GLAD! Revue sur le langage, le genre, les sexualités 10 | 2021 Varia Sous la co

GLAD! Revue sur le langage, le genre, les sexualités 10 | 2021 Varia Sous la conduite d’Hermès, aux carrefours de la traduction et du féminisme At the Crossroads of Translation and Feminism under the Guidance of Hermes Jane Elisabeth Wilhelm Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/glad/2883 DOI : 10.4000/glad.2883 ISSN : 2551-0819 Éditeur Association GSL Ce document vous est offert par OpenEdition Center USR 2004 Référence électronique Jane Elisabeth Wilhelm, « Sous la conduite d’Hermès, aux carrefours de la traduction et du féminisme », GLAD! [En ligne], 10 | 2021, mis en ligne le 15 juillet 2021, consulté le 26 juillet 2021. URL : http://journals.openedition.org/glad/2883 ; DOI : https://doi.org/10.4000/glad.2883 Ce document a été généré automatiquement le 26 juillet 2021. La revue GLAD! est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. Sous la conduite d’Hermès, aux carrefours de la traduction et du féminisme At the Crossroads of Translation and Feminism under the Guidance of Hermes Jane Elisabeth Wilhelm Introduction 1 Nous souhaitons examiner ici quelques-uns des lieux de convergence entre traduction, herméneutique et féminisme. Si les termes de traduction et de féminisme peuvent paraître clairs au premier abord, il n’en va pas de même pour l’herméneutique qui appelle d’entrée de jeu une définition1. Pourtant, l’abondance des métaphores dans les différentes langues suggère que la traduction est difficile à définir et résiste à la conceptualisation2. Si tout le monde sait ce qu’est traduire, affirme Jean-René Ladmiral, paradoxalement, le concept de traduction est difficile à définir (Ladmiral 2015 : 91). Ne faudrait-il pas toutefois en préambule tenter de donner une définition possible de la traduction ? Dans les discours théoriques, il semblerait que ce soit en termes d’équivalence (comme l’a fait Eugene Nida) ou d’identité que l’on a le plus souvent pensé la traduction, mais ces définitions se révèleraient être insatisfaisantes selon Ladmiral. La difficulté à définir le concept de traduction est donc l’indice, selon lui, qu’elle renvoie à des enjeux importants que l’on ne décèle pas à première vue et que la traduction recèle « une dimension anthropologique fondamentale » (Ladmiral 2015 : 93, en italique dans le texte). Paul Ricœur évoque lui aussi toute la difficulté théorique que pose la traduction (« théoriquement incompréhensible, mais effectivement praticable ») dans une définition présentée sous la forme de ce qu’il nomme un « paradoxe » et un « dilemme » : « une bonne traduction ne peut viser qu’à une équivalence présumée, non fondée dans une identité de sens démontrable. Une équivalence sans identité. »3 La traduction pour lui, comme pour Hans-Georg Gadamer, est le modèle ou le « paradigme » de l’herméneutique. Sous la conduite d’Hermès, aux carrefours de la traduction et du féminisme GLAD!, 10 | 2021 1 2 Florence Rochefort, dans son Histoire mondiale des féminismes, a choisi de présenter le féminisme au pluriel. Le mot, d’abord employé péjorativement et qui est entré comme par effraction dans le langage au 19e siècle, a souvent gardé même dans son acception moderne, comme elle le rappelle, « un sens subversif et dérangeant » (2018 : 7). Maud Navarre, dans l’éditorial intitulé « La force d’une idée » du numéro de la revue Sciences Humaines consacré à « La grande histoire du féminisme », soutient de plus qu’en s’inscrivant dans les courants de pensée et les doctrines politiques de son temps, « le féminisme se veut pluriel dès son commencement » (2021). Il est à l’évidence que le mouvement d’émancipation des femmes au niveau international et dans ses différentes déclinaisons, qui représente le mouvement social le plus important de l’époque moderne, est apparu en même temps que se développait dans les pays occidentaux l’idée de démocratie. Nous développerons par la suite le rapport du politique avec l’enjeu herméneutique de la pluralité de l’interprétation et la question de la femme au cœur de la démocratie. 3 Avant d’examiner les points de jonction entre traduction, féminisme et herméneutique, en nous appuyant plus particulèrement sur le « paradigme de la traduction » de Paul Ricœur et son concept d’hospitalité langagière, nous allons expliciter plus spécifiquement les rapports que la traduction entretient avec l’herméneutique. Herméneutique et théorie de la traduction 4 « L’herméneutique », rappelle Jean Starobinski dans l’Avant-propos à l’Herméneutique de Friedrich Schleiermacher, « peut se définir comme l’art de comprendre et d’interpréter » (1987 : 5, en italique dans le texte). L’étymologie du mot hermeneuein en grec, écrit-il, signifie « exprimer, expliquer, ou traduire d’une langue à l’autre ». Le trait commun à ces trois sens, écrit-il encore, est la notion de « médiation en vue de produire un message