DU MÊME AUTEUR H.P. Lovecraft, Le Rocher, 1991 Extension du domaine de la lutte
DU MÊME AUTEUR H.P. Lovecraft, Le Rocher, 1991 Extension du domaine de la lutte, Maurice Nadeau, 1994 ; J'ai lu, 1997 Le sens du combat, Flammarion, 1996 - . Rester vivant suivi de ia poursuite du bonheur, Flammarion, 1997 Les particules élémentaires, Flammarion, 1998 Interventions, Flammarion, 1998 Michel Houellebecq Rester vivant et autres textes Texte intégral Rester vivant a parU pour la première fois aux Éditions de La Différence en 1991. Rester vivant © Éditions Flammarion, 1997 «Approches du désarroi», «Le regard perdu», «Jacques Prévert est un con» et «Temps mort», extraits de Interventions © Éditions Flammarion, 1998 «Prise de contrôle sur numéris», «Cieux vides» et «La fête» © Michel Houellebecq, 1?98 Redter rirant méthode .. D'ABORD, LA SOUFFRANCE « L'univers crie. Le béton marque la;violence avec laquelle il a été frappé comme mur. Le béton crie. L 'herbe gémit sous les dents de l'animal: Et l'homme? Que dirons-nous de l'homme? » . ., Le monde est une souffrance déployée. À son origine, il y a: un noeud de souffrance. Toute existence est une expanson, et un' écrasement. Toutes les choses souffrent, jusqu'à ce qu'elles soient. Le néant vibre de douleur, jusqu'à parvenir à l'être : dans un abject paroxysme. '. Les êtres se diversifient et se complexifient, sans rien perdre de leur nature première. À partir d'un certain niveau de conscience, se produit le cri. La poésie en dérive. Le langage articulé, également. La première démarche poétique consiste à remonter à!' origine. À savoir : à la souffrance. ' :; . Les modalités de la souffrance sont importantes ; elles ne sont pas essentielles. Toute souffrance est bonne; toute souffrance est utile; toute souffTance porte ses fruits; toute oùffrance est un univers. Henri a un an. Il gît à terre, ses couches sont souillées; il hurle. Sa mère passe et repasse en claquant des talons dans la pièce dallée, cherchant son soutien-gorge et sa jupe Elle et pressée d'aller à son rendez-vous du soir. Cette petite chose couverte de merde, qui s'agite sur le carrelage, l'exaspère. Elle se met à crier, elle aussi. Henri hurle de plus belle. Puis elle sort. Henri est bien parti dans sa carrière de poète. Marc a dix ans. Son père est en train de mourir d'un cancer à l'hôpital. Cette espèce de machinerie usée, avec des tuyaux dans la gorge et des perfusions, c'est son père. Seul le regard vit; il exprime la souffrance et la peur. Marc souffre aussi. Il a peur également. Il· aime son père. Et eh même temps il commence à avoir envie que son père meure, et à s:en sentir coupable. 9 Marc devra travailler. il devra développer en lui cette souffrance si particulière et si féconde: la Très Sainte Culpabilité .. Michel a quine ans. Aucune fille ne l'a jamais embrassé. il aimerait danser avec Sylvie; mais Sylvie danse avec Patrice; et manifestement elle y prend plaisir. il est figé; la musique pénètre jusqu'au plus profond de lui-même. C'est un slow magnifique, d'une beauté surréelle. il ne savait pas qu'on pouvait souffrir autant. Son enfance, jusqu'à présent, avait été heureuse. Michel n'oubliera jamais le contraste entre son coeur figé par la souffrance et la bouleversante beauté de la musique. Sa sensibilité est en train de se former. Si le monde est composé de souffrance c'est parce qu'il est, essentiellement, libre. La souffrance est la conséquence nécessaire du libre jeu des parties du système. Vous devez le savoir, et le dire. il ne vous sera pas possible de transformer la souffrance en but. La souffrance est, et ne saurait par conséquent devenir un but. Dans les blessures qu'elle nous inflige, la vie alterne entre le brutal et l'insidieux. Connaissez ces deux formes. Pratiquez-les. Acquérez-en une connaissance complète. Distinguez ce qui les sépare, et ce qui les unit. Beaucoup de contradictions, alors, seront résolues. Votre parole gagnera en force, et en amplitude. Compte tenu des caractéristiques de l'époque moderne, l'amour ne peut plus guère se manifester; mais l'idéal de l'amour n'a pas diminué. Étant, comme tout idéal, fondamentalement situé hors du temps, il ne saurait ni diminuer ni disparaître. D'où une discordance idéal-réel particulièrement criante, source de souffrances particulièrement riche. Les années üadolescence sont importantes. Une fois que vous avez développé une conception de l'amour suffisamment· idéale, suffisamment noble et parfaite, vous êtes fichu. Rien ne pourra, désormais, vous suffire. Si vous ne fréquentez pas de femme (par timidité, laideur ou quelque autre raison), lisez des magazines féminins, Vous ressentirez des s·ouffrances presque équivalentes. 