1 BEYA ÉDITIONS LES NOCES CABALISTIQUES DU ROI LES NOCES CABALISTIQUES DU ROI1
1 BEYA ÉDITIONS LES NOCES CABALISTIQUES DU ROI LES NOCES CABALISTIQUES DU ROI1 À PROPOS DU QUICHOTTE (II, 19 à 21) Carlos del Tilo INTRODUCTION Dans la deuxième partie du Quichotte, Cervantès nous raconte l’histoire des « Noces de Camacho, le riche et l’aventure de Basile, le pauvre »2 dont le contenu traditionnel nous a semblé évident. Le présent essai a pour objet de proposer au lecteur un com- mentaire cabalistique de cet épisode, sur base de l’analyse litté- rale du texte. Nous nous posons d’emblée la question suivante qui pourrait sembler absurde et hors de propos à la plupart des respectables académiciens cervantistes espagnols : Cervantès serait-il un cabaliste masqué ? Pouvons-nous affir- mer, qu’en réalité, Cervantès nous parle ici des Noces cabalisti- ques du Roi ? Nous allons essayer de le démontrer. 1. Étude parue dans la revue « Le Fil d’Ariane », nº 57-58, 1996.» 2. Miguel de Cervantes Saavedra, Don Quijote de La Mancha, XIX, XX et XXI de l’édition espagnole de L.A. Murillo, Clasicos Castalia, Madrid, 1978, vol. II, pp. 178 à 203. BEYA ÉDITIONS LES NOCES CABALISTIQUES DU ROI 2 D’après les recherches du professeur Leandro Rodriguez, publiées dans son livre Don Miguel, judío de Cervantès3, il semble- rait que l’auteur du Quichotte ne soit pas né à Alcala de Henares, mais dans le village de Cervantès, près de Sanabria, dans les monts de León. La population juive y était très dense avant l’Inquisition. Cervantès serait donc d’origine juive, fils de parents « convertis » qui cachèrent leur véritable identité, sous le nom du village de leur naissance. Ceci nous est confirmé par Madame Ruth Reichelberg, pro- fesseur à l’université de Bar-Han, près de Tel-Aviv, dans un excel- lent essai publié en français : Don Quichotte ou le roman d'un juif masqué 4. De par sa formation hébraïque, cet auteur pressent le véritable sens du message de Cervantès. Nous signalons également que Dominique Aubier, il y a quel- ques années, avait eut la même intuition 5. La méconnaissance de cette réalité hébraïque dans l’œuvre de Cervantès a rendu la majorité des commentaires des cervantistes depuis le XVIIIe siè- cle superficiels car ils n’ont pas pu aller au-delà du masque que Cervantès, par une prudence évidente, dut imposer. Étudier la littérature espagnole des XVIe et XVIIe siècles sans tenir compte du phénomène juif, serait ignorer volontairement cette partie intégrante de l’Espagne, à laquelle il faut ajouter l’apport de la culture islamique et de la culture classique propre à la Renais- sance, c’est-à-dire l’hermétisme grec. Mais ceci est un autre sujet. En dépit de la terrible répression décrétée en 1492 et de tous les efforts en faveur de la pureté du sang, la tache est demeurée et c’est précisément ce qui a constitué l’extraordinaire richesse du génie espagnol : trois religions issues d’Abraham, trois cultures, trois langues unies en un même peuple. Qui oserait nier qu’une grande partie de la gloire du Siècle d’Or espagnol existe grâce à 3. Leandro Rodríguez, Don Miguel, judio de Cervantès, Monte de Casino, Zamora, 1992. 4. Ruth Reichelberg, Don Quichotte ou le roman d'un juif masqué, Entailles, Bourg-en-Bresse, 1989. 5. Dominique Aubier, Don Quichotte, prophète d’Israël, Robert Laffont, Paris, 1966. BEYA ÉDITIONS LES NOCES CABALISTIQUES DU ROI 3 cette tache ? Bon nombre de ses plus brillants représentants, n’étaient-ils pas des « convertis », à commencer par le maître Cervantès ? Il faut le reconnaître. C’est aussi l’époque où la lan- gue castillane atteignit sa perfection. Force est de constater qu’en Espagne, malgré les décrets royaux et l’intolérance inquisitoriale, grâce aux premiers cabalis- tes chrétiens, il s’opéra à l’insu de tous et comme en secret, une profonde fusion entre le judaïsme et le christianisme, et que celle- ci se répandit postérieurement dans toute l’Europe. Cependant, cette réforme en profondeur, réalisée au sein de l’Église des XIVe et XVe siècles par ses représentants les plus érudits et les plus éclairés, et en majorité « convertis », ne fut pas agréée par la hié- rarchie. Peut-être l’Eglise, si elle avait saisi l’occasion de se réfor- mer depuis l’intérieur, aurait-elle évité la révolte des partisans de Luther, certes zélés dans leur lutte contre les abus du clergé, mais hélas peu instruits des mystères de leur tradition ? Sachons que par sa contre-réforme, l’Eglise ne se réforma pas, mais au contraire, elle endurcit son action répressive et se priva de tout ce qui aurait pu l’enrichir. Au chapitre XXI du premier tome de la première