésie & Philosophie Marseille 10, 11, 12 octobre 1997 c p M i ƒ a r r a g o Po

Poésie & Philosophie Marseille 10, 11, 12 octobre 1997 c p M i ƒ a r r a g o Poésie & Philosophie © cipM, 2000 Rencontres organisées sous l’égide du centre international de poésie Marseille par Jean-Claude Pinson (Université de Nantes), Pierre Thibaud (Université de Provence), Jacques Chabot (Université de Provence) et Emmanuel Ponsart (cipM). Textes réunis par Jean-Claude Pinson et Pierre Thibaud Dans la même collection (distribution cipM) États Généraux de la Poésie isbn : 2-909097-08-0 352 pages – 100 francs Enseignement & Poésie isbn : 2-909097-18-8 216 pages – 75 francs Poésie & Philosophie Rencontres de Marseille 10, 11, 12 octobre 1997 c p M i ƒ a r r a g o « Une philosophie pour les sciences existe. Il n’en existe pas pour la poésie. » Lautréamont Si les poètes de notre siècle ont su trouver chez les peintres des « alliés substantiels », il leur est aussi arrivé de se tourner vers les philosophes, dans la mesure où ceux-ci pouvaient être pour eux de ces « grands astreignants », dont, selon René Char, la poésie la plus exigeante ne saurait se passer. Réciproquement, que ce soit pour y chercher un appui en vue d’une pensée renouvelée, ou que ce soit pour y scruter et questionner une modalité majeure du langage, les philosophes n’ont pas été tous indifférents à la poésie. Sans doute la question des rapports de la poésie et de la philosophie ne saurait-elle se résumer à cette figure spéculaire. Sans doute aussi bien des choses ont-elles changé depuis le tour spéculatif donné à cette relation par les Romantiques de Iéna. C’est pourquoi il nous a semblé nécessaire, si l’on voulait faire le point sur cette très ancienne question, de la reprendre au plus près comme du plus loin, en même temps que nous avons souhaité qu’elle puisse être traitée à partir de points de vue divers et explorée selon ses dimensions multiples (contemporaine et historique, logique et ontologique, métaphysique et éthique...). Dans cette optique, il a été fait appel tant à des poètes qu’à des philosophes (à des poètes-philosophes et à des philosophes-poètes aussi), ainsi qu’à des historiens de la littérature ou de la philosophie, issus d’horizons fort différents. Avant-propos Que ces Rencontres puissent avoir fait date, ce n’est évidemment pas à nous d’en décider. Au moins remar- quera-t-on que s’y sont fait fortement entendre des points de vue marqués par la philosophie analytique ou le néo- pragmatisme. C’est là sans doute, à soi seul, une nou- veauté, compte-tenu de ce que la question n’avait guère été jusque là, tant pour les poètes que pour les philosophes, posée, à notre époque, qu’à la seule lumière des divers courants de la philosophie allemande. Au-delà, nous ne pouvons que souhaiter que ces Rencontres aient contribué à ce que la philosophie et la poésie continuent de se nourrir de leur dialogue et de leur différend sans fin. Jean-Claude Pinson et Pierre Thibaud Modérateur Roger Pouivet Intervenants Jean-Claude Pinson De la pluralité des poésies « pensantes » Dominique Janicaud De l’âge des poètes à celui des philosophes ? Poésie et philosophie peuvent-elles échapper à leur fascination réciproque ? (« Philosophie et poésie, vieille affaire allemande » ?) — — Situation — Poésie et philosophie en miroir ? 11 1. Une critique (au sens kantien) de la raison poétique a son point de départ dans la mise en lumière des antino- mies constitutives de la poésie moderne, s’il est vrai que la modernité poétique est fondamentalement tendue (plutôt que partagée) entre une postulation théologico-poétique, une visée « spéculative », d’un côté, et une propen- sion, déconstructrice du sens et de la représentation, à « faire venir au premier plan », for its own sake, son médium, le langage, de l’autre. J’envisage ici cette critique sous l’angle théorique du pouvoir ou de l’impouvoir de la poésie à « penser » (à connaître par-delà les modalités de la connaissance d’entendement). Une critique de la raison poétique moderne pratique s’interrogerait quant à elle sur la réalité ou l’illusion d’une « action suprême » de la poésie, sur sa capacité ou son impuissance à « changer la vie ». L’antinomie se laisse alors décrire par l’opposition d’une thèse qui affirme que le poète, par le pouvoir de la langue, gouverne secrètement le monde (position « roman- tique » qu’on peut trouver, par exemple, chez Hugo von Hofmannsthal) et d’une antithèse pour laquelle la poésie « ne fait rien arriver » (position sceptique exprimée par Wystan H. Auden). Cf., sur ce sujet, mon article « Légère machine d’existence... » (De