intelligible ». Dans les emplois de la langue grecque, nous dit-il, le message a un caractère de vérité et d’autorité, car interpréter peut signifier déclarer la volonté des dieux (Starobinski 1987 : 5, en italique dans le texte). Jean Grondin écrit, lui aussi, qu’on reconnaît largement trois significations au verbe grec : « exprimer (énoncer, dire), interpréter (expliquer) et traduire (ou servir d’interprète) » (Grondin 1993 : 6). Dans l’histoire de l’herméneutique, écrit Gadamer (1976), le modèle est la compétence augurale de l’herméneute sachant interpréter la volonté divine et le langage de l’oracle, qui est le plus souvent obscur ou ambigu4. Et c’est ici, pour Starobinski, qu’entre en scène Hermès, « divinité messagère, patron des interprètes, guide des âmes, maître des échanges, régnant sur les carrefours du vrai et du faux » (Starobinski 1987 : 5). On pourrait rajouter qu’Hermès, messager des dieux et patron de l’herméneutique, est aussi donneur de chance, inventeur des poids et des mesures, gardien des routes et des carrefours, dieu des voyageurs, des commerçants et des... voleurs ! 5 L’herméneutique philosophique contemporaine — représentée en France par Paul Ricœur, en Allemagne par Martin Heidegger, Hans-Georg Gadamer ou Jürgen Habermas, parmi d’autres — en déplaçant la question herméneutique vers le lecteur, la production de sens du texte comme procès dynamique, ainsi que l’espace de négociation entre l’auteur et le lecteur, cherche à prendre la mesure de l’espace infini de l’interprétation qui, sous l’égide du dieu Hermès, s’ouvre à nous. Sous la conduite d’Hermès, aux carrefours de la traduction et du féminisme GLAD!, 10 | 2021 2 6 La théorie de la traduction, selon Antoine Berman, aurait pour fondement deux grands courants, la linguistique et l’herméneutique (Berman 1989). Si la linguistique, comme l’explique Mona Baker, a été la discipline qui a servi de modèle à l’étude de la traduction au début des années 1950 et durant les années 1960, la voie royale de l’herméneutique est au fondement de l’interprétation des textes sacrés des religions monothéistes5. Andrew Chesterman distingue plus généralement deux périodes historiques qu’il nomme « the Linguistic stage » et « the Logos stage », la seconde caractérisée selon lui par une approche herméneutique (Chesterman 1997 : 42-43). Si elle est présente en critique littéraire et en particulier chez Jean Starobinski6, la dimension herméneutique n’apparaît pourtant pas clairement chez les théoriciens de la traductologie de langue française, à l’exception d’Antoine Berman ou plus récemment de manière explicite chez Jean-René Ladmiral, par ailleurs élève de Ricœur. L’anthropologie philosophique de Ricœur peut alors se concevoir plus largement, selon Domenico Jervolino, comme une traversée du langage qui partirait de l’herméneutique des symboles vers le texte pour aboutir au « paradigme de la traduction » (Jervolino 2004 : 659-668). Rappelons encore que Friedrich Schleiermacher, qui était théologien, philosophe et traducteur et à qui l’on doit la naissance de l’herméneutique moderne, est aussi considéré comme une figure importante pour les théoriciens de la traduction7. En effet, Lawrence Venuti, Douglas Robinson, Anthony Pym ou Antoine Berman ont souligné le rôle inaugural du discours de Schleiermacher à l’Académie des sciences de Berlin de 1813 intitulé Des différentes méthodes du traduire (Schleiermacher 1999). Berman rappelle en outre la critique radicale que fait Schleiermacher de ce qu’il appelle « la traduction ethnocentrique et hypertextuelle » sur laquelle nous reviendrons ultérieurement (Berman 1999 : 78). 7 En retraçant les différentes étapes de l’histoire de l’herméneutique à partir de l’interprétation de la volonté des dieux, puis d’une science de l’interprétation des textes qui se voulait essentiellement technique ou normative, à l’herméneutique philosophique contemporaine, qui relève de l’ordre de la connaissance et qui est aussi une lecture du monde, on peut constater que le texte constitue la dimension essentielle de l’herméneutique. Le point de rencontre de la tradition herméneutique et de la théorie de la traduction s’articule ainsi autour de la lecture du texte, qui appelle donc l’acte d’interprétation. La situation commune à l’art de l’interprétation et à la traduction, qui lui est nécessairement liée pour Gadamer ou Ricœur, et dont part l’herméneutique de Schleiermacher, est énoncée dans une formule restée célèbre : « L’herméneutique repose sur le fait de la non-compréhension du discours » (Schleiermacher 1987 : 73). 8 Si Hermès est le maître des échanges, quels seraient dès lors les lieux de convergence entre traduction, herméneutique et féminisme ? D’emblée, nous voyons les points de rencontre suivants que nous développerons ici : la question du sens, celle uploads/Litterature/ glad-2883.pdf

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