partie, Cer- vantès, un peu espiègle, fait dire à Sancho : À la main de Dieu ! s’écria Sancho, je suis vieux chrétien, et pour être comte, c’est tout assez. Et c’est même trop, reprit don Quichotte ; tu ne le serais pas que cela ne ferait rien à l’affaire, car étant moi-même le roi, je puis bien te donner la noblesse sans que tu l’achètes [...].6 Une noblesse que l’argent n’acquiert pas. Alors que Sancho est un vieux chrétien, Don Quichotte de la Mancha dit simplement : « Je suis le roi » (ce qui permet de supposer qu’il n’est pas vieux chrétien) : le chrétien est le domestique et le juif est le maître. C’est l’optique inverse à celle de l’église officielle. Je suis le roi, je suis le cabaliste, celui qui donne l’authentique noblesse au chrétien ; celui-ci ne peut mépriser son fondement 6. Miguel de Cervantes Saavedra, op. cit., chap. XXI, p. 263. BEYA ÉDITIONS LES NOCES CABALISTIQUES DU ROI 4 hébraïque, car il dépend de lui, tout comme Sancho de Don Qui- chotte. C’est précisément ce que les chrétiens cabalistes ont fait. À propos du fondement hébraïque du christianisme, lisons ce que nous dit A. de Nebrija: Ne consentez pas à ce que les Saintes Lettres soient profanées par des hommes ignorants de tous les beaux-arts. Favorisez les génies. Réhaussez ces deux lumières de notre religion, déjà éteintes, les lan- gues grecque et hébraïque. [...] Cependant, l’autre langue (l’hébreu) est méprisée, et s’ils obtenaient ce qu’ils désirent, très rapidement cette langue ancienne si vénérée, à laquelle ont été confiés les princi- pes de notre religion, se trouverait enveloppée de ténèbres. Ainsi donc, si la lecture des manuscrits hébreux est interdite, s’ils sont portés disparus, s’ils sont dissipés, déchirés ou brûlés, s’ils considè- rent les livres des anciens grecs, sur lesquels sont fondées les bases de l’église primitive, d’aucune utilité, nous retournerons inévitable- ment à ce chaos antique, antérieur aux Ecritures Saintes ; et les hommes, ayant été privés des deux luminaires des Saintes Lettres, seront réduits à tourner en rond dans les ténèbres d’une nuit sans fin.7 * C’est précisément du roi que nous allons parler, à propos de cet épisode des noces de Camacho. Le roi c’est, bien sûr, Basile, en grec basileus. Mais avant de tenter un commentaire, il est nécessaire de présenter une esquisse de cette histoire du riche et du pauvre. Résumé Basile, qui vivait dans le même village que les parents de Qui- teria, [...] tomba amoureux de Quiteria dès ses plus tendres années, et la jeune fille le paya de retour par mille chastes faveurs [...]. Ils grandi- rent tous deux, et le père de Quiteria décida de marier sa fille au riche Camacho, étant donné que Basile était pauvre. Arrive le jour de la noce, à laquelle vont assister Don Quichotte et son écuyer. La 7. Cité par C. Carrete, Le judaïsme espagnol et l'Inquisition, Mapfre, Madrid, 1992, p. 135. BEYA ÉDITIONS LES NOCES CABALISTIQUES DU ROI 5 somptuosité de la fête était à la mesure de la richesse du promis : de la musique, des ballets, du théâtre, des danses allégoriques et, quant aux agapes, elles eurent été « assez abondantes pour nour- rir une armée ». Voyant tout cela mais surtout en humant toutes ces choses, Sancho resta bouche bée et en admiration devant autant de richesse de Camacho. Les fiancés, accompagnés du curé et de leurs familles respec- tives, arrivent. Avant de commencer la cérémonie du mariage, Basile se présente devant Quiteria et lui reproche son ingratitude évoquant leurs fiançailles depuis toujours. Et, pour qu’elle puisse épouser Camacho, il se transperce le cœur de la pointe en acier de sa canne et s’effondre dans une mare de sang. Moribond, il demande à Quiteria de lui donner sa main d’épouse, afin de mou- rir en paix et pour qu’elle puisse épouser Camacho. Don Qui- chotte soutient la requête du blessé et après avoir reçu le consentement de Quiteria, le curé leur donne la bénédiction. A ce moment, Basile se relève en retirant l’épée ; [...] il se fit que la lame n’avait point passé à travers la chair et les côtes de Basile, mais par un conduit de fer creux qu’il s’était arrangé sur le flanc, plein de sang préparé auparavant de telle sorte [...]. Les accompagnateurs de Camacho, abusés par le stratagème de Basile, décident de se venger et sortent leurs épées, mais Don Quichotte, « à cheval, la lance en arrêt », s’interposa, [...] et à haute voix criait : Quiteria était à uploads/Litterature/ bodas-camacho.pdf
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- Publié le Nov 13, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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