Institut National des Langues et Civilisations Orientales École doctorale N°265

Institut National des Langues et Civilisations Orientales École doctorale N°265 Langues, littératures et sociétés du monde CERMOM, EAD 4091 THÈSE présentée par Mohamed Saad Eddine EL YAMANI soutenue le 13 décembre 2014 pour obtenir le grade de Docteur de l’INALCO Discipline : Littératures et civilisations Al-Ḥaǧǧāǧ b. Yūsuf al-Ṯaqafī : entre histoire et littérature Thèse dirigée par : Madame Viviane COMERRO-DE PREMARE Professeur des universités, INALCO RAPPORTEURS : Monsieur Mohamed BAKHOUCH Professeur des universités, Université d’Aix-Marseille Madame Brigitte FOULON Maître de conférences (HDR), Université de Paris 3 MEMBRES DU JURY : Monsieur Mohamd BAKHOUCH Professeur des universités, Université d’Aix-Marseille Monsieur ‘Abdallah CHEIKH-MOUSSA Professeur des universités, Université de Paris 1 Madame Viviane COMERRO DE PRÉMARE Professeur des universités, INALCO Madame Brigitte FOULON Maître de conférences (HDR), Université de Paris 3 Monsieur Mohamed MAOUHOUB Professeur, Université Kadi Ayyad Marrakech 1 Remerciements Arrivé tardivement, ce travail a connu parfois des soubresauts et des hésitations, mais également parfois des joies. Plusieurs personnes m’ont apporté leur aide directement ou indirectement jusqu’à son point final. Madame Viviane Comerro de Prémare a su toujours se rendre disponible. Elle dissipait mes craintes et me poussait à mettre au clair certaines intuitions. Je la remercie tout autant pour son amitié que pour la rigueur qu’elle m’a aidé à acquérir tout au long de cette période. Madame Brigitte Foulon, Messieurs Mohamed Bakhouch, ‘Abd allah Cheikh-Moussa et Mohamed Maouhoub m’ont fait l’honneur de participer au jury de cette thèse. Qu’ils en soient vivement remerciés Ma femme Mounia et mes enfants Ismaël et Yahya ont dû parfois subir les contrecoups des épreuves endurées et se sont plus que souvent montrés très patients avec moi. Je ne saurai assez les remercier pour leur dévouement. Je dédie ce travail également à mes parents et à mes frères et sœur, pour leurs encouragements continuels. Je remercie vivement mes anciens collègues de la Bibliothèque de l’IMA, qui m’ont rendu plus de services qu’il n’en faut. 2 3 Introduction Mon intérêt personnel pour le personnage du tyran dans la littérature arabe est double. Il est littéraire, mais aussi politique. Au plan politique, étant donné mes origines, je ne pouvais pas ne pas m’interroger sur les régimes en place dans la majorité des pays arabes.1 En dehors de la terreur, de quelle légitimité disposent-ils ? Dans quelle mesure la religion leur servait-elle d’alibi ? N’étant pas politologue, mon intérêt pour la littérature a pris le dessus. Parti de l’impression que quelques romans arabes contemporains ont réussi à saisir avec une grande originalité le personnage du dictateur musulman, en s’appuyant sur les ressources de la littératures arabe classique (en particulier Zayni Barakat2 et La mystérieuse affaire de l’impasse Zaafarâni3 de Gamal Ghitany, ou Le calife de l’épouvante de Bensalem Himmich4), à en actualiser les traits, en s’inspirant d’œuvres médiévales avec lesquelles ils ont établi un dialogue intertextuel fertile, j’ai orienté mon travail vers les textes arabes plus anciens, afin d’y étudier le portrait du tyran depuis les origines de cette littérature. Ma recherche s’est alors arrêtée sur al-Ḥaǧǧāǧ b. Yūsuf al-Ṯaqafī (661-714). Le travail que je me suis donc proposé de réaliser s’inscrit par la force des choses à la croisée des chemins entre histoire et littérature. Cette orientation m’a été facilitée par le chevauchement qui a longtemps existé entre ces deux domaines que sont l’histoire et l’adab. Ainsi trouvera-t-on dans les œuvres historiques et dans les grandes anthologies littéraires de nombreux récits identiques, mais dont le traitement s’inscrit dans des visées différentes. La littérature arabe classique offre de nombreux exemples de tyrans. Mais le choix du personnage d’al-Ḥaǧǧāǧ n’a pas été difficile, étant donné qu’il représente dans la mémoire arabe la figure du tyran par excellence. On peut même dire qu’il en est l’archétype aussi bien politique que religieux. 1 Ce travail a été commencé bien avant le Printemps arabe de 2011. 2 Ǧamāl al-Ġīṭānī, Al-Zaynī Barakāt, Maktabat Madbūlī, Le Caire, 1975. Traduction française de Jean-François Fourcade, éditions du Seuil, 1985. 3 Ǧamāl al-Ġīṭānī, Waqāi‘ ḥārat al-Za‘farānī, Maktabat Madbūlī, Le Caire, 1985. Traduction française de Khaled Osman, Editions Sindbad, Arles, 1997. 4 Sālim Ḥīmmiš, Maǧnūn al-ḥukm, Riyāḍ al-Rayyis li-l-kutub wa-l-Našr, Londres, 1990. Traduction française de Mohamed Saad Eddine El Yamani, éditions du Serpent à plumes, Paris, 1999. 