GEORGES DIDI-HUBERMAN APPARENTEMENTS DE L’ARTISTE LES ÉDITIONS DE MINUIT 18€ J

GEORGES DIDI-HUBERMAN APPARENTEMENTS DE L’ARTISTE LES ÉDITIONS DE MINUIT 18€ J 1 fa K !> -Kj. ISBN 978-2-7073-1681-3 lllllillllllllllllll 9 ll782707ll31681311 LA DEMEURE, LA SOUCHE L’artiste est inventeur de lieux. Il façonne, il donne chair à des espaces jusqu’alors improbables, impossibles ou impensables : apories, fables topiques. Le genre de lieux qu’invente Pascal Convert passe d’abord par un travail avec le temps : découpes de sites disparus, empreintes d’objets familiaux, vitrifications d’espaces de vie. La question topique de la demeure -1’appartement - se voit ici pensée comme une question généalogique, une question à’apparentement. L’œuvre de ce sculpteur - que hante la littérature de Mallarmé, d’Edgar Poe ou de Marcel Proust - sera donc exposée comme le récit d’exploration d’une étrange demeure de mémoire : pousser une porte inconnue, traverser un salon à lambris et à reflets, contempler des fenêtres qui donnent sur le sol, découvrir de mystérieuses anfractuo­ sités dans le mur, descendre vers la crypte de l’ancêtre... Dans cette fable, que mène secrètement le personnage à'Igitur, se construira le lieu commun d’une rêverie architecturale et d’une rêverie organique. Mais se révélera aussi un lieu commun au dessin et au temps : ligne avec lignage, trait avec extraction. Comme une souche d’arbre gravant en sa chair les traits de sa croissance, de ses accidents, de ses excroissances et, même, des circonstances de sa mort. I M h ii ! DU MÊME AUTEUR (suite page 18}) LX PEINTURE INCARNÉE. suivi de Le chef-d'œuvre inconnu par Honoré de Balzac, 19«5. DEVANT L'IMAGE. Question posée aux fins d’une histoire de l’art, 1990. CE QUE NOUS VOYONS. CE QUI NOUS REGARDE, 1992. PHASMES. Essais sur l'apparition. 1, 1998. L’ÉTOILEMENt . Conversation avec Hantai, 1998. LA DEMEURE. LA SOUCHE Apparentements de l'artiste, 1999. ÊTRE CRANE. Lieu, contact, pensée, sculpture. 2000. DEVANT LE TEMPS. Histoire de l'art et anachronisme des images, 2000. GÉNIE DU NON-LIEU. Air, poussière, empreinte, hantise, 2001. L'HOMME QUI MARCHAIT DANS LA COULEUR. 2001 LIMAGE SURVIVANTE. Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, 2002. IMAGES MALGRÉ TOUT, 200}. GESTES d a ir ET DE PIERRE. Corps, parole, souffle, image, 2005. LE DANSEUR DES SOLITUDES, 2006. LA r e s s e mb l a n c e pa r CONTACT. Archéologie, anachronisme et modernité de l'empreinte, 2008. SURVIVANCE DES LUCIOLES. 2009. QUAND LES IMAGES PRENNENT POSITION. L'œil de l’histoire, 1, 2009. REMONTAGES DU TEMPS SUBI. L’œil de l’histoire, 2, 2010. ATLAS OU LE GAI SAVOIR INQUIET. L’œil de l’histoire, 3, 2011. ÉCORCES. 2011. PEUPLES EXPOSÉS. PEUPLES FIGURANTS. L’œil de l’histoire, 4, 2012. SUR LE HL, 201}. BLANCS SOUCIS, 2013. PHALENES. Essais sur l’apparition. 2, 201}. SENTIR LE GRISOU. 2014. ESSAYER VOIR, 2014. PASSÉS CITÉS PAR JLG. L’œil de l’histoire, 5, 2015. SORTIR DU NOIR. 2015. PEUPLES EN LARMES. PEUPLES EN ARMES. L’œil de l’histoire, 6, 2016. PASSER. QUOI QU'IL EN COUTE, avec Niki Giannari, 2017. APERÇUES. 2018. DESIRER DÉSOBÉIR. Ce qui nous soulève, 1, 2019. GEORGES DIDI-HUBERMAN LES ÉDITIONS DE MINUIT LA DEMEURE, LA SOUCHE APPARENTEMENTS DE L’ARTISTE Édité avec le concours du ministère de la Culture et de la Communication Délégation aux arts plastiques CNAP - FIACRE (aide à l’édition) © 1999 by Le s Éd it io n s d e Min u it www.leseditionsdeminuit.fr ISBN 978-2-7073-1681-3 « Certainement subsiste une présence de Minuit. L’heure n’a pas disparu par un miroir, ne s’est pas enfouie en tentures, évoquant un ameublement par sa vacante sonorité. Je me rappelle que son or allait feindre en l’absence un joyau nul de rêve­ rie, riche et inutile survivance [...]. Et du Minuit demeure la présence en la vision d’une chambre du temps où le mystérieux ameublement arrête un vague frémisse­ ment de pensée, lumineuse brisure du retour de ses ondes [...]. » S. Mallarmé, Igitur (1869), Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1945, p. 435. » J . 1. Pièce rouge, 1996. Villa Itxasgoïti, vue en filaire (détail). IB w --------rYt-F------- -=------ 1 Tià:_ A — 1 iL-jifL I TI LA DEMEURE h 2. Reconstitution. 