LES ÉCRIVAINS DU BAC n France, le bicentenaire de sa naissance est presque pass

LES ÉCRIVAINS DU BAC n France, le bicentenaire de sa naissance est presque passé ina- perçu. Il a pourtant été une pom- me de discorde entre l’Ukraine et la Russie. Le nom de Gogol s’est trouvé au centre d’une de ces que- relles de propriété dont les natio- nalismes ont le secret à défaut d’en avoir l’exclusivité. C’est que l’enjeu est de taille : «Nous sommes tous sortis du Manteau de Gogol» répète-t-on à l’envi, depuis que le vicomte de Vogüé1a rap- porté cette formule attribuée à tort à Dostoïevski. Tout le monde admet que la littérature russe doit beaucoup à cet écri- vain visionnaire dont on a voulu faire le père du réalisme, à cause de son sens du détail authentique et du pittoresque, mais qui est bien davantage à l’origine d’une tradition fantastique et caustique, d’au- tant plus moderne que l’irréel s’y mani- feste au cœur même de la quotidienneté. L’homme était de ces grandes âmes romantiques et fragiles, un petit hobereau provincial qui faisait rire dans la capitale pétersbourgeoise par la co- casserie de ses écrits alors qu’il aspirait au fond de lui à une reconnaissance litté- raire d’un autre ordre. Si on en juge par les portraits qui en ont été faits, un nez dé- mesurément proéminent – «plus on a le nez long, plus on voit loin» dit un proverbe russe – lui donnait une allure de Cyrano avant la let- tre. Mélancolique, sujet à des dépres- sions, sans liaison amoureuse et, pour autant qu’on puisse le savoir, sans vie sexuelle, Gogol finit par consumer son génie en dévotions, offrant en pâture aux rebouteux et aux prêtres un corps épuisé à l’image de son âme malade. La vie et l’œuvre de cet écrivain singulier, débordé de l’intérieur par ses tendances mystiques au point qu’il finit par renier son œuvre pour gagner son salut, méritent d’être rappelées. Un Rastignac ruthène N ikolaï Vassilievitch Gogol-Ianovsky est né en 1809 à Sorotchintsy, dans la province de Poltava. Issu d’une vieille famille ukrainienne anoblie sous la domination polonaise, Gogol resta profondément marqué par cette origine petite-russienne. De son père, mort en 1825, on ne retient pas grand-chose si ce n’est qu’il se piquait de littérature, com- posa, outre des vers de circonstance, quelques comédies légères et que sa pra- tique du théâtre de marion- nettes ukrainien a pu contri- buer à forger la vis comica de son fils. De sa mère, dé- vote et pieuse, il hérita sinon une foi indéfectible en Dieu, du moins une réelle crainte du diable. La mort du père le rapprocha davantage en- core de sa mère : «Mère, mère adorée, vous êtes ma seule véritable amie!» lit-on dans une lettre. Ses études au lycée de Niejine furent plutôt médiocres. A 19 ans, l’esprit rempli de rêves glo- rieux, il part à la conquête de Saint- Pétersbourg. La capitale dont il espérait beaucoup le voit vite déchanter. Edifiée sur un marécage insalubre, elle s’avère être une ville champignon qui écrase les individus quand elle ne les tue pas ou ne les rend pas fous. Gogol manque de se perdre dans cette souricière où pullulent les ambitieux médiocres. Si la ville aux tentations futiles fut bien un miroir aux alouettes, elle a mis le jeune Gogol face à ses contradictions. A la fois désireux de s’y faire une place et plein de répulsion devant la vie cita- dine, il y a fait l’épreuve du «réel» : le coût de la vie, les difficultés pour trou- ver un emploi et l’échec, enfin, d’une première tentative littéraire, une bluette romantique en vers intitulée Hans Küchelgarten (1828) dont il détruisit tous les invendus (1eraoût 1829). Après une escapade en Allemagne, Gogol finit par accepter un emploi au ministère des Apanages. Il saura se faire à la fois le ca- ricaturiste cruel et le portraitiste sans complaisance, sinon sans compassion, de cette armée de modestes fonction- naires au milieu desquels il a dû vivre un temps dans la solitude et l’anonymat. Le jeune Gogol ne devait de toute façon pas tarder à se signaler à l’attention de ses contemporains. Un mythographe ukrainien S ’il n’a cessé de remanier ses écrits, quand il ne les a pas détruits, l’es- sentiel des œuvres qui ont fait la gloire posthume de Gogol, – à l’excep- tion de la première partie des Ames mortes, terminée en 1842 – a été conçu et rédigé entre 1831 et 1836, donc entre GOGOL Né en 1857, d’origine polonaise, le jeune Jozef va être marqué dès son plus jeune âge par l’exil de ses parents et leur mort. Devenu marin, il va trouver son point d’ancrage avec l’écriture. Dans son œuvre, il montre des hommes, confrontés aux éléments, et surtout à eux-mêmes. 