13/3/2019 Figures de l’émergence de la francophonie dans les manuels scolaires

13/3/2019 Figures de l’émergence de la francophonie dans les manuels scolaires pour l’Afrique et Madagascar (1960-1970) https://journals.openedition.org/dhfles/461 1/9 Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde 40/41 | 2008 : L’émergence du domaine et du monde francophones Figures de l’émergence de la francophonie dans les manuels scolaires pour l’Afrique et Madagascar (1960-1970) MICHÈLE VERDELHAN-BOURGADE p. 241-252 Abstracts Français English Le français est resté après les indépendances la langue principale d’enseignement dans de nombreux pays d’Afrique, et des manuels ont été créés pour cela. On recherchera ici si la francophonie sous ses différents aspects apparaît dans les manuels scolaires destinés à l’enseignement du français en Afrique francophone, dans la tranche de temps située entre 1960 et 1970, après les indépendances, mais avant le développement de la francophonie institutionnelle. On observera la difficulté à distinguer textes français et textes traduits, et donc une sorte d’uniformisation de la littérature, qui laisse par ailleurs très peu de place aux langues nationales. Les auteurs francophones autres que français représentent environ un quart de l’ensemble, mais sont rarement situables dans un pays ou une époque. L’Afrique est traitée comme une entité, que ce soit au plan des thèmes abordés ou des valeurs exaltées. C’est ainsi à une émergence ambiguë et confuse qu’on assiste dans ces manuels, en matière de francophonie. French continued to be taught as the language of state in many post-independence francophone countries. How were the civilizational and cultural underpinnings of this choice portrayed in the textbooks used for French instruction during the period 1960-1970? In particular, were there hints of what would later become institutionalized francophonie, the project dedicated to cultivating transnational cultural and ultimately political community through linguistic practice? If so, how 13/3/2019 Figures de l’émergence de la francophonie dans les manuels scolaires pour l’Afrique et Madagascar (1960-1970) https://journals.openedition.org/dhfles/461 2/9 were these linguistic ties portrayed? In the first place, it is hard to distinguish between texts written in French and those that have been translated, few of which were originally penned in African national languages. Similarly, while non-French, francophone authors wrote about a fourth of printed texts, they are rarely linked to a particular nation-state or period. This kind of presentation erases the distinctions between and among national, African, and European literary productions and thus de-territorializes the work presented. It also helps turn Africa into a single, homogenized entity, attributing common themes and shared values to “Africanness.” I will argue that there are evocations of francophonie in these textbooks, but that their cultural and political implications are ambiguous. Index terms Index de mots-clés : Afrique, Francophonie, Madagascar, manuels scolaires Index by keyword : Africa, Francophony, Madagascar, textbooks Full text Introduction Les acceptions du terme francophonie Le corpus Une réflexion sur la construction de la francophonie entre 1945 et 1970 ne peut laisser à l’écart l’enseignement du français, dans sa dimension littéraire autant que linguistique. Et le manuel à cette époque devait tenir dans cet enseignement une place importante, tant de référence culturelle que d’outil de travail. Pour rechercher l’émergence de la francophonie dans les manuels scolaires, on a eu recours à trois acceptions du terme « francophonie ». Le sens « pragmatique » du terme francophonie, en effet, change suivant le groupe qui l’utilise. 1 – Les politiques et les institutionnels pensent francophonie institutionnelle, à savoir l’ensemble des pays ayant le français en partage ou adhérents d’une organisation francophone. Ces pays se reconnaissent de plus comme ayant en commun des intérêts économiques, politiques et des valeurs. Leur symbole réside dans les « sommets » de la francophonie. De ce point de vue, la Roumanie, par exemple, est un pays francophone. 2 – Les linguistes parlent de francophonie linguistique, à savoir des pays dans lesquels le statut du français est celui d’une langue maternelle ou seconde. De ce point de vue, la Roumanie n’est pas un pays francophone, mais un pays où le français est langue étrangère. 3 – Les littéraires pensent francophonie littéraire, à savoir l’ensemble des auteurs d’expression française, avec une ambiguïté de fond : on appelle souvent francophones les auteurs hors de France et non l’ensemble des auteurs de France et hors de France. C’est un débat récurrent, sans doute lié aux origines politiques de la francophonie d’après les indépendances. 4 La première question posée ici : « la francophonie existe-t-elle dans les manuels ? » peut se préciser ainsi : si oui, lesquels de ces aspects sont présents dans les manuels ? 