Edmond de Nevers L L’ ’a av ve en ni ir r d du u p pe eu up pl le e c ca an na
Edmond de Nevers L L’ ’a av ve en ni ir r d du u p pe eu up pl le e c ca an na ad di ie en n- -f fr ra an nç ça ai is s BeQ Edmond de Nevers (Edmond Boisvert dit de Nevers) (1862-1906) L’avenir du peuple canadien-français La Bibliothèque électronique du Québec Collection Littérature québécoise Volume 159 : version 1.0 2 L’avenir du peuple canadien-français 3 À mes jeunes compatriotes Soyons fiers et nous serons forts ! 4 Quelques considérations générales « Il fut un temps où, nous aussi, nous pouvions créer, dans les déserts américains, une grande nation française et balancer avec les Anglais les destinées du Nouveau-Monde. La France a possédé autrefois, dans l’Amérique du Nord, un territoire presque aussi vaste que l’Europe entière. ......Mais un concours de circonstances, qu’il serait trop long d’énumérer, nous a privés de ce magnifique héritage. Partout où les Français étaient peu nombreux et mal établis, ils ont disparu. Le reste s’est aggloméré sur un petit espace et a passé sous d’autres lois. Les quatre cent mille Français du Canada forment, aujourd’hui, comme les débris d’un peuple ancien perdu au milieu des flots d’une nation nouvelle. Autour d’eux, la population étrangère grandit sans cesse, elle s’étend de tous côtés, elle pénètre jusque dans les rangs des anciens maîtres du sol, domine dans leurs villes et dénature leur langue. Cette population est identique à celle des États-Unis. J’ai donc raison de dire que la race anglaise ne s’arrête point aux limites de l’Union, mais s’avance bien au-delà vers le Nord-Est. » 5 De la Démocratie en Amérique, par A. de Tocqueville – vol. 1er, p. 499 (Ouvrage publié en 1835). « Il faut remarquer toutefois qu’ici, également, l’élément étranger (canadien-français) périclite et qu’il finira probablement par se perdre au milieu de l’immigration anglaise ».1 Expansion of England, par J. B. Seely, p. 15 (Ouvrage publié en 1883). Nous commencerons bientôt le quatrième siècle de notre existence nationale. Il y a près de trois cents ans, on voyait sur les bords du Saint-Laurent, des hommes venus de France que, déjà, on appelait « les Canadiens ». Ils étaient braves, aventureux, intrépides et, les premiers, ils ont exploré presque toute l’Amérique septentrionale. De nombreuses générations de soldats et de colons, fiers du nom français, ont travaillé à élever l’édifice de notre nationalité pendant ces trois siècles, chacune apportant à l’œuvre sainte le concours de son activité, 1 It is however to be remarked that here too (in Canada) the alien element dwindles and is likely ultimately to be lost in the english immigration. 6 l’appui de sa foi ardente. L’édifice, cimenté par le sang de héros et de martyrs, a grandi au milieu des orages, sous l’effort des éléments hostiles, rendu plus inébranlable par tous les assauts subis. Les fondateurs de la Nouvelle-France vaincus, après un siècle et demi de luttes, n’ont pas su, ou peut-être daigné, transmettre à leurs fils un riche héritage de biens matériels, mais ils leur ont légué le souvenir de faits d’armes glorieux, d’admirables dévouements, d’existences héroïques. Cet héritage est de ceux qui conservent et fortifient les nations. Aussi, en dépit de toutes les prédictions pessimistes, nous avons survécu à l’abandon, à l’isolement, à l’oppression. Nous avons conquis le droit de vivre et de nous développer librement sur le sol américain, et rien n’entrave plus notre légitime expansion. Plus, peut-être, qu’aucun autre des peuples nouveaux qu’a vus naître l’ère moderne, nous possédons les conditions fondamentales essentielles pour assurer aux fils d’une même race une vie nationale distincte et durable. Les flots de la population anglo-germano-saxonne s’amoncellent, il est vrai, autour de nous ; nous ne sommes que deux millions, alors que, de l’Atlantique au Pacifique, de la Mer glaciale au golfe du Mexique, près de soixante-quinze millions d’hommes vivent dans 7 une espèce d’homogénéité, basée sur la prédominance habituelle de la langue anglaise. Mais la Suisse française ne progresse-t-elle pas, depuis plusieurs siècles, à côté de la Suisse allemande, que borne et continue géographiquement l’empire germain ? La Hongrie n’a-t-elle pas, de même, conservé sa langue et son caractère national au milieu des éléments slaves et tudesques qui l’environnent ? Il ne résulte d’aucune loi naturelle ou sociologique que la force d’attraction de tout continent soit plus grande que celle de quelques États frontières. Au surplus, il ne saurait être isolé au milieu des nations, le petit peuple à qui les mille voix de la renommée redisent constamment la gloire de sa mère patrie, et qui n’a qu’à lever les yeux pour voir celle dont il tient l’être briller au sommet du monde civilisé. * * * Pourquoi donc l’avenir de notre peuple reste-t-il encore un problème ? Pourquoi la foi en nos destinées semble-t-elle, peu à peu, s’éteindre au cœur de plusieurs des hommes qui composent nos classes dirigeantes ? Comment se fait-il que des penseurs dégagés de tout 8 préjugé, comme J.