Langue française Panorama des argots contemporains Denise François-Geiger Citer

Langue française Panorama des argots contemporains Denise François-Geiger Citer ce document / Cite this document : François-Geiger Denise. Panorama des argots contemporains. In: Langue française, n°90, 1991. Parlures argotiques. pp. 5-9; doi : https://doi.org/10.3406/lfr.1991.6190 https://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1991_num_90_1_6190 Fichier pdf généré le 04/05/2018 Denise FRANCOIS-GEIGER Université René Descartes Paris V PANORAMA DES ARGOTS CONTEMPORAINS Préliminaires 1 Lorsqu'on parle d'argot, il faut avant tout préciser qu'un argot n'est pas une langue mais un lexique. Pour une très large part, sa phonétique et sa grammaire sont celles de la langue commune, généralement sous sa forme populaire. On peut même se demander — et ceci est objet de recherche — si l'argot a des traits phonétiques ou phonologiques propres (phonématiques ? intonatifs ?) et s'il présente des particularités syntaxiques (il craint, ça craint employés intransitivement en seraient un exemple). Ce lexique « double » le vocabulaire commun mais avec des résonances connotatives ou, si l'on préfère, culturelles, propres : on décoince n'est pas la « traduction » de on part. Pour l'élaboration de ce lexique, l'argot dispose de procédés spécifiques ou non : procédés formels comme la dérivation dite parasitaire (ex. argomuche) ou la troncation (ex. proj) et procédés jouant sur les glissements de sens qui ne sont pas sans évoquer les tropes de la rhétorique (la lame pour le « couteau », métonymie ; le blé pour l'« argent », métaphore, etc.). L'argot est généralement engendré — et cela relève d'une étude sociolinguistique — au sein de groupes relativement homogènes, généralement assez restreints et souvent ambulants. Ceci vaut dès le moyen-âge, où l'on relève l'argot des moissonneurs, des ramoneurs, des fondeurs de cloche... C'est un phénomène encore observable de nos jours : argot des médias, du sport, du théâtre, des musicos, des jeunes, des bouchers, etc. Cela signifie qu'il est préférable de parler d'argots au pluriel et ce n'est pas sans évoquer ce qu'on a appelé les « argots de métiers » ou «jargons ». Nous reviendrons sur ce point. S'il peut assumer, de toute évidence, la fonction cryptique (chez les malfaiteurs notamment) ou la fonction ludique (surtout à l'époque 1. Pour plus de précisions, voir : Albert Dauzat, Les argots, caractères, évolution, influence, Parie, Delagrave, 1929, rééd. 1956, 189 p. Pierre Guiraud, L'argot, coll. Que saie-je ? n° 700, Paris, PUF, 1958, 128 p. Denise François, « Lee argots » in Le langage, Encyclopédie de la Pléiade. Les documents de travail et publications du Centre d'Argotologie, UFR de linguistique, Université René-Descartes, 12 rue Cujas, 75005 Paris. contemporaine, par exemple dans les production publicitaires), ou encore une fonction ludico-cryptique (chez les jeunes, entre autres), l'argot joue d'autres rôles qui relèves de la pudeur (tu me bottes n'équivaut pas à « tu me plais »), du snobisme («j'ai galéré dans une boutanche ringarde » dit par une bourge (« bourgeoise ») du XVIe arrondissement), etc. Il reste encore à explorer les diverses exploitations de l'argot, sans oublier celles qui en sont faites en littérature, qu'il s'agisse de la littérature noble ou de ce qu'on appelle parfois la para-littérature, dans lesquelles l'argot sert de pics informatifs stylistiques, qui surprennent et donnent le ton. Les argots contemporains en France Si l'on interroge un francophone parisien sur l'argot, il y a fort à parier qu'il évoquera l'argot « classique », celui des « fortifs » (« fortifications »), de la Butte, de Ménilmuche, de Belleville, du Sébasto, des Batignolles... qui se différenciaient, au reste, à la fin du XIXe siècle. Cet argot traditionnel est encore sporadiquement en vigueur, surtout dans quelques rades (« bistrots ») du nord-est de Paris ou des vioques tapent le carton en jaspinant l'argomuche, non sans nostalgie. Il n'est pas entièrement disparu : la chanson le perpétue (notamment à travers Bruant) ainsi que des textes (les scénarios d'Audiard, par exemple) et nous préciserons qu'il a laissé de nombreuses traces dans l'argot commun. Toutefois, c'est une parlure qui se meurt malgré sa richesse, sa saveur, sa truculence... et l'on doit maintenant souvent recourir aux dictionnaires pour le décrypter (d'où la multitude des études étymologiques fréquemment fantaisistes). Cet argot repose sur une longue tradition (cf. Villon) et n'est pas, répétons-le, un monobloc mais un conglomérat de parlures liées à des groupes dont il renforçait la cohésion, la connivence. Il a ses lettres de noblesse avec la littérature écrite (Jean Rictus, Richepin...) et orale (Bruant, Damia...). Ses derniers adeptes sont souvent des puristes acharnés qui refusent toute autre forme d'argot. Il est important de souligner qu'il