vol. 16, n. 3 dezembro de 2020 issn 1980-4016 Linguistique intégrationniste et

vol. 16, n. 3 dezembro de 2020 issn 1980-4016 Linguistique intégrationniste et histoire sémiotique des mathématiques* Alain Herreman** Résumé : Cet article propose une présentation et une discussion de la linguistique intégrationniste de Roy Harris. On y rappelle la caractérisation du « mythe du langage », les critiques qui lui ont été adressées et les principes intégrationnistes proposés pour y répondre. Les thèses et les arguments intégrationnistes sont ensuite confrontés aux résultats de plusieurs études d'histoire sémiotique des mathématiques. Un examen du ressort de l'efficacité des critiques intégrationnistes permet de reconsidérer les conséquences qui en ont été tirées. Mots-clés : Linguistique intégrationniste; épistémologie; histoire des mathématiques; métalangage; écriture; numération. * DOI: https://doi.org/10.11606/issn.1980-4016.esse.2020.171300 . ** Maître de conférences en épistémologie et histoire des sciences. Ses recherches sont consacrées à l'histoire sémiotique des mathématiques et des sciences. Membre de l'Institut de Recherches Mathématiques de Rennes, France. E-mail: alain.herreman@univ-rennes1.fr . ORCID: https://orcid.org/0000-0001-5870-0235 . estudos semióticos estudos semióticos, vol. 16, n. 3, dezembro de 2020 46 Introduction epuis le début des années 1980 la linguistique intégrationniste a dégagé un ensemble cohérent de présupposés constitutif d'une conception du langage qu'elle juge erronée et qui caractérise ce qu'elle appelle le « mythe du langage ». Elle a dénoncé l'illusion d'un langage conçu comme un système pourvu d'une existence propre et l'incapacité de cette conception à rendre compte de la communication entre deux interlocuteurs. Elle lui oppose une conception alternative, dite intégrationniste, dans laquelle le langage est en premier lieu conçu comme un moyen de communication qui exclut tout système fixe et qui fait de la communication un acte toujours singulier, créateur et intégré au contexte dans lequel elle prend place, dont il est indissociable et dont aucune approche scientifique ne saurait rendre compte. Elle considère tout signe comme un processus de communication singulier, toujours nouveau et non comme une instance dérivée d'un schéma général préétabli. Dépourvu de structure préétablie, chaque signe doit être pris dans son milieu naturel, là où il est, là où il joue son rôle et tire sa signification en veillant à ne pas le dénaturer en l'isolant, en l'observant, c'est-à-dire en définitive en le changeant de contexte, et en en faisant un autre signe avec d'autres fonctions participant d'un processus de communication. Les travaux de la linguistique intégrationniste s'attachent à montrer l'incidence du « mythe du langage » sur les théories linguistiques ou sémiotiques les plus connues et au-delà sur les études portant sur des domaines très divers : enseignement des langues, histoire de la linguistique, histoire de l'écriture, histoire et philosophie des sciences, histoire de l'art, pratiques juridiques, etc. Ils mettent ainsi en évidence la récurrence d'une conception particulière du langage dans les traitements généralement proposés de ces sujets et leur adressent à partir de là des critiques souvent originales et pertinentes. La linguistique intégrationniste, avec ses critiques et ses principes, a déjà fait l'objet de nombreuses présentations. Celles-ci sont néanmoins le fait soit de sectateurs, qui présentent les thèses qu'ils veulent en même temps promouvoir, soit de linguistes qui se défendent contre les critiques qui leur ont été plus ou moins directement adressées. Les premières ayant les mêmes objectifs reprennent un peu toujours les mêmes arguments et les secondes sont souvent trop réductrices voire caricaturales, et ne rendent pas compte de l'intérêt et de l'efficacité des critiques intégrationnistes. Ce travail propose une présentation non intégrationniste de la linguistique intégrationniste ou encore une présentation d'un sympathisant qui n'en est pas pour autant un adepte. Nous voulons aussi confronter les critiques et les thèses intégrationnistes aux résultats de plusieurs études d'histoire sémiotique des mathématiques. Ces études, que nous avons réalisées, ont été en partie inspirées par des thèses souvent proches de celles de la linguistique intégrationniste, ce qui explique notre sympathie pour celles-ci, mais qui n'en suivent pas pour autant les principes. D Alain Herreman 47 Cette confrontation permet de reconsidérer les critiques intégrationnistes et de justifier que d'autres conséquences puissent en être tirées, de mieux distinguer les critiques des principes intégrationnistes et de préciser leur rapport. En effet, même quand leur pertinence est reconnue, les critiques intégrationnistes sont ensuite souvent écartées en raison de l'absence de perspectives alternatives offertes par cette approche. En explicitant le ressort de l'efficacité de ses critiques, nous voulons montrer qu'il est possible de reconnaître la pertinence et l'efficacité de celles-ci sans être obligé d'en adopter les principes. 