Ferdinand Lot Études sur la bataille de Poitiers de 732 In: Revue belge de phil
Ferdinand Lot Études sur la bataille de Poitiers de 732 In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 26 fasc. 1-2, 1948. pp. 35-59. Citer ce document / Cite this document : Lot Ferdinand. Études sur la bataille de Poitiers de 732. In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 26 fasc. 1-2, 1948. pp. 35-59. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-0818_1948_num_26_1_1771 ÉTUDES SUR LA BATAILLE DE POITIERS DE 732 I. — D'une identification fallacieuse du lieu où Charles Martel battit les Arabes en 732. On lit dans l'Histoire de France de Lavisse, au t. II, lre part ie, p. 260, au chap. I du 1. III, dû à M. Kleinclausz : « Eudes s'est résigné à demander secours à Charles Martel, qui marche contre les Sarrasins et rencontre leur avant-garde à Genon, près de Poitiers, au confluent de la Vienne et du Clain. Pendant sept jours Chrétiens et Musulmans s'observent. Enfin le samedi 17 octobre la bataille s'engage, etc. » D'où l'auteur tire-t-il l'identification du lieu de la bataille avec Cenon (*), qui, pour le dire en passant, n'est pas « près de Poitiers », mais à 28,5 kilomètres au Nord ? Il n'est pas douteux qu'il la tire, comme son récit de la bataille, de l'excellente monog raphie consacrée à Charles Martel, parTheodorBreysig.en 1869, dans la collection des Jahrbiicher des frankischen Reiches. On y lit, p. 67 : « Südlich von Tours, eine Meile von dem alten Poitiers, bei dem jetzigen Flecken Cenon, traf der Vorhut der Araben im Oktober (732) auf die Truppen Karls. Sieben Tage lang standen die Heeren einander beoabachtend gegenüber ; endlich stellten sie sich an einem Sonnabend in Schlachtord- nung, etc. » M. Kleinclausz a compris la phrase « eine Meile von dem al ten Poitiers » comme si Cenon était près (à un mille) de l'an- (1) Vienne, arrondissement de Châtellerault, canton de Vouneuil-sur- Vienne. 36 F. lot (2) tique cité de Poitiers. C'est une méprise. Breysig a voulu par ler de Vieux-Poitiers, qui se trouve, en effet, dans la commune de Cenon, à une distance d'un mille du centre (*). Et maintenant, d'où Breysig a-t-il tiré cette identification ? Il nous le dit, à la note 4 de la page 67 : d'une étude parue dans le Spectateur militaire (2) et due à un officier d'État-major alors résidant à Poitiers, Saint-Hypolite, auquel on doit d'au tres études sur les combats livrés près de Poitiers, à Vouillé en 507, à Maupertuis en 1356. Sur quoi se fonde Saint-Hypolite? Sur le récit d'un Arabe, témoin oculaire de la bataille, Cid Osmin ben Arton. Celui-ci raconte que « les Arabes continuant leur route vers le nord traversent plusieurs provinces où ils font un riche butin : « Déjà notre avant-garde était à Senone, lorsque nous apprîmes que Charles, duc des Francs d'Austrasie, rassemblait de grandes forces et se portait en Touraine pour nous prendre par derrière et nous couper la retraite. » Qu'est-ce que Sénonet Saint-Hyp olite remarque que quatre localités de ce nom, sous des gra phies diverses, se rencontrent en France, l'une dans la Vienne, l'autre dans les Vosges, une troisième dans la Meuse, une qua trième dans la Mayenne. Il fait choix naturellement de la première Cenon, identifiée par lui à Senone (p. 272, note 2). Où a-t-il trouvé le passage de l'auteur arabe, ayant pris part à la bataille? Il ne le dit pas et Breysig n'est pas sans s'en étonner. Quel est cet auteur Cid Osmin ben Arton? Je crois connaître de nom la quinzaine de compilations ara bes, depuis l'Akbar Majmoua, rédigée dans la seconde moitié du vme siècle, jusqu'à Al Makkari mort en 1630. Le nom de Cid Osmin m'est inconnu. Il m'inspirait une profonde défiance et je songeais à interroger des confrères arabisants. Mais je n'ai pas eu besoin d'avoir recours à leur science. L'Histoire des invasions des Sarrasins en France de Reinaud que je consultais, une fois de plus, me mit par hasard sur la (1) Sur Vieux-Poitiers, voir Camille Jullian, Histoire de la Gaule, t. VI, p. 407 note 1. (2) Année 1843, t. XXXVI, p. 270-278. (3) ÉTUDE SUR LA BATAILLE DE POITIERS DE 732 37 piste. La piste me conduisit à l'Histoire de Touraine de J. L. Chalmel, t. I, publiée en 1828. Voici ce qu'on lit à la page 225 : « La longue incertitude qui a existé sur le lieu où s'est donnée cette bataille nous semble devoir disparaître au jourd'hui, non pas uniquement d'après la dissertation que nous avons publiée à ce sujet, mais d'après le témoignage d'un auteur contemporain qui fut lui-même acteur dans ce grand et terrible drame. On nous a communiqué l'extrait d'un manuscrit arabe traduit en espagnol, qui nous semble de nature à devoir lever tous les doutes. Voici en quels termes l'auteur arabe s'exprime en parlant de l'expédition d'Abderame : « Nous continuâmes notre route vers le Nord et nous tr aversâmes plusieurs provinces où l'on fit un riche butin.. .