était pourtant le parler de la pègre, sans doute adopté par le « populo » de telle sorte qu'argot et langue populaire ont dû, à la fin du XIXe siècle et au début de ce siècle, avoir des affinités qui ont peut-être disparu ou se sont atténuées aujourd'hui. Cela tient sans nul doute à un relatif nivellement des couches sociales qui entraîne un relatif nivellement langagier. L'argot n'est plus, de nos jours, aussi socialement « typé » qu'il l'était à l'époque des apaches. Notons, au reste, que l'argot traditionnel a sa thématique particulière (la boisson, le sexe, le jeu, l'argent...) qui le distingue bien des autre formes d'argot d'une part et de la langue populaire d'autre part. L'argot traditionnel est, en principe, celui des malfrats, de petite ou de grande envergure, l'argot du milieu. Mais, comme nous avons déjà eu l'occasion de signaler, coexistent et s'y insèrent les « argots de métier ». Ici se pose un délicat problème : les métiers ont leur « jargon », c'est-à-dire un langage technique élaboré pour la transparence professionnelle entre initiés (spécialistes, dirions-nous). Il va de soi que cette transparence est opacité pour les profanes, d'où la possibilité d'un glissement du jargon (on dit aussi « technolecte » mais surtout pour les techniques modernes) à l'argot : le maître-charpentier peut user de son langage de façon cryptique et conniventielle devant des péquins (ignorants). À l'initiative de Marc Sourdot, nous avons adopte au Centre d'Argologie (U.F.R. de Linguistique, Paris V) le terme de «j argot» pour désigner tous les emplois où s'intriquent jargon et argot. Par exemple, poser une perf (« perfusion ») relève, selon les conditions d'interlocution, du jargon ou de l'argot (deux infirmières peuvent employer cette troncation entre elles pour n'être pas comprises par le malade). On verra, dans ce volume même, que Marc Sourdot propose une extension de ce terme. Quoi qu'il en soit, l'important est de retenir que l'argot dit traditionnel est issu d'un mélange de parlures de sources diverses étroitement liées à des activités sociales : malfrats mais aussi gens du voyage, colporteurs, bonimenteurs, etc. « Résolument moderniste » selon l'appréciation de Jacques Cellard, membre de notre Centre d'Argotologie, nous considérons que les « parlers branchés » des jeunes sont la relève d'un argot traditionnel qui se meurt. « Parlés branchés » au pluriel encore car il s'agit des parlers des groupes de jeunes qui sont très différenciés 2 : les « minets » ne sont pas des « punks », ni des « skins », ni des « zulus ». Ces parlers sont mal considérés par les argotiers traditionnels et pourtant ils présentent les caractéristiques habituelles des argots, avec une forte composante ludique. Donnons quelques exemples que nous ne nous risquons pas à traduire : galérer, galère, craignos, baston, stoned, se casser, se scratcher, chebran, bleca, meuf, koef, flipper... Ils permettent de voir que les parlers branchés — comme l'argot traditionnel — font appel à divers procédés dont le verlan ou plutôt néo-verlan, souvent approximatif (ex. fcoe/pour «flic»). Dans ces parlers apparaissent au reste de nombreuses résurgences comme chouette ou bath que beaucoup de jeunes croient de leur cru. Cette part de nos ressources argotiques, souvent décriée, est très importante car elle affecte la néologie en renforçant certains schemes de créativité au détriment d'autres ressources. En cela, elle contribue à la dynamique du français contemporain. A travers les médias notamment, les parlers branchés se répandent largement dans toute la population francophone, ce qui explique leur fort taux de renouvellement (dans le domaine des drogues, par exemple) et leur richesse synonymique, caractère déjà noté pour l'argot traditionnel (ex.. joint, loinj, pétard, tarpé, stick, cône, etc.). 2. Cf. Victor Obalk, Alain Soral et Alexandre Pasche, Les mouvements de mode expliqués aux parents, Parie, Robert Laffont, 1984. Puisant dans les argots traditionnels, dans les j argots et même dans les parlés branchés contemporains, depuis le début de ce siècle, on voit se développer un argot commun comparable au slang des anglo-saxons. Cet argot commun se caractérise par son entrée dans des dictionnaires d'usage comme le petit Larousse ou le petit Robert. Des mots comme boulot, bosser, turbiner, chocotte, ... y figurent, généralement avec la mention arg. (argotique) ou encore fam. (familier). S'ils ne font pas partie de l'usage actif de tous les francophones, ils sont connus par la majorité d'entre eux et, dans une large mesure, bien tolérés. Cet argot commun est représentatif de l'osmose qui a toujours existé entre argots et langue commune. Il contribue à enrichir cette dernière et, lui aussi, relève de la dynamique néologique de la langue. Résumons-nous : uploads/Litterature/ panorama-des-argots-contemporains-geiger.pdf

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