10 Aller jusqu'au fond du gouffre de l'absence d'amour. Cultiver la haine de soi. Haine de soi, mépris des autres; Haine des autres, mépris de soi. Tout mélanger. Faire la synthèse. Dans le tumulte de la vie, être toujours. perdant. L'univers comme une discothèque. Accumuler des frustrations en grand nombre. Apprendre à devenir poète; c'est désapprendre à vivre. Aimez votre passé, ou haïssez-le; mais qu'il teste présent à vOs yeux. Vous devez acquérir une· connaissance complète de vous-· même. Ainsi" peu à peu, votre moi profond se détachera, glissera sous le soleil ; et votre corps restera sur place; gonflé, bol,lrsouflé, irrité; mûr pour de nouvelles souffrances. . La vie est une série de tests de destruction. Passer les premiers tests, échouer aux derniers. Rater sa vie, mais la rater de peu. Et souffrir, toujours souffrir. Vous devez apprendre à ressentir la douleur par tous vos pores. Chaque fragment de . l'univers doit vous être une blessure personnelle. Pourtant, vous devez rester vivant - au moins un certain temps. La timidité n'est pas à dédaigner. On a pu la considérer comme la seule source de richesse intérieure; ce n'est pas faux. Effectivement, c'est dans ce moment de décalage entre la volonté et l'acte que les phénomènes mentaux intéressants commencent à se manifester. L'homme chez qui ce décalâge est absent reste proche de l'animal. La timidité est un excellent point de départ pour un poète. . Développez en vous un profond ressentiment à l'égard de la vie. Ce ressentiment est nécessaire à tOl,lte création artistique véritable. Parfois, c'est vrai, la vie vous apparaîtra simplement comme une expérience incongrue. Mais le ressentiment devra toujours rester proche, à portée de main -'- même si vous choisissez de ne pas l'exprimer: , Et revenez toujoUrs à la source, qui est la souffrance. Lorsque vous susciterez chez les autres un mélange de pitié effrayée et de mépris, vous saurez que vous êtes sur la bonne voie. Vous pourrez commencer à écrire. ARTICULER « Une force devient mouvement dès qu'elle entre. en acte et se développe dans la durée. » Si vous ne parvenez pas à articuler votre souffrance dans Une' structure bien définie, vous êtes foutu. La souffrance vous' bouf-· fera tout cru, de l'intérieur, avant que vous ayez eu le 'temps d'écrire quoi que ce soit. La structure est le seul moyen d'échapper au. suicide. Et le suicide ne résoùt rien. Imaginez que Baudelaire ait réussi sa tentative qe suicide, à vingt-quatre ans. . Croyez à la structure. Croyez aux métriques anciennes; également La versification est un puissant outil de libération de la vie intérieure. '. Ne vous sentez pas obligé, d'inventer une forme neuve. Les formes neuves sont rares. Une par siècle, c'est déjà bien. Et ce ne sont pas 'forcément les plus grands poètes qui en sont l'origine. La poésie n'est pas un travail ur le langage; pas essentiellement. Les mots sont sous la responsabilité de l'ensemble de la société. , . La plupart des formes neuves e produisent non pas en partant de zéro, mais par lente dérivation à partir d'une forme,antérieure. L'outil s'adapte, peu à peu; il subit de légères modifica-i tions; la nouveauté quirésultè de leur effet conjoint n'apparaît généralement qu'à la fin, une fois l'oeuvre écrite. ç'est tout à faif 'comparable à l'évolution animale. ' Vous émettrez d'abord des cris inarticulés. Et vous serez souvent tenté d'y revenir. C'est normal. La poésie, en réalité, précède de peu le langage articulé. , Replongez dans les cris inarticulés, chaque fois que vous en ressentirez le besoin. C'est un bain de jouvence. Mais n'oubliez pas: si vous ne parvenez pas, au moins une fois de temps à a:utre, à en sortir, vous rriourrez. L'organisme humain a ses limites. Au paroxysme de la souffrance, vous ne pourrez plus écrire. Si vous vous en sentez la force, essayez tout de même. Le résultat sera probablement mauvais; probablement, mais pas certainement. 1 5 Ne travaillez jamais. Écrire des poèmes n'est pas un travail; c'est une charge. Si l'emploi d'une forme déterminée (par exemple l'alexandrin) vÇ>us demande un effort, renoncez-y. Ce type d'effort n'est jamais payant. , Il en va autrement de l'effort général, permanent, consistant à échapper à l'apathie. Il est, lui, indispensable. Au sujet de la forme, n'hésitez jamais à vous contredire. Bifurquez, changez de direction autant de fois que nécessaire. Ne vous efforcez pas trop d'avoir une personnalité cohérente; cette personnalité existe, que vous le vouliez ou non. ' Ne négligez rien de ce qui peut vous procurer une parcelle d'équilibre. De toute façon, le bonheur n'est uploads/Litterature/ houellebecq-michel-poesie.pdf
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- Publié le Mai 14, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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