4 Al-Ḥaǧǧāǧ n’a pas accédé au poste suprême de calife, mais il n’en a pas moins joui d’un grand prestige auprès des califes Umayyades. Né à al-Ṭā’if, non loin de la Mekke, il gravira toutes les marches du pouvoir, jusqu’à devenir le célèbre puissant gouverneur que l’on connaît. La lecture des chroniques historiques que nous avons consultées jusqu’à maintenant offre un portrait négatif, celui d’un gouverneur sanguinaire et impitoyable. Il a déclaré une guerre sans merci à ‘Abdullāh b. al- Zubayr – fils de l’un des compagnons du Prophète et de Asmā’ bint Abī Bakr –, qui se refusait à reconnaître la légitimité umayyade et s’était proclamé calife dans le Ḥiǧāz. Les chroniqueurs rapportent également de nombreux récits relatifs à sa répression impitoyable de toutes les révoltes contre le pouvoir califal. Selon les chiffres avancés par certains récits, le nombre de ses victimes aurait atteint plusieurs dizaines de milliers de musulmans. Toutefois, depuis sa première apparition sur la scène politique, en Égypte, (en 72 de l’hégire) al-Ḥaǧǧāǧ a été un combattant infatigable de la cause umayyade. Jalonnée de guerres, sa vie tout entière aura été vouée à pacifier pour eux les terres en rébellion ou celles nouvellement conquises. Après avoir mis un terme au pouvoir zubayride du Ḥiǧāz, il sera désigné gouverneur de la partie orientale de l’empire musulman par le calife ‘Abd al-Malik b. Marwān, avec pour objectif d’y éteindre les rébellions kharijites puis, peu de temps plus tard, les révoltes qu’a connues le monde musulman durant près d’une décennie. Il usera de ruse, de sagacité, mais surtout, comme le soulignent ses détracteurs, d’une violence inouïe, au point que le calife, pour calmer les rebelles irakiens, fut sur le point de le révoquer. Ainsi se dessine l’image de l’homme d’État honni, que l’on doit se garder d’imiter. Se plaçant du point de vue de la piété musulmane, les historiens et les auteurs d’adab de l’époque médiévale rappellent de nombreux récits soulignant son impiété. Lors du siège qu’il a établi sur la Mekke, en 73, il s’est livré à des actes d’une cruauté extrême ; il n’a pas hésité à bombarder la Ka‘ba, en dépit du caractère sacré de ce lieu. Par ailleurs, plusieurs chroniqueurs rappellent un hadith attribué au Prophète qui prédisait que la tribu de Ṯaqīf (dont al-Ḥaǧǧāǧ est originaire) donnerait naissance à deux des personnages les plus controversés du premier siècle de l’islam : un imposteur et un homme sanguinaire. Plus tard, le premier fut identifié comme étant al-Muẖtār b Abī ‘Ubayd, tandis qu’al- Ḥaǧǧāǧ fut considéré comme le second. On le voit bien, dès les premiers écrits qui ont traité d’al-Ḥaǧǧāǧ, son portrait oscillait entre deux pôles : le politique et le religieux. A quelles nécessités répondait alors le portait du ṭāġiyya, du tyran, tel qu’il se dégage des nombreuses sources sur lesquelles nous avons travaillé ? Pourquoi les historiens médiévaux lui ont-ils consacré une place aussi importante, au point d’éclipser les califes au service desquels il était ? Ce portrait s’est-il fixé dès les premiers textes ou a-t-il évolué avec le temps ? Quels sont les aspects négatifs qui se sont maintenus tout au long de plusieurs siècles d’écriture historique ? Et quels sont aussi les aspects positifs que nombre d’historiens médiévaux 5 ont évoqués ? Quelles sont les différentes lectures idéologiques ou morales qui ont guidé de telles démarches ? Ce sont là quelques-unes des questions auxquelles nous avons tenté de répondre dans notre recherche. Pour ce faire, de nombreux documents appartenant à différents genres littéraires étaient à notre disposition. Or, comme les matériaux primitifs ayant servi à l’écriture de l’histoire de cette période mouvementée de l’empire musulman n’existent plus, nous nous sommes retrouvé face à des textes déjà élaborés. C’est-à-dire où l’ensemble des personnages, au premier rang desquels al- Ḥaǧǧāǧ, n’y sont plus que des représentations scripturaires dont il s’agissait d’appréhender l’agencement et les significations profondes. Notre souci premier ne sera donc pas de rechercher la véracité des faits. Certains événements5 sont décrits parfois de façon contradictoire d’un auteur à l’auteur, voire par le même auteur6. D’ailleurs, certains historiens étaient conscients de l’existence de faux aẖbār ou de façon plus générale de versions différentes du même événement. Ainsi le traditionniste du XIVe siècle, Ibn Kaṯīr, dans sa notice biographique sur al-Ḥaǧǧāǧ, impute-t-il à ses nombreux ennemis en particulier shiites, la masse de récits dépréciatifs le concernant. L’histoire, pour reprendre la fameuse phrase de Borges, est l’art de prophétiser le passé. L’historien a donc entre les mains un matériau brut ou déjà travaillé, dont il oriente la lecture selon ses visées esthétiques, idéologiques ou morales. Notre approche du personnage d’al-Ḥaǧǧāǧ est donc avant tout littéraire. Nous espérons toutefois en appréhender, ne serait-ce que partiellement, la dimension historique. De nombreux travaux théoriques nous ont aidé dans notre démarche, au premier rang desquels les œuvres de Paul uploads/Litterature/ el-yamani-mohammed-va-vd.pdf

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