1 0 0 • L I R E D É C E M B R E 2 0 0 9 E « Ses romans sontimprégnés de souvenirs, de chansons et contes, mais Gogoln’invente pas à partir de rien » sa vingt-deuxième et sa vingt-septième année. Une première salve de huit nou- velles lui valut un succès presque im- médiat. Si l’on en croit une anecdote que Gogol rapporte à Pouchkine2 qu’il venait de rencontrer, Les soirées au hameau près de Dikanka faisaient, avant même leur parution, pouffer de rire les typo- graphes! Le public pétersbourgeois raf- folait des légendes de moujiks ukrai- niens, où pullulent diables et sorcières. Imprégné de ses souvenirs d’enfance, des chansons et des contes petits- russiens, Gogol n’inventait pas à partir de rien : «Je n’ai jamais rien créé en ima- gination. Cette faculté m’a toujours man- qué. Je ne réussissais par un heureux hasard que lorsque je puisais dans la réa- lité, en utilisant les données dont je dis- posais» lit-on dans un brouillon d’auto- biographie paru après sa mort sous le titre Confession d’un auteur. Quoi qu’il en soit, par un heureux dosage de fan- tastique, d’humour et de poésie – qu’on songe à la célèbre description du Dniepr bouillonnant sous l’orage d’Une terrible vengeance –, jouant avec brio sur tous les registres, lyrique, constellant sa langue rocailleuse de patois et de pro- verbes petits-russiens, Gogol séduit aussi le petit cénacle littéraire péters- bourgeois. Le Gogol caustique et ironiste, ce- lui du Manteau et des Ames mortes, pointe même le bout de son nez dans Ivan Federovitch Chponka et sa tante, une nouvelle qui, tranchant avec le ra- goût des idylles paysannes et le bric-à- brac fantastique, raconte l’histoire d’un homme falot et terne, un militaire en re- traite devenu petit propriétaire et que sa tante veut marier contre son gré. Grâce à sa célébrité et aux relations qu’elle lui procurait, Gogol put quitter les entrailles du minotaure administra- tif. Sa brève activité de professeur d’his- toire, pour laquelle il n’était nullement fait, dans un institut pour jeunes filles d’officiers nobles, puis à l’université, lui laissa le loisir de satisfaire la demande du public. En publiant Mirgorod (1835), un dernier volume de nouvelles «ukrai- niennes», il vidait ses «tiroirs pour com- mencer une vie nouvelle» (lettre à Pogodine, 22 janvier 1835). Le recueil commence par Un ménage d’autrefois, touchant tableau de deux vieux qui s’ai- ment (mais aussi idéalisation senti- mentale de leur égoïsme et de leur pa- resse). Dans Vii, du nom du chef des gnomes des légendes petites-russiennes, Gogol adapte un conte populaire ukrai- nien : Thomas, un jeune étudiant en phi- losophie et en théologie, est en lutte avec une sorcière qui s’avère au moment de mourir être une jeune fille envoûtée dont il faut sauver l’âme. Le père de la jeune fille contraint Thomas à veiller le corps de sa fille, trois jours et trois nuits dans une chapelle où se multiplient les appa- ritions fantastiques. Vii finit par avoir rai- son du héros, moitié Orphée, moitié saint Antoine. La nouvelle burlesque La brouille des deux Ivan montre comment une vétille peut gâcher l’amitié de deux bourgeois et empoisonner la vie de leur entourage. Paradoxalement, en contre-point des ré- cits pittoresques ou fantastiques, se pro- file dans Mirgorod la dénonciation d’un aspect de la réalité humaine que le russe rend par le mot intraduisible de pochlost, et qui désigne une certaine vulgarité sa- tisfaite d’elle-même, une trivialité et une médiocrité philistines. Gogol raille cette épaisseur d’âme, cette bêtise quasi mé- taphysique dans son essence et fort ba- D É C E M B R E 2 0 0 9 L I R E • 1 0 1 AKG-IMAGES BIOGRAPHIE 20 mars (1eravril grégorien) 1809 : naissance de Nicolas Gogol à Sorotchintsy. 1831 : Les soirées du hameau près de Dikanka. janvier et mars 1835 : Arabesques et Mirgorod. Gogol quitte l’enseignement. 19 avril 1836 : première représentation du Révizor devant le tsar. 1842 : publication de la première partie des Ames mortes. 1843 : publication des œuvres en quatre volumes. Le troisième tome rassemble les nouvelles que les éditeurs ont pris l’habitude d’intituler (après la mort de Gogol) Nouvelles de Pétersbourg. 21 février(4 mars) 1852 : mort à Moscou. BIBLIOGRAPHIE Œuvres : I Œuvres complètes uploads/Litterature/ gogol-article 1 .pdf

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