-B. Seely, aient pu prévoir la fin de notre nationalité et qu’ils s’attendent à nous voir disparaître dans l’œuvre d’unification de tout le continent nord-américain ? C’est que, depuis un quart de siècle surtout, des symptômes de décadence se font sentir parmi nous. C’est que l’âme canadienne-française, sortie de longues périodes de luttes, n’a pas encore trouvé sa voie et qu’elle s’est laissé envahir par l’apathie et l’égoïsme. Nous ne songeons plus guère à notre avenir que comme on songe au passé : c’est-à-dire avec un sentiment de douce quiétude auquel se mêlent, aux jours de fêtes nationales, quelques élans d’enthousiasme ; nous ne cherchons point à le préparer. Fidèles à notre foi, à nos traditions, à nos souvenirs historiques, vaguement confiants dans la mission de la race française en Amérique, nous en sommes venus à ne plus nous demander, même, quelle est cette mission. D’une longue hérédité belliqueuse, il est resté à un grand nombre d’entre nous une conception fausse du patriotisme. Un instinct de combativité s’est perpétué qui ne sait voir dans l’expansion active d’un peuple que la lutte contre les ennemis qui l’entravent ou s’y opposent. Or, depuis bientôt trente ans, nous n’avons plus guère de batailles à livrer pour la revendication de nos droits. Les qualités brillantes que nos pères ont 9 déployées pour défendre le sol de la patrie et conquérir les libertés constitutionnelles, nous n’avons presque pas songé, depuis qu’une paix absolue nous est assurée, à les utiliser dans un autre champ d’action, dans la culture des arts de la paix. Les uns, cédant à leur penchant invincible pour la lutte, se sont jetés avec ardeur dans les guerres puériles des partis, les autres se sont ralliés au culte exclusif de Mammon. Presque tous, cependant, nous sommes restés patriotes, mais de ce patriotisme inactif et aveugle dont on meurt. Notre nationalité résisterait à l’oppression, elle succombera par la tolérance, si nous ne nous hâtons pas d’ouvrir des champs nouveaux à l’activité des esprits, à l’ardeur des tempéraments. * * * Chez la plupart des peuples de l’ancien continent, la patrie exige beaucoup de ses enfants, elle leur impose de lourds sacrifices pécuniaires, des fatigues, des travaux pénibles ; mais elle ne demande aucune place exclusive dans leurs âmes. Le patriotisme y est un sentiment très bien porté, agréable, peu absorbant, presque un sentiment de luxe. On le manifeste à des époques fixes, par la proclamation des gloires du passé 10 et des espoirs de l’avenir, derrière un drapeau que la foule animée suit avec des vivats éclatants. Et cela suffit. L’amour du pays, chez les citoyens d’un grand État libre, peut se confondre, en dehors des époques troublées, avec les intérêts particuliers, les activités égoïstes. Des millions de sujets britanniques, de citoyens français ou américains peuvent fermer leur âme à toute préoccupation de race, de nationalité. Leur patrie n’en continuera pas moins son évolution normale avec la persistance des forces naturelles. L’abstention des indifférents n’aura pas beaucoup plus d’effet sur le destin de ces peuples que la vague qui se meurt dans les sables de la rive n’en peut avoir sur le cours des flots du Saint-Laurent. Pour nous, fils de la Nouvelle-France, il n’en est pas ainsi. Notre patriotisme doit rester actif, prévoyant, toujours en éveil. Nous n’avons pas le droit de nous retrancher dans un mol égoïsme. Chacun des descendants des 65,000 vaincus de 1760 doit compter pour un. La Providence, ne l’oublions pas, nous a tracé une tâche privilégiée entre toutes. Perdus au milieu d’innombrables populations étrangères, nous ne pouvons maintenir notre existence distincte qu’en nous élevant au-dessus du niveau général. Nous ne pouvons 11 être un peuple qu’à la condition d’être un grand peuple. * * * Quelques-uns de nos compatriotes, ai-je dit, doutent de l’avenir ; mais, pour l’immense majorité des Canadiens français, la disparition ou l’assimilation de notre race en Amérique ne paraît pas plus vraisemblable, dans les conditions de liberté et de sécurité où nous vivons, que l’effondrement d’une haute montagne ne paraît possible, sans un cataclysme, à ceux qui ont toujours vécu à son ombre. Dans une uploads/Litterature/ edmond-de-nevers-lavenir-du-peuple-canadienfrancais 1 .pdf
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- Publié le Jan 25, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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