l’action poétique aujourd’hui), in Dix-neuf/Vingt, no 6, octobre 1998, p. 131-150. De la pluralité des poésies « pensantes » Jean-Claude Pinson « L’égoïste esthétique est celui qui se contente de son propre goût (...) À l’égoïsme, on ne peut opposer que le pluralisme : cette manière de penser consiste à ne pas se considérer ni se comporter comme si on enfermait en soi le tout du monde, mais comme un simple citoyen du monde. » Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, § 2. La poésie est la pensée par excellence/ la poésie ne pense pas Parce qu’il se noue autour de la question du sens, le conflit moderne des poétiques (celui qui voit s’opposer poétique du sens et poétique de la lettre ou du texte), trouve un de ses points névralgiques d’application dans la question du lien entre « poétiser » et « penser » – dans celle du rapport de la poésie à la philosophie. Et s’il est vrai que s’affrontent une thèse « romantique », spéculative (dogmatique), qui soutient que la poésie non seulement pense mais est la pensée même, la pensée la plus haute, et une antithèse « formaliste » (sceptique), pour laquelle la poésie au contraire ne pense pas, alors la figure kantienne de l’antinomie peut n’être pas sans pertinence pour tenter d’éclairer l’actuelle situation de la poésie au regard de de la pensée et de la philosophie 1. Poésie & Philosophie 12 La poésie, plus philosophique que la philosophie Lorsqu’on parle de poésie « pensante » ou « pensive », ce qui immédiatement vient à l’esprit, c’est l’idée d’une poésie métaphysique, « spéculative », préoccupée de fins dernières et de réalité ultime ; ou bien d’une poésie « ontologique », dotée d’un accès privilégié à l’Être. On ne songe guère que puisse être aussi (mais autrement) « pensante » une poésie moins enivrée de spéculation. C’est avec les Romantiques de Iéna, dans le sillage de l’idéalisme allemand, que se fait d’abord jour une telle représentation sublimée de la poésie. Renonçant à transmettre et illustrer des savoirs profanes ou sacrés, n’accep- tant plus de se suffire de jeux discursifs à base d’ornements descriptifs et de développements narratifs, la poésie prend désormais en charge une interrogation métaphysique et ontologique 1. Kant, récusant tout mysticisme philosophique, niait que l’homme puisse jouir en quelque façon d’une intuition intellectuelle. C’est pourtant elle que les Romantiques de Iéna cherchent à rétablir dans ses droits, en la mettant au crédit de la poésie. Celle-ci continue ainsi, par d’autres moyens, une religion et une métaphysique décrédibilisées par la critique des Lumières. « Le vrai poète est toujours demeuré prêtre », écrit Novalis, tandis que Coleridge définit de son côté la poésie comme « interruption volontaire du refus de croire ». Avec le premier romantisme allemand, la poésie entre ainsi dans son âge philosophique. Elle se fait « poésophie » : elle est la vraie sagesse, le vrai savoir, la vraie philosophie. Plus philosophique que la philosophie elle- même. En effet, supérieure à toutes les autres facultés et formes de langage et de pensée, la poésie, comme puissance d’imaginer et fille du verbe absolu, devient connaissance suprême. Réalisant absolument cette identité du sujet et de l’objet, du moi et de la nature, que cherche à atteindre de son côté la philosophie de Hegel, procédant selon un mode de connaissance plus intuitif que discursif, portée par la fulguration des images plutôt que par ces longues chaînes de raisons qu’emprunte patiemment le concept hégélien, la poésie est 1. C’est bien ce que Leopardi, prenant, avant sa « conversion » philosophique, le parti des classiques, reprochera aux poètes romantiques : « ils font, dit-il de ces derniers, tous leurs efforts pour rendre la poésie abstruse, métaphysique et hors de portée de l’intelligence commune » (cf. Discours d’un italien sur la poésie romantique, 1818, trad. Joël Gayraud, Allia, 1995, p. 50). 13 De la pluralité des poésies « pensantes » censée penser d’autant plus profondément qu’elle tourne davantage le dos au calcul. Le poème est le plus haut noème ; le nou ~s ne peut s’accomplir que poétiquement, par-delà toute dianoia, tout calcul. En outre, surmontant la dualité de l’image et du concept, du savant et du populaire, elle est censée valoir comme mythologie moderne, comme nouvel Évangile capable de fournir à la communauté une fondation, non pas abstraitement juridique, mais ontologique, ontothéologique. Tel est du moins le message que l’on peut lire dans le fameux Plus ancien programme uploads/Litterature/ marseille-poesie-philo-97.pdf

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