Revue française de sociologie Histoire de la sociologie Serge Paugam Citer ce d

Revue française de sociologie Histoire de la sociologie Serge Paugam Citer ce document / Cite this document : Paugam Serge. Histoire de la sociologie. In: Revue française de sociologie, 1993, 34-4. pp. 657-671; https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1993_num_34_4_4289 Fichier pdf généré le 23/04/2018 R. franc, sociol. XXXIV, 1993, 657-671 NOTE CRITIQUE Histoire de la sociologie* par Serge PAUGAM Depuis la parution en 1967 du livre de Raymond Aron sur Les étapes de la pensée sociologique jusqu'en 1991, aucun ouvrage général d'histoire de la sociologie n'a été publié en français. Au cours de cette période, la tendance a été plutôt de réaliser des ouvrages introductifs aux méthodes de la sociologie, qui comportent presque tous des éléments d'histoire de la discipline, mais ceux-ci n'y occupent jamais une place prioritaire. Bien entendu, cela ne signifie pas que la réflexion sur ce champ de la sociologie ait été inexistante au cours des dernières années. La Revue française de sociologie a publié plusieurs numéros spéciaux sur cette discipline telle qu'elle s'est développée en France à partir de Durkheim (1). Plusieurs études ont été également consacrées à la pensée des précurseurs et des fondateurs de la sociologie (2). Cela dit, l'ouvrage de Raymond Aron, de nombreuses fois réédité et traduit en plusieurs langues, est considéré comme un classique et s'impose comme la référence en la matière. Certes, on reconnaît qu'il n'est pas complet - sept auteurs seulement y sont étudiés -, mais il sert de base à l'enseignement de l'histoire de la sociologie dans les universités. Les lecteurs français ont aujourd'hui à leur disposition de nouvelles publications. Elles sont d'ambition différente. Deux d'entre elles traitent de l'histoire de la sociologie dans une perspective évolutionniste de long terme en commençant par les philosophes de l'Antiquité (Pierre- Jean Simon) ou des Lumières (Friedrich Jonas) pour aboutir à une présentation des sociologies contemporaines. Deux autres, moins volumineuses, ont tenté de réduire le champ par une conception plus stricte de la sociologie. * A propos de: Simon (1991); Jonas «Reconstructions de la sociologie française (1991); Cuin et Grešle (1992); Berthelot (1945-1960) », 32 (3) 1991. (1991). (2) Les Presses Universitaires de France (1) Cf. «A propos de Durkheim», 17 (2) ont par exemple publié dans la collection 1976; «Les durkheimiens», 20 (1) 1979; «Le sociologue» plusieurs ouvrages sur des «Sociologies françaises au tournant du siè- grands auteurs : Marx, Weber, Pareto, Mauss, cle», 22 (3) 1981 ; «La sociologie française Comte, Saint-Simon, Tocqueville, Parsons, dans l'entre-deux-guerres », 26 (2) 1985; 657 Revue française de sociologie Elles insistent davantage sur le développement des institutions (Charles- Henri Cuin et François Grešle) et sur les conditions objectives qui ont permis à cette discipline de se construire (Jean-Michel Berthelot). En dépit de leurs divergences d'approche et de présentation, ces ouvrages ont pour commune ambition de relater l'histoire du projet sociologique et de proposer quelques éléments d'interprétation. I. - Le travail de Pierre-Jean Simon est considérable. Professeur à l'Université de Haute-Bretagne à Rennes, l'auteur a réalisé cet ouvrage à partir de ses cours. Il s'agit donc de l'aboutissement d'un travail de plusieurs années d'enseignement. L'ouvrage est divisé en deux parties. La première s'intitule «Aux origines de la sociologie : philosophies sociales, philosophies politiques, philosophies de l'histoire, récits de voyages et utopies», la seconde, plus importante, «Projet sociologique». L'influence des Etapes de la pensée sociologique est très nette dans la conception de l'ouvrage. Comme Aron, Simon accorde beaucoup d'importance à la présentation des grands auteurs, à leur milieu intellectuel, à leur vie et, de façon plus générale, au contexte historique de leur œuvre sociologique. Il s'est également inspiré de l'ouvrage de Coser (1971), qui était lui aussi assez proche de celui d'Aron, et du texte plus condensé de Georges Gurvitch publié dans son Traité de sociologie (3). Pierre-Jean Simon reprend donc la démarche de ses prédécesseurs - son Histoire de la sociologie est avant tout une histoire des grands maîtres de la sociologie -, mais il s'en démarque aussi sur un point essentiel : l'histoire de la sociologie ne commence pas, chez lui, avec Montesquieu ou Auguste Comte. C'est dans la philosophie grecque, sous l'influence de Platon, d'Aristote et des Sophistes, qu'il voit les origines de la sociologie. Il passe également en revue les grandes idées de la Renaissance aux Lumières et découvre dans les philosophies sociales et politiques et les récits de voyages ce qu'il appelle la préhistoire de la sociologie. Sur les 522 pages de cet ouvrage, les 180 premières sont consacrées aux origines de la discipline. Cet