1991. Villa Itxasgoïti, vue d’intérieur (détail). Porte 11 Nous poussons une porte blanche, et s’ouvre devant nos yeux l’espace d’une demeure (fig. 1-2) dont nous ne pouvons prévoir l’extension, l’agencement ni le plan (le plan spatial ou le plan stratégique). Un plan, cela s’appréhende de haut, comme dans le jeu d’échecs ou comme lorsque nous cherchons un trésor à l’aide d’une vieille carte. Mais, ici, nous sommes à même le lieu de cette œuvre : nous adhérons trop à sa nou­ veauté pour en prévoir l’enjeu, la fin. Tant mieux. Cela nous obligera à éprouver notre regard dans son temps réel, qui est le temps de la surprise, du dessaisissement et, donc, à ne pas préjuger trop de ce que nous y verrons. Pascal Couvert est un jeune artiste, comme on dit. Cette expression, le critique d’art volontiers l’emploie pour ne point s’en inquiéter, ou pour peu lui deman­ der : il lui suffit généralement de cautionner en quel­ ques lignes ce qui, dans le « jeune artiste », d’abord procède de ses aînés - c’est-à-dire de l’histoire de l’art - 12 une modestie par- refermer aucune et, ensuite, «promet» pour l’avenir - l’avenir de rhis. loire de l’art - au titre de quelque nouveauté, théma. tique ou bien stylistique. Mon souci, mon point de vue seront tout autres. L’inachèvement temporel de ce travail, sa condition d'éclosion récente, exigent en fait du discours critique tout le contraire d’une hauteur de vue, avec ce que la hauteur pourrait signifier ici de prévenu, de hautain, voire de paternaliste (cette satisfaction assez courante chez le critique d’art, l’historien habitué aux maîtres d’autrefois, et même le philosophe trouvant un objet de plus pour la construction de ses certitudes). On ne peut pas, devant cette œuvre, croire la voir de haut. On ne peut pas croire ne pas y être dupe d’un plan. Il faudra donc se risquer sans plan dans la demeure, dans son dédale encore en construction. Au risque de ne pas s’y retrouver tout à fait. Cela exige de nous une éthique et ticulières. Il faudrait arriver à ne porte, c’est-à-dire ne boucler aucune interprétation qui assignerait un sens, une téléologie, bref, un avenir assuré quant à la signification générale de cette œuvre. D’un autre côté, il ne faudrait pas croire que la jeu­ nesse et l’inachèvement temporel relèvent fatalement d’une privation, d’une « immaturité », comme on le dit lorsqu’on projette sur les œuvres la mythologie triviale des âges de la vie (nous savons d’ailleurs bien qu’il existe des enfants plus graves que leurs parents, bien plus deux que leurs aînés). Il ne faudra donc pas croire qu’en cette demeure les portes restent battantes et indécises. L’inachèvement dont je parle signifie cer- 13 1. C’est sans doute la raison qui poussait Michel Assentnaker, dans un texte récent sur Pascal Convert (« Les Appariements de l’artiste », dans Pascal Convert. Appartement de l'artiste, Rome, Académie de France, 1990, p. 11), à citer cette phrase de Giorgio Agamben : «Comme toute quête authentique, la quête critique consiste, non point à retrouver son objet, mais à assurer les conditions de son inaccessibilité. » G. Agamben, Stanze. Parole et fantasme dans la culture occidentale WTl), trad. Y. Her­ sant, Paris, Bourgois, 1981, p. 9. tes une manière d’inaccessibilité1 - mais non pas une manière d’incomplétude, de moins-être ou d’absence de rigueur. Ne fermer aucune porte, donc, et travailler avec chacune dans l’attentive construction de son ouverture. Mais comment ? Si l’histoire nous fait défaut - elle est évidemment prématurée, puisque je ne peux pas dire aujourd’hui ce qu’<?5? cette œuvre, sa quiddité, elle qui n’est pas close, loin de là : une histoire ne ferait aujourd’hui que s’en remettre à son pire savoir-faire, celui de manier les ressemblances en tout sens -, que nous reste-t-il ? Il nous reste ce que Platon inventa lorsqu’un mystère s’offrait à sa pensée, par exemple, le mystère du lieu, dans le Timée. Il nous reste ce que Nietzsche exigeait de tout gai savoir : il nous reste la fable. Je veux dire l’invention d’une fable propice à nous faire voir cette œuvre. Entendons bien la limite de cette proposition : c’est la limite de l’arbitraire que porte en elle toute déci­ sion d’écriture. Ecrire une fable sur l’œuvre de Pascal Convert, c’est se risquer à lui écrire, à lui dédier une sorte de « pré-histoire », et donc à l’inventer plus qu’à l’ana­ lyser. Mais la puissance d’analyse - « faire voir cette œuvre » - a quelque chance de se déployer si la fable elle-même s’involue dans la forme de cette œuvre, c’est- 14 à-dire travaille avec les paramètres sut lesquels 1 œuvre travaille elle-même. Tel serait le pari théorique de la fic­ tion à engager : qu’elle « invente » 1 œuvre, mais au sens archéologique, c’est-à-dire qu’elle la mette au jour. Fût-ce partiellement. Le paradoxe, pourtant, semble criant. On se deman­ dera pourquoi une œuvre aussi peu littéraire pourrait bien appeler, a fortiori justifier, l’engagement d’une fable. Pascal Couvert invente des objets essentiellement visuels, doués uploads/Litterature/ la-demeure-la-souche-apparentements-de-l-x27-artiste-georges-didi-huberman 1 .pdf

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