Jean-Pierre DIGARD – L’HOMME ET LES ANIMAUX DOMESTIQUES. Anthropologie d’une pa
Jean-Pierre DIGARD – L’HOMME ET LES ANIMAUX DOMESTIQUES. Anthropologie d’une passion ; Coll. « Le temps des sciences », Fayard, Paris, nouveau tirage, 2009. (24 €) Cet ouvrage de J.P. DIGARD est devenu un classique, au point de faire l’objet, 19 ans après sa parution, d’un nouveau tirage, non pas d’une deuxième édition : c’est bien la version originale qui est de nouveau proposée au lecteur. Peu d’ouvrages scientifiques peuvent se vanter d’avoir fait l’objet d’un tel traitement, qui concrétise la notoriété de son auteur et de ses idées, lesquelles, même si on est en droit de ne pas être d’accord avec l’une ou l’autre d’entre elles, ne peuvent être ignorées. Certaines sont même quasiment « tombées dans le domaine public », J.P. DIGARD étant considéré comme le spécialiste en France de la domestication. Bien qu’il ait repris et développé certains thèmes dans Ethnozootechnie, il ne nous a pas paru inutile de procéder à une présentation de son ouvrage –laquelle n’avait pas été faite en 1990- afin de remettre en mémoire à nos adhérents le cadre général et les idées-force qu’il contient. Nous tenons bien entendu compte du texte (de 1990, rappelons le), même si dans certains cas la situation s’est sensiblement modifiée depuis. L’auteur précise d’entrée qu’en tant qu’ethnologue, c’est à l’homme qu’il s’intéresse au travers des animaux. Il est impossible d’imaginer l’homme sans ces derniers, qui sont en quelque sorte constitutifs de son identité. Dans l’abondante littérature qui leur est consacrée, les sciences humaines ont du mal à faire entendre leur voix ; J.P. DIGARD se propose de discuter des notions de domestication, d’animal domestique, de système domesticatoire et des rapports entre la domestication animale et la société. La première partie s’intitule « Les idées sur la domestication ». Elle commence par une étude historique d’où émerge Isidore GEOFFROY St HILAIRE, qui décomposa le processus de domestication en trois stades successifs auxquels correspondent trois états de l’animal : la captivité, l’apprivoisement et la domesticité. La zoologie contemporaine ne s’intéresse plus aux animaux domestiques, les considérant comme à part, fixés d’une certaine manière par l’homme : c’est « le sauvage » qui est leur champ d’étude. Il en est de même chez les paléontologues, qui se penchent préférentiellement sur les périodes anciennes, antérieures à la domestication, chez les zoogéographes, qui considèrent surtout les territoires n’ayant pas subi d’influence humaine, et même aussi chez les éthologues… Bref, l’animal domestique dérange, à cause de l’intervention de l’homme ! Un deuxième chapitre traite des champs classiques de l’étude des animaux domestiques, où il est question de la gestion de l’élevage (du cheval surtout) sous l’Ancien Régime, de l’avènement de la médecine vétérinaire, puis de la zootechnie, laquelle a été traversée par de grands débats : certains étaient techniques, par exemple l’alternative « recours au croisement / sélection dans l’indigénat », d’autres portant sur la raison pratique et la raison sociale, étant donné que « les enjeux sociaux et culturels pèsent au moins autant sur ces évolutions que les considérations zootechniques ». Ainsi, « l’ambiguïté de la démarche zootechnique (…) réside dans son caractère de science appliquée à la recherche d’une adaptation optimale des animaux à des besoins humains que cette discipline se trouve à elle seule dans l’incapacité de définir ». J.P. DIGARD insiste sur la dimension humaine qui existe dans tous les processus techniques et souligne que la Société d’Ethnozootechnie en a pris conscience et tente de le concrétiser dans ses journées d’étude, même si les résultats en sont encore limités. « Quand les sciences de l’homme s’en mêlent » -titre du troisième chapitre- la domestication apparaît sous un jour nouveau. Certes, celles-ci se sont beaucoup intéressées à la préhistoire mais aujourd’hui, grâce notamment à LEROI-GOURHAN, elles développent une approche nouvelle, en intégrant dans un même ensemble d’investigations les animaux, leur domestication et les caractéristiques des sociétés qui la pratiquent. Notamment, la domestication est à considérer comme une action nécessairement continue, chaque jour renouvelée et entretenue. J.P. DIGARD se pose alors, dans la deuxième partie, la question : « Qui sont les animaux domestiques ? ». Il explique d’abord pourquoi ces derniers sont si difficiles à définir et n’hésite pas à conclure qu’en dehors des cas les mieux caractérisés, ils sont peut-être indéfinissables. Il lui paraît en tout cas évident que se limiter à une définition stricte de la domestication et retenir la classique liste restreinte d’animaux domestiques que propose la zoologie revient à ne considérer qu’une partie du sujet. Il tente alors un inventaire des animaux domestiques, qui comprend ceux dont le statut est incontestable, ceux dont il est au contraire discuté