1 Colloque international Savoir et Pouvoir à l’ère de la « modernité liquide »,
1 Colloque international Savoir et Pouvoir à l’ère de la « modernité liquide », organisé par Ana Maria Binet et Martine Bovo-Romoeuf à l’Université Michel de Montaigne – Bordeaux 3, les 9 et 10 juin 2011 (à paraître). Ada Tosatti Paris 3 – Sorbonne Nouvelle CIRCE Du mouvement de 1977 à la mythopoïèse de Wu Ming : engagement et écriture collective « È un lavoro da talpa quello che oggi si propone agli intellettuali rivoluzionari in un paese come l’Italia : nientemeno che l’ipotesi di un uso integrale degli strumenti di informazione e di comunicazione della società presente […]. Non un compito nuovo ; ma un compito liberato da spettri di estremismo infantile »1. Une place centrale, dans le cadre d’une enquête sur l’évolution dans la littérature italienne contemporaine de l’ancienne et complexe question de l’engagement dans et par la littérature, revient sans conteste au collectif Wu Ming qui depuis plus de dix ans occupe la scène littéraire de la péninsule avec les œuvres communes et individuelles de ses fondateurs2. La démarche créative de Wu Ming vise à revendiquer la valeur politique de la pratique littéraire à la fois sur le plan de la conception et de la production des œuvres, des contenus qu’elles véhiculent et de leur réception. Autrement dit ce collectif d’écrivains, dont les membres ne cessent d’exprimer par leurs articles critiques, par les interviews qu’ils accordent et par leurs prises de position, une implication militante au sein des mouvements sociaux (de Seattle à Gênes jusqu’à aujourd’hui)3, cherche à « engager » tout le processus d’existence de l’œuvre : de sa création à sa diffusion, de son accueil à son ultérieure, potentielle, transformation par les lecteurs. Par ailleurs, puisant ses racines dans les milieux du média-activisme, l’engagement littéraire de Wu Ming est indissociable de la 1 Franco Fortini, « Intellettuali e nuova sinistra », 1972, Questioni di frontiera, Turin, Einaudi, 1977, p.140. 2 Le collectif, dont le nom en mandarin signifie « sans nom », « anonyme », mais aussi « cinq personnes », était composé par Roberto Bui (Wu Ming 1), Giovanni Cattabriga (Wu Ming 2), Luca Di Meo (Wu Ming 3), Federico Guglielmi (Wu Ming 4) et Riccardo Pedrini (Wu Ming 5) jusqu’en 2008 quand le départ de Wu Ming 3 a transformé le quintet en quartet. Sauf précision, nous utiliserons le singulier Wu Ming pour nous référer à l’ensemble du groupe. 3 L’attention constante de Wu Ming pour l’actualité politique et sociale est témoignée par la newsletter Giap qui sur dix ans, de 2000 à 2009, a connu dix séries différentes et était envoyée à plus de 12 mille inscrits. En 2010, éprouvant le besoin d’un renouveau, après avoir supprimé la liste des abonnés à l’ancienne newsletter, le collectif en relance une nouvelle qui compte actuellement un peu moins de 3000 inscrits. 2 prise en compte du rôle que les nouvelles technologies jouent dans le développement de réseaux de solidarité et de résistance politique, dans la construction de communautés qui dépassent la sphère de la littérature4. Enfin, notamment par le biais de l’un de ses membres, le collectif a été à l’initiative d’un vaste débat sur la portée sociale de la littérature italienne contemporaine en forgeant, pour rendre compte de la résurgence de l’engagement civique dans les œuvres de nombre de jeunes auteurs italiens, la catégorie de « New Italian Epic »5. Au cœur des démarches esquissées ci-dessus, il est un point sur lequel nous voudrions nous arrêter car il apparaît comme étant la principale spécificité de Wu Ming : le principe de l’écriture collective. Nous aimerions ici établir une sorte de « généalogie » de la pratique de l’écriture collective en montrant comment elle reprend, concrétise et développe, à l’ère de la prolifération des flux de communication liés aux nouvelles technologies, certaines des intuitions qui avaient animé les représentants de l’aile créative de la dernière contestation de masse de la décennie soixante-dix : le mouvement de 1977. Un mouvement sociopolitique contradictoire que d’aucuns considèrent comme marquant un clivage, en Italie, entre la fin de l’époque moderne et celle « postmoderne » et lors duquel, incontestablement, la question du lien entre création et engagement, entre savoir et pouvoir, avait été posée avec véhémence avant la période dite du « riflusso » des années quatre-vingt. Ainsi, par exemple, l’un des principaux représentants de l’aile créative bolonaise, Franco Berardi Bifo, qui deviendra par la suite un spécialiste du média-activisme et du rôle politique des nouvelles technologies, écrit-il que le mouvement de 1977 « fu soprattutto la consapevolezza di un passaggio, che si preannunciava imminente, già in quegli anni. Il passaggio ad un’epoca “post”: l’epoca del post-industriale, del post-moderno, del post-sociale […]. Le decine di migliaia di giovani proletari che costituirono il movimento di autonomia creativa, altro non erano che l’avanguardia sociale dell’esercito del lavoro mentale, la figura