ouvrage volumineux qui se présente comme un manuel pour étudiants de sociologie est incontestablement une référence sérieuse. Pierre- Jean Simon ne cache pas la partialité de ses choix. Si son ambition est de remonter très loin dans le temps pour établir un dialogue avec les œuvres du passé, il a conscience de l'impossibilité d'écrire une histoire complète de la sociologie : «Le but que l'on s'est proposé est beaucoup plus modeste : il ne s'agit que d'éléments (de morceaux, de fragments...) de cette histoire. Et il s'agit aussi ďune histoire : bien d'autres sont possibles, sensiblement différentes, ce qui marque le caractère d'"essai" de celle-ci, où intervient par le choix et le traitement des thèmes, des auteurs et des œuvres, la perspective particulière de celui qui l'écrit, sa propre conception de la sociologie» (p. 5). Contrairement à Aron qui s'était efforcé dans son introduction d'expliquer les raisons qui l'amenèrent à pri- (3) «Brève esquisse de l'histoire de la sociologie», dans Gurvitch (éd.) (1958, tome 1). 658 Serge Paugam vilégier tel ou tel précurseur ou fondateur de la sociologie, Pierre-Jean Simon ne donne aucune justification de ses choix. On peut toutefois les comprendre : spécialiste de l'immigration et des cultures minoritaires, l'auteur est sensible au relativisme culturel et accorde de l'importance, aussi bien dans la première partie de son ouvrage que dans la seconde, aux œuvres des ethnographes soucieux de rendre compte de la diversité de la condition humaine. C'est ainsi que l'on trouve, dans la partie sur les origines, des pages stimulantes sur Montaigne et l'esprit de la Renaissance. Pierre- Jean Simon voit dans ce grand voyageur le précurseur de l'anthropologie et de la sociologie modernes. L'auteur ne dissimule pas non plus son admiration pour Montesquieu. Si la section intitulée «De la Renaissance aux Lumières» commence par Montaigne et se termine par Montesquieu, ce n'est pas par hasard. Pierre- Jean Simon voit une continuité entre les deux hommes, même si plus d'un siècle les sépare. D'après lui, Montesquieu est animé comme Montaigne par une «audacieuse liberté de pensée», un «esprit de souriante modération» et une «attention passionnée à la diversité humaine». En citant Raymond Aron, il reconnaît comme lui que Montesquieu est à la fois le dernier des philosophes classiques et le premier des sociologues : l'intention spécifique de la sociologie et la démarche propre du sociologue sont, d'après eux, présentes dans L'Esprit des Lois. D'une façon générale, en examinant les auteurs du passé, Pierre- Jean Simon cherche moins à faire la sociologie de leur pensée sociologique qu'à examiner leur message en fonction des leçons méthodologiques qu'il considère comme indispensables pour les sociologues d'aujourd'hui. Il étudie leurs œuvres afin de tenter d'apporter des réponses aux questions actuelles de la sociologie. Il ne s'agit pas pour lui de faire une histoire «historienne» de la sociologie, mais une histoire au présent. C'est la raison pour laquelle il ne s'interdit pas, au détour de la présentation des auteurs et des textes qu'il a retenus, de donner des conseils au lecteur, de transmettre son propre message. Ce style porte la marque de l'enseignant : pour convaincre un auditoire, on sait qu'il faut quelquefois un peu s'écarter du propos initial, donner des exemples actuels, faire part de ses convictions. Ces commentaires pourront agacer certains lecteurs qui les trouveront trop longs ou répétitifs, mais il faut reconnaître leur intérêt pour un public non initié. La première partie comporte de judicieuses analyses et la présentation d'œuvres peu connues des sociologues. Quand on parle par exemple des précurseurs de la sociologie politique, on a pris l'habitude de citer Machiavel. Pierre-Jean Simon respecte la tradition, mais, après avoir présenté Le Prince dans le chapitre consacré à la politique, il enrichit son propos par un autre auteur du XVIe siècle, tout aussi célèbre mais presque jamais mentionné dans les ouvrages d'histoire de la sociologie : La Boétie. Son Discours sur la servitude volontaire est une bonne introduction à la sociologie de la domination et du pouvoir, et on ne peut qu'approuver le choix de le présenter aux étudiants de sociologie. 659 Revue française de sociologie Si la première partie de cet ouvrage est à la fois diversifiée et éclairante, la deuxième comporte des lacunes. On regrettera tout d'abord que l'auteur n'y ait pas poursuivi son objectif, à savoir présenter un nombre important d'auteurs et ď œuvres pour mettre l'accent sur la diversité des influences et des approches sociologiques contemporaines. Dans cette partie qui correspond approximativement au champ historique couvert par Aron et Coser, il distingue seulement quatre grands courants qui ont marqué l'évolution du projet sociologique : la sociologie proche uploads/Litterature/ his-de-la-soc-se.pdf

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