5 On a travaillé ici sur quelques manuels utilisés pour l’enseignement du français, en Afrique francophone et à Madagascar. La liste figure en annexe. Quelques remarques. 6 13/3/2019 Figures de l’émergence de la francophonie dans les manuels scolaires pour l’Afrique et Madagascar (1960-1970) https://journals.openedition.org/dhfles/461 3/9 La grille d’analyse – les valeurs exaltées dans les manuels. Point 1. Autour de la langue française : une unité nuancée Textes d’origine vs traduction Français vs langues nationales ou locales – Ce sont tous des manuels parus entre 1963 et 1970, juste après les indépendances, et on peut penser que les éditeurs ont pris ce fait en considération ! Après la fin de la guerre d’Algérie, c’est une période de transition avec l’ancien monde de la colonisation. Toutefois, les institutions de la francophonie ne sont pas encore créées (sauf l’AUPELF, 1961, dans le cadre multilatéral, ou la DGLF, 1966, dans un cadre d’action bilatéral, l’association des parlementaires, 1967). On est dans un entre-deux (ceci dit avec le recul) : période d’après les indépendances, période d’avant l’institutionnalisation politique de la francophonie. 7 – Les manuels choisis, édités pour l’Afrique, l’ont été à partir d’une collection personnelle et des archives du CEDRHE, Centre d’études et de recherche en Histoire de l’éducation de l’IUFM de l’académie de Montpellier. Ce travail n’a aucune prétention à une quelconque exhaustivité ou même généralisation. C’est un simple constat à partir des quelques manuels examinés. 8 L’hypothèse posée était que, dans cet entre-deux, l’idée de francophonie pouvait être présente dans ces manuels de français pour l’Afrique1, sans que pour autant on la trouve sous sa forme contemporaine. 9 Pour vérifier ou infirmer l’hypothèse, quelques indicateurs ont été retenus, notamment : 10 On notera au préalable qu’on ne s’attendait pas à trouver d’indication de la francophonie politique, ce qui est normal puisqu’on est dans une période antérieure à sa mise en place. 11 On n’a pas repéré non plus de présence du terme « francophonie », dans aucun des manuels étudiés. C’est peut-être moins normal, parce que le terme a quand même en 1960 quelque 80 ans d’existence. Et les préfaces, sinon le corps de manuels, auraient pu y faire référence. On regroupera ici les observations autour de trois points : la langue, la littérature et les valeurs. 12 La langue utilisée dans les manuels est certes la langue française. Sous ce monolithisme apparent, il y a quelques modulations. 13 Il est rarement possible de savoir si le texte utilisé est un texte véritablement francophone ou s’il est simplement traduit d’une autre langue. Or certains des auteurs convoqués n’écrivent pas en français : Gorki, Conrad, Stevenson… En dehors du manuel de 3e de la collection Écoute du monde, qui indique « traduit par… », les autres manuels ne permettent pas de faire la différence. Ce travers n’est pas spécifique aux manuels pour l’Afrique, mais très courant dans les ouvrages scolaires français de l’époque. La langue française devient donc un grand manteau qui recouvre l’ensemble des écrits littéraires, d’où qu’ils proviennent. En quelque sorte, le monde entier est francophone avant la lettre ! 14 13/3/2019 Figures de l’émergence de la francophonie dans les manuels scolaires pour l’Afrique et Madagascar (1960-1970) https://journals.openedition.org/dhfles/461 4/9 – « faire la discrimination entre bawa, les hommes, les maîtres du tir à l’arc, et hamm’ouawa, les « femmes à moignons », c’est-à-dire les bons à rien… » – plus loin, dans le même texte, on aura « Attention ! Attention ! Mihé ! Mihé ! Mb’woa Gnikoni ! Mb’woa Gnikoni ! ». (Écoute du monde, 6e, p. 225-227). Le texte est de Nazi Boni, écrivain burkinabé. Un petit pas vers une francophonie linguistique Point 2. Francophonie littéraire : limites et ambiguïtés Qui sont les auteurs cités ? Les langues africaines ne sont pas absentes des manuels. Mais leur présence est limitée à quelques mots, souvent d’ailleurs placés en italiques (mais pas toujours). On ne trouve pas de traduction, pas non plus d’indication de la langue d’où proviennent ces mots. Parfois, au mieux, le mot est paraphrasé dans le texte lui-même : 15 Peut-on parler d’un usage décoratif des langues africaines ? Ce serait faire injure aux écrivains eux-mêmes, qui n’ont certainement pas eu cette attitude. Mais on peut le dire pour les manuels, qui, eux, ne s’intéressent pas encore réellement à ces langues ni à la position du français par rapport à elles. 16 Dans ce grand étalage tout en français, piqueté de mots en langues africaines, sans distinction d’origine, une exception notable surgit d’un texte d’André Chamson (Écoute du monde 3e, p. 336). C’est une réflexion sur la place du français, à partir d’un marchandage uploads/Litterature/ figures-de-l-x27-emergence-de-la-francophonie-dans-les-manuels-scolaires-pour-l-x27-afrique-et-madagascar-1960-1970.pdf

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