La privanza dans la Castille du bas Moyen Âge. Cadres conceptuels et stratégies

La privanza dans la Castille du bas Moyen Âge. Cadres conceptuels et stratégies de légitimation d’un lien de proximité François F EHEH Casa de Velázquez – Madrid Au plus près du roi, gouvernant parfois à sa place, disposant d’une clien- tèle et d’une assise territoriale lui permettant souvent de contrôler le royaume et d’investir les rouages du pouvoir, le privado tient, dans l’his- toire politique du royaume de Castille à la fin du Moyen Âge, une place considérable. Don Lope Díaz de Haro, don Ruy López Dávalos, don Álvaro de Luna, don Juan Pacheco ou don Beltrán de la Cueva, pour ne prendre que les figures les plus importantes, ont tous en commun d’avoir pu compter, plus ou moins longtemps et à des degrés divers, sur la faveur de leur roi au travers de la privanza. Étrangement, l’objet «privanza» n’a guère attiré jusqu’à présent l’attention des médiévistes. Il reste, le plus souvent, comme en retrait des études engagées ou bien comme une évi- dence que nul ne questionne vraiment. La première impression reste celle d’une dispersion de l’objet, liée certainement aux tendances récentes de l’historiographie espagnole1. De fait, la principale difficulté 1. Sur l’histoire politique du Moyen Âge péninsulaire, un bilan a été récemment dressé par Miguel Ángel LADERO QUESADA, «Historia institucional y política de la península ibérica en la Edad Media (la investigación en la década de los 90)», En la España medieval, 23, 2000, p. 441-481. Pour les années précédentes, voir les bilans établis dans La historia medieval en España. Un balance historiográfico (1968-1998). XXV semana de estudios medievales, Estella-Lizarra, 14-18 julio 1998, Pamplona: Gobierno de Navarra, 1999; en particulier les contributions de Manuel GONZÁLEZ JIMÉNEZ, «Historia política y estructura de poder. Castilla y León», p. 175-283 ; et de José Manuel NIETO SORIA, « Ideología y poder monárquico en la penín- sula », p. 335-381. D’autre part, en ce qui concerne l’histoire de la noblesse, dont l’importance est cruciale pour l’histoire de la privanza, on peut consulter les bilans proposés par María Con- cepción QUINTANILLA RASO dans «La sociedad política. La nobleza», in: J.M. NIETO   ,  , , p.  reste l’impossibilité à déterminer une forme institutionnalisée de cette relation de proximité. Ainsi, si la figure du privado est habituelle dans l’his- toriographie abordant l’histoire politique du bas Moyen Âge castillan, elle n’a pas donné lieu à une histoire de la privanza alors même que la figure du valido au e siècle a conduit à formuler une histoire du valimiento2. La dispersion historiographique se manifeste d’abord par l’impor- tance des monographies. Ainsi, l’histoire des privados prend-elle le pas sur l’histoire de la privanza. Le cas le plus caractéristique reste le traitement accordé au connétable de Castille, don Álvaro de Luna, soit pour mettre en lumière l’importance du moment et souligner le système de patro- nage3, soit pour s’intéresser davantage à la liquidation de l’hypothèque aragonaise4, ou encore pour privilégier l’étude des bases institutionnelles et patrimoniales du pouvoir du privado5. Logiquement, l’analyse de la domination exercée par don Álvaro privilégie la construction d’une plate-forme politique et laisse hors champ la privanza au motif qu’elle n’a pas de véritable traduction institutionnelle. Ces différences d’approches expriment les tiraillements par lesquels l’histoire de la privanza se voit comme déchirée. D’une part, la voie politique enferme la privanza dans SORIA, Orígenes de la monarquía hispánica: propaganda y legitimación (ca 1400-1520), Madrid: Dykinson, 1999 ; dans «El protagonismo nobiliario en la Castilla bajomedieval. Una revisión historiográfica (1984-1997)», Medievalismo, 7, 1997, p. 187-233; et dans «Historiografía de una élite de poder : la nobleza castellana bajomedieval», Hispania, 175, 1990, p. 719-736. 2. L’histoire du valimiento repose d’abord sur les problématiques établies, à partir du cas des ministres-favoris espagnols, par Francisco TOMÁS Y VALIENTE, Los validos en la monarquía española del siglo XVII. Estudio institucional, Madrid: Siglo editores, 1982; id., «El poder polí- tico, validos y aristócratas», in : Nobleza y sociedad en la España moderna, Oviedo: Banco Santan- der central hispano, 1996, p. 141-155. L’approche institutionnelle développée par Tomás y Valiente a été amplifiée, dans une perspective comparatiste, par John ELLIOT, «Unas reflexiones acerca de la privanza española en el contexto europeo», in: Homenaje a Francisco Tomás y Valiente, vol. 2, Anuario de historia del derecho español, 67, 1997, p. 885-899; id. et Laurence BROCKLISS, El mundo de los validos, Madrid: Taurus, 2000. On peut également consulter, sur la conception de la privanza et sa perception, l’étude de Bernardo J. GARCÍA GARCÍA, «La aristocracia y el arte de la privanza», Historia social, 28, 1997, p. 113-125. Enfin, quelques com- paraisons supplémentaires sont possibles; voir notamment: Étienne THUAU, Raison d’État et pensée politique à l’époque de Richelieu, Paris: Albin Michel, 1966; Henry MÉCHOULAN (dir.), L’État baroque. Regards sur la pensée politique de la France du premier XVIIe siècle, Paris: Vrin, 1985; Nico- las LE ROUX, La faveur du roi. Mignons et courtisans au temps des derniers Valois (vers 1547-vers 1589), Paris : Champ Vallon, 2000. 