1. Le mythe du langage La linguistique intégrationniste dénonce le fait que la plupart des considérations sur le langage présupposent un code fixe1. Ainsi, parler présupposerait une grammaire, une langue, une syntaxe, un lexique, etc. dont nos paroles seraient d'une manière ou d'une autre une instanciation ou une application2. L'opposition entre parole et langue introduite par Saussure en est l'illustration la plus célèbre. La langue est ici le code fixe que le linguiste présuppose et se donne pour tâche de décrire. Le Cours de linguistique générale est en grande partie consacré à établir cette distinction, à caractériser les éléments de la langue (unités différentielles, oppositives, arbitrarité du signe, etc.), à préciser leur rapport à la parole et à traiter dans ce cadre un ensemble de problèmes qui en découlent ; le rapport de la parole à l'écriture, l'analyse phonologique de la parole, la nature du signe linguistique, son immutabilité et sa mutabilité, la description synchronique de la langue puis sa variation diachronique et géographique. La parole ainsi fixée dans la langue peut dès lors être l'objet d'une étude scientifique. Saussure est à ce titre souvent reconnu comme le fondateur de la linguistique moderne. Sur ces mêmes bases et à sa suite, la phonologie, avec notamment les travaux de Troubetzkoï, Jakobson, Hjelmslev, etc., s'est attachée à décrire les systèmes phonétiques de différentes langues en en dégageant les unités, les phonèmes et les règles de combinaison à partir desquels tous les mots d'une langue sont supposés être formés3. La même 1 Cette question est développée dans la plupart des travaux de linguistique intégrationniste. Citons simplement : Harris (1981, 1998). 2 « Saussure's conception of langue is holistic: no part is isolable from any other part. So speaker and hearer share the whole linguistic code in common - or nothing. » (Harris 1987, p. 45-6) ; « This matching requirement in turn implies that for successful communication a fixed code must be in operation. This code, in the case of speech, is A's and B's common language (la langue in Saussurean terminology). If each were using a different code, i.e. speaking a different language from the other, then again communcation would break down. » (Harris 1998, p. 22) ; « The result is a dialect myth in which dialects are themselves construed as fixed codes, but differing in such a way as to allow them to stand as variants or subcodes in virtue of their relationship to some archetype. » (Harris 1998a, p. 46) ; «For treating ''the system'' as something located inside the speaker's head is another way of reinstating the docrtine of the fixed code.» (Harris 1998a, p. 49) ; «For the fixed-code theorist, words are defined by reference to languages, not vice versa.» (Harris 1998a, p. 68) ; « language (= fixed code) » (Harris 1998a, p. 70). 3 « Rules, as constitutive items of linguistic structure, are simply surrogationalist projections from ''de- prescriptivised'' rule-formulations. There is no more telling example of what modern linguistics owes to its pervasive (but unacknowledged) commitment to surrogationalism. Far from having the (largely estudos semióticos, vol. 16, n. 3, dezembro de 2020 48 démarche a été adoptée, au moins en principe, en sémantique avec l'introduction d'unités signifiantes de la langue, les morphèmes (Harris 1972, 1973). Ainsi les signifiants (phonologie) et les signifiés (sémantique) que les signes linguistiques mettent en relation ont chacun été considérés comme des codes fixes et décrits comme tels. En linguistique générale, Hjelmslev a repris plus systématiquement le point de vue de Saussure et s'est attaché a expliciter complètement le calcul de la structure d'un langage (Hjelmslev 2010, Herreman 2010). Le code fixe se retrouve dans la «structure profonde» de la grammaire générative qui en fait une composante du cerveau humain4. Pour Noam Chomsky et ses adeptes ce serait même là la seule manière de rendre compte de notre capacité à produire dès notre plus jeune âge des énoncés linguistiques à la fois nouveaux, donc en nombre illimité, et grammaticalement corrects. Ces théories, aussi diverses soient-elles, adoptent ainsi toutes l'hypothèse d'un code fixe. Le fait est d'autant plus remarquable qu'elles s'opposent sur à peu près tout le reste : la nature de ce code, ses caractéristiques, les conditions de son étude, la manière dont il est connu, la nécessité et la manière d'en donner une description. Les descriptions qui en sont effectivement données sont toutes à peu près aussi partielles et provisoires que le code est supposé fixe. L'hypothèse d'un code fixe va bien au-delà des théories linguistiques et se retrouve notamment dans les diverses approches structurales adoptées au cours du 20e siècle aussi bien en sciences humaines (anthropologie, psychologie, sociologie, histoire, philosophie, etc.), qu'en physique et en mathématiques (école uploads/Litterature/ estudos-semioticos-herreman-linguistique-integrationniste-et-histoire-semiotique-des-mathematiques 1 .pdf

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