sociale che costituisce la novità più importante nella transizione post-industriale »6. De façon significative, l’année 1977 est également celle d’un débat sur le rôle et la fonction des intellectuels dans la péninsule. S’il ne s’agit pas ici de retracer l’ensemble de la polémique – qui par l’opposition entre le « courage » et la « lâcheté » des intellectuels ramenait à l’ordre du jour la question de l’autonomie et de l’hétéronomie de ceux-là vis-à-vis de la sphère politique7 – il importe néanmoins de mettre en évidence qu’elle souligne une modification dans la perception du statut des intellectuels au moment où, sur l’autre versant, explose un mouvement de contestation marqué par l’appropriation des différentes fonctions « dell’agire intellettuale […] che riconosceva la parola, il segno, l’immaginario come effettivo oggetto della lotta, della trasformazione, come effettivi strumenti di produzione »8. En suivant le fil rouge qui des préfigurations du mouvement de 1977 conduit jusqu’à l’ultra- contemporain l’objectif de cet article est donc de s’interroger sur la pratique de l’écriture collective en tant que forme privilégiée de l’engagement à l’époque contemporaine, celle de la « modernité liquide » décrite par le sociologue Zygmunt Baumann, tout en soulignant les inévitables 4 Mis à part leur site e la newsletter Giap, Wu Ming utilise nombres d’autres instruments du Web 2.0 : des blogs et des sites thématiques mais aussi, par exemple, les réseaux sociaux Twitter et Anobii. A ce propos, voir l’interview à Wu Ming 1 de Francesco Spé sur l’utilisation de Twitter : http://lettereinrete.blogspot.com/2011/07/intervista-fiume-wu- ming-1.html 5 Wu Ming 1, New Italian Epic 2.0. Memorandum 1993-2008: narrativa, sguardo obliquo, ritorno al futuro, 2008, en ligne : http://www.wumingfoundation.com/italiano/WM1_saggio_sul_new_italian_epic.pdf. Pour le débat voir le site : http://www.carmillaonline.com 6 Dell’innocenza : l’anno della premonizione, Vérone, Ombre Corte, 1997 [1987], p.36-38. 7 Cf. Domenico Porzio éd., Coraggio e viltà degli intellettuali, Milan, Mondadori, 1977 et G.Orsini et P.Ortoleva éd., Alto là ! Chi va là ? Sentinelle o disfatttisti ?, Rome, Cooperativa giornalisti Lotta Continua, 1977. 8 Nanni Balestrini et Primo Moroni éd., L’orda d’oro, (1968-1977). La grande ondata rivoluzionaria e creativa, politica ed esistenziale, Milan, Feltrinelli, 2005 [1988], p.615. 3 transformations de cette notion dues aux différentes conjonctures socioculturelles et politico- économiques. D’ailleurs, comme le disait l’un des Wu Ming dans une interview liée à la promotion du film Lavorare con lentezza9 : « la memoria [del movimento del 1977, ndr.] non è un totem da venerare ma dobbiamo considerarla come una cassetta degli attrezzi da utilizzare per cambiare la vita nella realtà attuale »10. Par delà les événements plus directement politiques, la principale caractéristique du mouvement de 1977 réside dans sa tentative de joindre action politique et langagière, d’abolir – comme l’avaient déjà revendiqué les avant-gardes historiques – la séparation entre l’art et la vie quotidienne11. A l’origine de cette réflexion se trouvent notamment A/traverso et Radio Alice, deux expériences particulièrement représentatives des nouvelles instances et préoccupations qui émergent au milieu des années soixante-dix. En élaborant la notion de contre-information, très présente dans les débats de l’époque, le groupe bolonais de A/traverso s’en éloigne pour théoriser le rôle central du langage non pas en tant que rétablissement d’une vérité prolétarienne contre le « mensonge bourgeois » mais en tant qu’instrument d’une organisation autonome du social. Le concept-clé des créatifs du mouvement de 1977, développé par le groupe bolonais de A/traverso mais circulant dans toute l’aile créative, était celui de « transversalisme ». Par cette notion, née de la lecture d’un livre de Félix Guattari, Psychanalyse et transversalité12, il s’agissait d’affirmer non seulement une correspondance entre les différents plans de l’existence, entre la sphère publique et la sphère privée, entre l’art et le politique, entre l’inconscient et le langage, mais surtout de théoriser une pratique collective de l’écriture comme instrument de subversion politique : « L’istituzione ha finora recintato questi territori come sistemi indipendenti. Il territorio dell’inconscio, il territorio del linguaggio, il territorio della politica. Il lavoro di A/traverso mira a rimettere tutto questo in discussione. L’inconscio terreno della produzione di desiderio; iscrizione reciproca del desiderio nella storia (e della storia nel desiderio). Il linguaggio non come sistema ma come livello di una pratica che può essere collettivizzata a/traversata dal soggetto in trasformazione : soggetto collettivo che scrive uploads/Litterature/ du-mouvement-de-1977-a-la-mythopoiese-de-wu-ming-a-tosatti-1.pdf
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- Publié le Jul 13, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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