(sic). Déjà notre avant-garde était à Sénone, lorsque nous apprî mes que Charles Martel, duc des Francs d'Austrasie, ras semblait de grandes forces et se portait en Touraine pour nous prendre par derrière et nous couper la retraite. « Abdérame, qui désirait depuis longtemps se mesurer avec ce grand capitaine, fit aussitôt changer de marche à l'armée et nous dirigea sur Poitiers où nous arrivâmes le 8 de Redgeb... (sic). Cette ville fit une longue résistance, mais elle fut obligée de céder à la valeur des Musulmans qui la prirent d'assaut après dix jours de siège. Abdérame, irrité de la résistance que les Infidèles leur avaient opposée, les fit passer tous au fil de l'épée. « Malgré l'impatience du général Abdérame, ce capitaine, aussi sage que vaillant, jugea convenable d'attendre à Poi tiers que toute son armée fut réunie. Nous ne quittâmes cette ville que le ving-septième jour de la lune de Redgeb. L'armée marcha sur plusieurs colonnes à cause de la multi tude innombrable qui la composait ... (sic). Cependant nous apprîmes que Charles était arrivé à Tours avec une armée composée de soldats accoutumés à vaincre sous ses étendards. Cette nouvelle ne fit qu'enflammer le courage des Musulmans, qui n'aspiraient qu'au pillage des immenses richesses que l'on savait être rassemblées dans les temples des infidèles... (sic). Abdérame, redoublant de vigilance, nous fit marcher dans le plus grand ordre. Après avoir traversé deux rivières qui se jettent dans la Loire, nous arrivâmes dans une vallée sinueuse formée par une tro isième rivière que nous passâmes au moment où les espions qu'Abdérame avait envoyés à la découverte de l'ennemi vin rent lui rapporter que Charles était sorti de Tours et s'avan- 38 f. lot (4) çait avec son armée. .Abdérame fit alors faire halte sur la hauteur, dans une plaine assez étendue, presque déserte et couverte de bruyère Bientôt, à l'extrémité opposée de ces landes, nous vîmes paraître l'ennemi qui, nous apercevant de son côté, prenait position. Les deux armées restèrent pendant plusieurs jours dans un état d'hésitation ou d'observation, qui sans doute provenait de la grande idée que les deux chefs avaient l'un de l'autre et des précautions que chacun d'eux croyait devoir prendre pour s'assurer la victoire... (sic). « Pendant sept jours entiers nous essayâmes nos forces par des combats partiels où les avantages furent partagés. Enfin le grand Abdérame, craignant de voir se ralentir l'ardeur de ses braves Musulmans, donna l'ordre de livrer une bataille générale. « Le septième jour, qui était un vendredi, toute l'armée se mit en prières et invoqua le grand prophète (p. 228) Mohammed. « Le huitième jour qui était le seizième de la lune descha- ba (11 octobre), au point du jour, l'armée s'avança en bon ordre et attaqua les Francs sur toute la ligne... (sic). On ne pourrait décrire les hauts faits d'armes qui eurent lieu pendant cette fatale journée On combattait partout avec fureur ... Là des bataillons entiers contre d'autres batail lons ; ailleurs corps à corps. Charles et Abdérame se distin guèrent par le nombre de victimes qui tombaient sous leurs coups .. (sic). « ... (sic) Cependant, après des efforts prodigieux, nous commencions à faire plier les Infidèles lorsque nous enten dîmes un grand tumulte et nous apprîmes que le duc d'A quitaine Eudes était survenu avec des troupes fraîches ; qu'il avait attaqué notre arrière-garde et que, profitant du désordre occasionné par une attaque aussi imprévue, il avait massacré tous ceux qu'il avait trouvés dans le camp. Abdérame et ses Musulmans étaient inaccessibles à la peur, mais cette fâcheuse nouvelle causa un moment d'incertitude et de trouble qui n'échappa point à Charles et dont il se hâta de profiter. « Eudes se joignit à lui et les Francs, encouragés par ce renfort, revinrent à la charge et nous poussèrent avec une telle ardeur que le courage de nos Musulmans et de leur illustre chef ne put empêcher notre défaite. « Abdérame fit les plus grands efforts pour rallier ses trou pes et il y serait peut-être parvenu si un javelot lancé par une main ennemie uploads/Litterature/ e-tudes-sur-la-bataille-de-poitiers-de-732-f-lot.pdf
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- Publié le Aoû 30, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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