INTRODUCTION GÉNÉRALE La célèbre mosaïque de Sainte-Sabine à Rome représente de
INTRODUCTION GÉNÉRALE La célèbre mosaïque de Sainte-Sabine à Rome représente deux femmes tenant chacune un livre ouvert. Une inscription latine identifie chacune d'entre elles : Ecclesia ex circumcisione et Ecclesia ex Gentibus. Au V e siècle l'Église de Rome avait maintenu une conscience très vive de ses racines : elle se vou- lait composée de juifs et de païens réconciliés par la croix du Christ. Jésus se savait envoyé aux brebis perdues de la maison d'Israël. La mission des Douze devait éviter le chemin des païens et se contenter de passer dans les villes d'Israël. La communauté primitive apparaît ainsi comme une réalisation de la promesse faite à Israël, à partir du « petit reste » du peuple. Les Actes des Apôtres la décrivent vivant l'idéal du Shema Israël dans l'amour réciproque du cœur, de l'âme et des forces, c'est-à-dire de l'argent mis en commun. Un clivage se dessina rapidement entre hellénistes et Hébreux. Peu à peu, à cause de la persécution contre les hellénistes, l'annonce du Royaume essaima en Samarie. Bientôt l'accueil des païens dans la communauté d'Antioche allait obliger les respon- sables à prendre des décisions importantes. L'auteur de la lettre aux Éphésiens cherche une solution à ces difficultés : juifs et païens sont tous placés sous le même jugement de la colère de Dieu. Le Christ par sa mort a rendu proches ceux qui étaient éloignés et les a réconciliés. « De ce qui était divisé il a fait une unité. Dans sa chair il a détruit le 2 LE JUDÉO-CHRISTIANISME, MÉMOIRE OU PROPHÉTIE ? mur de la séparation : la haine. Il a aboli la loi avec ses com- mandements et ses observances. Il a voulu à partir du juif et du païen créer en lui un seul homme nouveau, en établissant la paix, et les réconcilier tous les deux avec Dieu en un seul corps au moyen de la croix. Il a tué la haine » (2, 14-17). La réconciliation des hommes avec Dieu passe par la réconciliation des deux groupes humains qui structurent l'histoire du salut. La présence réconciliée des juifs et des païens appartient à la structure de l'Église. Les païens sont admis au même héritage que les juifs en Jésus. En Christ l'élection devient universelle. « Il n'y a plus ni juif, ni païen. » Il faudra cependant du temps pour que cette idée soit adoptée par tous. Justin de Naplouse, dans son Dialogue avec Tryphon Al, fait état des judéo-chrétiens intransigeants qui cherchaient à imposer à tous les convertis les exigences de la loi. Cependant d'autres judéo-chrétiens acceptaient que des pagano-chrétiens ne soient pas liés par les observances juives. Justin lui-même acceptait que les judéo-chrétiens pratiquent leurs observances. L'idéal pour lui serait que les chrétiens d'origine juive ne se distinguent pas des autres par les obser- vances légales. La réconciliation authentique du païen et du juif ne laisserait plus de place à la différence. Origène, dans son Contre Celse II, 1, constatait lui aussi l'existence de chrétiens qui continuaient à pratiquer la loi. Pour lui cette position rétrograde en reste au sens littéral de l'Écriture. Épiphane, au IV E siècle, range les Nazaréens dans la liste des sectes hérétiques : « Un seul point les oppose aux juifs et aux chrétiens : ils sont en désaccord avec les juifs parce qu'ils croient au Christ ; ils se distinguent des chrétiens parce qu'ils observent encore la loi, la circoncision, le sabbat et les autres prescriptions. »1 La distinction entre judéo-chrétiens et judaï- sants ne touche pas le fond des choses. Le refus de la diffé- rence autorise un amalgame entre les uns et les autres. Mis en demeure de choisir, les judéo-chrétiens ont dû renoncer à leur 1. Panarion 29, 7. INTRODUCTION GÉNÉRALE 3 originalité. Le même Épiphane, dans son traité Des poids et des mesures, au chapitre 14, évoque la petite église de Dieu que l'empereur Hadrien trouva à l'endroit où les disciples, après l'Ascension de Jésus au ciel, montèrent dans la chambre haute. Césaire d'Arles, dans une homélie intitulée « De la compa- raison entre l'Église et la synagogue »1, énumère une suite impressionnante de la préférence que Dieu donne au cadet, figure de l'Église, sur l'aîné, figure de la Synagogue : Abel est préféré à Caïn, Sara à Hagar, Moïse à Aaron, Josué à Moïse, David à Saûl, Isaac à Ismaël, Jacob à Ésaû, Rachel à Léa, Joseph à ses frères. De même, continue l'auteur, le premier coup de bâton que Moïse frappe sur le rocher ne produit rien, c'est le second coup qui fait jaillir l'eau. Tous ces traits pro- phétisent l'élection divine gratuite de l'Église dont les mem- bres doivent se comporter de manière à attirer à elle juifs et païens. État de la