et ceux qui ont connu dans le passé certaines formes de domestication : il arrive alors à près de 200 espèces ! Il reconnaît que beaucoup de cas sont limites, concernant des espèces qui n’entrent pas dans une classification binaire « espèces sauvages / espèces domestiques » : les exemples classiques sont le renne, l’abeille mais également le porc (dans la mesure où il a été pendant longtemps volontairement croisé avec le sanglier). Bien d’autres espèces font également l’objet de commentaires, par exemple celles qui campent presque uniformément sur la frontière entre sauvagerie et domesticité, et parmi lesquelles on pouvait encore placer il y a quelques siècles le chat. Lorsque l’équilibre entre état sauvage et état domestique est précaire, il faut parfois peu de choses pour faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre, comme l’illustre parfaitement le vaste sujet du marronnage. J.P. DIGARD en conclut qu’une espèce animale ne peut jamais être considérée comme totalement et définitivement domestiquée, son maintien dans cet état dépendant avant tout de l’homme ; prenant en compte les nouvelles tentatives de domestication, il ajoute qu’aucune espèce sauvage n’est jamais totalement à l’abri d’une tentative de domestication et, enfin, estime qu’il n’est pas pertinent de distinguer des espèces domestiques et des espèces sauvages. La deuxième partie se termine par la notion de système domesticatoire, qui résulte de la combinaison des facteurs biologiques, techniques et humains qui caractérisent l’utilisation d’un animal dans une région donnée : par exemple, le Pottok, le Postier Breton et le Pursang Anglais relèvent de systèmes domesticatoires différents. L’ethnologue ne se demandera pas lequel des trois est le plus domestique ; il constatera qu’ils sont différents et s’interrogera sur ce qu’ont pu faire les Basques, les Bretons et les Anglais pour qu’il en soit ainsi. La troisième partie s’intitule « Consommer et produire de la domestication ». Alors que l’idée a longtemps prévalu que les tentatives de domestication ont toujours eu une fin utilitaire, on admet aujourd’hui qu’il n’en est rien. J.P. DIGARD développe le thème, en expliquant que la domestication est une action sur l’animal avant d’être une action pour l’homme. Ce dernier ne savait pas forcément ce qu’il allait faire des animaux, qu’il ne connaissait qu’à l’état sauvage, une fois qu’ils auront été domestiqués. L’idée essentielle qui ressort de cette troisième partie est qu’ « en produisant des animaux, on produit également de la domestication, c’est-à-dire du pouvoir de l’homme sur l’animal ». Ainsi, l’homme recherche « la domestication pour elle-même et pour l’image qu’elle renvoie d’un pouvoir sur la vie et les êtres. Même quand elle sert aussi à autre chose, l’action domesticatoire contient sa propre fin ». On trouve aussi, dans cette troisième partie, un inventaire détaillé des productions animales et une évocation des « moyens élémentaires d’action » sur l’animal que l’homme a pu mettre en œuvre pour domestiquer celui-ci. S’interroger sur les rapports « Domestication animale et société », objet de la quatrième partie, revient à chercher quels choix (d’espèces, d’utilisations, de techniques) ont été considérés comme souhaitables, et pourquoi, par telle société. Un très intéressant classement des systèmes d’élevage, emprunté à LEROI-GOURHAN, est proposé et prolongé par une discussion sur les alternatives classiques « sociétés pastorales / sociétés agricoles », « sociétés apprivoisatrices / sociétés domesticatrices », lesquelles ne sont pas aussi simples qu’il n’y paraît. Est ensuite longuement étudié « Un cas parmi d’autres : le système domesticatoire occidental », caractérisé fondamentalement de nos jours par la promotion des animaux de compagnie et « l’éloignement » des animaux de ferme. Même si J.P. DIGARD exagère au sujet des animaux de rente, l’opposition qu’il propose est intéressante : hyperdomestication, surprotection, survalorisation des animaux familiers d’un côté ; dédomestication, maltraitement, marginalisation de l’autre. Intéressant également est un autre parallélisme : les Indiens d’Amérique du Sud adoptent de jeunes animaux sauvages pour se faire pardonner de consommer leurs congénères adultes ; les Occidentaux s’autorisent à manger des animaux à la condition de ne pas voir les espèces qu’ils consomment (élevages anonymes, distants) et de s’en excuser en quelque sorte en réservant d’autres espèces à la compagnie. A la fin de l’ouvrage, et après avoir rappelé les principales idées-force qu’il a développées, J.P. DIGARD insiste sur le fait que l’homme se reconnaît dans les animaux domestiques, qu’ils sont un peu de nous-mêmes et que « les rapports que nous entretenons avec eux font partie de cet indicible qui parle dans notre inconscient ». 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- Publié le Mar 03, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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