3. Nicholas ROUND, The greatest man uncrowned. A study of the fall of don Alvaro de Luna, Londres : Tamesis Books, 1986. Sur la place accordée à don Álvaro de Luna dans les réflexions sur les origines du valimiento, voir l’article de James M. BOYDEN, «De tu resplandor, te ha privado la fortuna: los validos y sus destinos en la España de los siglos y », in: El mundo de los vali- dos…, p. 43-58. 4. Isabel PASTOR BODMER, Grandeza y tragedia de un valido. La muerte de don Álvaro de Luna, 2 vol., Madrid : Caja de Madrid, 1992. 5. José Manuel CALDERÓN ORTEGA, Álvaro de Luna: riqueza y poder en la Castilla del siglo XV, 2 vol., Madrid: Dykinson, 1998.    un traitement anecdotique au profit d’interprétations globales dont l’en- jeu est de dévoiler la matrice interprétative de la conflictualité d’une époque6. De l’autre, la voie patrimoniale tend à considérer la privanza comme un objet appartenant à l’histoire des comportements, dépassant dès lors les possibilités d’appréhension documentaire de travaux qui pri- vilégient la structuration évolutive des patrimoines7. Entre ces deux ten- dances, la question du patronage trouve un complément important dans l’histoire des lignages, de leur fonctionnement et des comportements de ses membres8. Cette voie de réintégration s’avère pourtant insuffisante dans la mesure où la privanza échappe souvent à la temporalité cumula- tive des lignages. L’existence de plates-formes de pouvoir invite à la pratique de la pro- sopographie. L’importance du service dans les parcours des privados fait de la Maison du roi9 un centre d’observation particulièrement important pour comparer les modalités d’ascension des uns et des autres. Nonobs- tant, la priorité accordée à l’office nuit à l’appréciation de la relation de privanza, car elle conduit à fractionner les parcours10. Pour sortir du frac- tionnement, la solution reste l’insertion de l’office au sein des stratégies, individuelles et collectives, dont font l’objet la Maison du roi, en particu- lier, et la cour, de façon plus globale11. Ces voies permettent aujourd’hui de situer la privanza dans le cadre du rapport, ambivalent mais conjugué, entretenu entre la monarchie et la noblesse au cours des derniers siècles 6. Luis SUÁREZ FERNÁNDEZ, Nobleza y monarquía. Puntos de vista sobre la historia castellana del siglo XV, Valladolid: Universidad de Valladolid, 1959; id., Monarquía hispana y revolución trastá- mara, Madrid : Real Academia de la historia, 1994. 7. M. C. QUINTANILLA RASO, «El protagonismo nobiliario…», p. 202-203. 8. Id., p. 197-200. Plus particulièrement, on peut signaler l’étude de Rosa María MON- TERO TEJADA, Nobleza y sociedad en Castilla. El linaje Manrique (siglos XIV-XVI), Madrid: Caja de Madrid, 1996, et celle de Ana Belén SÁNCHEZ PRIETO, La Casa de Mendoza hasta el tercer duque del Infantado (1350-1531). El ejercicio y alcance del poder señorial en la Castilla bajomedieval, Madrid : Palafox & Peguela, 2001. 9. Sur la « Casa real», on peut consulter la synthèse récente de M. Á. LADERO QUE- SADA, « La Casa real en la baja Edad Media», Homenaje al profesor D. José Martínez Gijón. Histo- ria, instituciones, documentos, 25, 1998, p. 327-350. 10. Voir l’étude prosopographique de Jaime de SALAZAR Y ACHA, La Casa del rey de Cas- tilla y León en la Edad Media, Madrid: Centro de estudios políticos y constitutionales, 2000. Pour des études complémentaires sur la Maison royale, voir les études de Bethany ARAM, La reina Juana. Gobierno, piedad y dinastía, Madrid: Marcial Pons, 2001; d’Álvaro FERNÁNDEZ DE CÓRDOVA MIRALLES, La corte de Isabel I. Ritos y ceremonias de una reina (1474-1504), Madrid: Dykinson, 2002 ; ainsi que les travaux en cours de Francisco de Paula CAÑAS GÁLVEZ sur la Casa de Juan II. 11. Voir les travaux de María José GARCÍA VERA sur le règne d’Henri IV de Trasta- mare : « Poder nobiliario y poder político en la corte de Enrique IV (1454-1474)», En la España medieval, 16, 1993, p. 223-237; et La nobleza castellana bajomedieval. Bases de su predominio y ejercicio de su poder en el reinado de Enrique IV (1454-1474), Mémoire de thèse de doctorat, Universidad complutense, Madrid, 1997.  PRIVANZA uploads/Litterature/ foronda-privanza.pdf

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