recherche La parution de plusieurs ouvrages récents vient de relan- cer le débat sur le judéo-christianisme. Tout d'abord l'ou- vrage de E. Nodet et de J. Taylor sur les origines du christia- nisme reprend une vieille hypothèse : le christianisme serait à rattacher à l'essénisme2. Cette position avait été défendue jadis par D. Flusser dans son ouvrage : Jewish Sources in Early Christianity3. Auparavant déjà Renan avait affirmé que le christianisme est un essénisme qui a réussi. Le christianisme serait donc issu d'une secte marginale du judaïsme, non pas du tronc principal. Dès son point de départ il souffrirait d'un vice de forme. G. Vermes, qui ne partage pas ce point de vue, écrit, dans un article du Journal for Jewish Studies, en 1976 : « Si les rou- 1. Revue bénédictine 23 (1906), 31-35. 2. E. Nodet, J. Taylor, Essai sur les origines du christianisme, Paris, 1998. 3. D. Flusser, Judaism and the Origins of Christianity, Jérusalem, 1988. 4 LE JUDÉO-CHRISTIANISME, MÉMOIRE OU PROPHÉTIE ? leaux de Qumrân sont irremplaçables pour éclairer le christia- nisme primitif, il n'en reste pas moins vrai que la littérature rabbinique, exploitée habilement, demeure la source la plus riche pour l'interprétation du message évangélique primitif et le subside le plus précieux pour résoudre le problème du Jésus historique. » En d'autres termes, c'est vers le pharisaïsme qui prend la relève des mouvements sapientiaux que le professeur d'Oxford oriente les chercheurs des origines chrétiennes. De nombreux points de détail sont critiquables. Nodet affirme le primat de l'enseignement oral et le caractère subordonné de l'écrit dans le christianisme1. Il semble oublier que Jésus cri- tique les Pharisiens qui ont annulé la parole de Dieu au nom de leur propre tradition2. Que les Evangiles aient eu une période de transmission orale ne signifie pas que le primat de l'oralité ait été maintenu. Enfin, le lecteur qui n'accepte pas les divisions savantes de l'Évangile proposées par M.-E. Bois- mard a beaucoup de mal à suivre certains raisonnements compliqués. L'ouvrage collectif édité par F. Blanchetière et M. D. Herr, intitulé Aux origines juives du christianisme3, est un recueil de six études qui traitent des relations entre juifs et chrétiens aux deux premiers siècles de l'ère chrétienne. Une place importante est accordée à la secte des Nazaréens. Mais c'est avant tout le cadre géographique de la Galilée et le milieu historique qui sépare la mort de Jésus et la révolte de Bar Kokba qui sont illustrés par les chercheurs. Certains clichés désuets, tel celui de Paul fondateur de la nouvelle religion chrétienne, sont encore orchestrés. F. Vouga, dans son livre Les premiers pas du christianisme, souligne le pluralisme des tendances du christianisme primi- 1. P. 26. 2. Mt 15, 6. En Mt 13, 11, Jésus distinguerait entre les disciples qui ont la connaissance du mystère du Royaume et ceux qui ne l'ont pas. Pour Nodet, il s'agirait d'une tradition orale (p. 34, n. 1). 3. Paris, 1996. Il faudrait ajouter également l'ouvrage de R. Trevijano, Origines del cristianismo. El trasfondo judio del cristianismo primitivo, Sala- manca, 1995. INTRODUCTION GÉNÉRALE 5 tif1. Sa synthèse est équilibrée. Certains chercheurs refusent de parler de judéo-christianisme parce que cette expression est imprécise et trop générale2. Il faut reconnaître que ce terme traditionnel est pratique parce qu'il suggère une continuité entre le judaïsme et le christianisme, continuité qui ressort d'une lecture du Nouveau Testament, en particulier des Actes des Apôtres. L'ouvrage récent de S. Mimouni, intitulé Le judéo- christianisme ancien3, qui en impose au premier abord par son poids et sa masse, propose une adaptation française de la thèse de J. E. Taylor4. Animé par l'esprit de critique plus que par l'esprit critique, ce livre où les contradictions internes abondent5 n'apporte pas beaucoup d'éléments nouveaux. Résumer l'ouvrage qui est un plaidoyer pour la position de M. Simon et de F. Blanchetière est impossible6. Les perspec- tives méthodologiques ouvertes par l'auteur restent abstraites. On aurait aimé voir leur application dans un domaine précis. Les déclarations de principe restent lettre morte si elles ne s'incarnent pas. Réduire le problème judéo-chrétien au pro- blème des nazoréens, c'est ignorer que le pluralisme juif du Ier siècle a subsisté dans les milieux chrétiens. Les Actes des Apôtres parlent de prêtres, de Pharisiens et d'hellénistes qui ont accepté Jésus comme Messie d'Israël. Pourquoi faudrait-il uploads/Litterature/ frederic-manns.pdf
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- Publié le Aoû 12, 2022
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