Couverture imprimée en typographie réalisée par Victoria Xardel – 1 Le vivant,

Couverture imprimée en typographie réalisée par Victoria Xardel – 1 Le vivant, la machine et l’homme Le diagnostic historique de la biologie moderne par André Pichot & ses perspectives pour la critique de la société industrielle André Pichot est chercheur en histoire et philosophie des sciences au CNRS à l’université de Nancy. En 2011, il a publié un imposant ouvrage qui semble clore une analyse très critique de la biologie moderne dans son ensemble. Je propose de faire ici une brève rétrospective sur une œuvre atypique. Je tenterais ensuite d’indiquer succinctement les perspectives qu’ouvrent sa critique du vivant comme machine et qu’impliquent sa nouvelle conception du vivant pour une critique de la société capitaliste et industrielle. 2 – Bibliographie d’André Pichot Livres Éléments pour une théorie de la biologie, éd. Maloine, 1980 (240 p.). La naissance de la science, Tome I. Mésopotamie, égypte, (320 p.) Tome II. Grèce présocratique, (480 p.) éd. Gallimard, coll. Folio/Essai n°154 et 155, 1991. Petite phénoménologie de la connaissance, éd. Aubier, 1991 (230 p.). Histoire de la notion de vie, éd. Gallimard, coll. TEL, 1993 (980 p.). L’eugénisme, ou les généticiens saisis par la philanthropie, éd. Hatier, coll. Optiques, 1995 (80 p.). Histoire de la notion de gène, éd. Flammarion, coll. Champs, 1999 (350 p.). La société pure : de Darwin à Hitler, éd. Flammarion, coll. Champ, 2001 (460 p.). Aux origines des théories raciales, de la Bible à Darwin, éd. Flammarion, 2008 (520 p.). Expliquer la vie, de l’âme à la molécule, éd. Quae, 2011 (1220 p.). Présentation et notes de rééditions • Xavier Bichat, Recherches physiologiques sur la vie et la mort, éd. Flammarion, coll. GF, 1995. • Galien, Œuvres médicales choisies, éd. Gallimard, coll. TEL, 1994 (2 vol.) • Jean-Baptiste Lamarck, Philosophie zoologique (1809), éd. Flammarion, coll. GF, 1994. • Louis Pasteur, Écrits scientifiques et médicaux, éd. Flammarion, coll. Champs, 1994. – 3 La vie n’existe pas ! Si je proteste, c’est avant tout contre cette machinisation de pacotille de notre imagination scientifique, qui tue notre capacité à accueillir l’imprévu, c’est contre ce magma d’ignorance niée recouvert d’un vague vernis, cette brutalité de boucher vis-à-vis de choses qui exigeraient la douceur la plus circonspecte. Erwin Chargaff, Essays on Nucleic Acids, 1963, chapitre 11. Depuis les années 1990, André Pichot a écrit une douzaine d’ouvrages sur l’histoire des sciences et plus particulièrement sur l’histoire de la biologie, son domaine de prédilection. Mais l’histoire qu’il nous raconte n’est pas celle d’un long fleuve tranquille menant aussi paisiblement qu’inéluctablement au théories actuelles sur le vivant. Au contraire, c’est une histoire aussi surprenante que complexe, pleine de fourvoiements et d’impasses, de renversements inattendus et de réorientations impromptues. Une histoire encombrée de mythes, de légendes et d’idées fausses, de fraudes et d’affaires louches, avec en prime quelques monceaux de cadavres cachés dans les placards… C’est surtout le récit du triomphe, envers et contre toutes les évidences du contraire, d’une conception fondamentalement erronée : celle de l’être vivant comme machine. Autrement dit, Pichot retrace une histoire de la biologie qui est avant tout critique. Ce point de vue original repose d’une part sur une solide documentation, un retour vers les textes originels qui permet de démonter les nombreux mythes et légendes qui encombrent cette histoire, et d’autre part sur une “théorie de la biologie”, une théorie sur ce qu’est un être vivant, aux antipodes de l’être vivant comme machine et qui constitue en quelque sorte la pierre de touche qui lui permet d’analyser de manière critique l’ensemble de cette histoire. Dès l’introduction de son premier ouvrage historique sur la biologie, il plante le décor : Bien qu’elle nous touche de près, la notion de vie n’a jamais été clairement définie, ni dans l’histoire des sciences ni dans celle de la philosophie. Sans doute 4 – parce qu’elle est difficile à saisir. D’elle on pourrait dire ce que Saint Augustin disait du temps : “Qu’est-ce donc que la vie ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus.” […] Si la notion de vie est difficile à cerner, et n’a jamais été très clairement définie, pourquoi (et comment) en faire l’histoire ? Un concept non défini aurait- il non seulement une existence mais aussi une histoire ? […] Contrairement à l’histoire des mathématiques, de la physique ou même de la chimie, l’histoire de la biologie ne se présente jamais comme un développement, mais plutôt comme une accumulation d’hypothèses, d’anecdotes expérimentales et, parfois, de découvertes. Le plus souvent, d’ailleurs, ces découvertes semblent avoir été faites au hasard car, à leur époque, elles entraient dans le cadre de théories qui n’avaient rien à voir avec celles où nous les interprétons aujourd’hui. A. Pichot, Histoire de la notion de vie, éd. Gallimard, coll. TEL, 1993 1. En effet, plus de deux siècles après son invention par Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829) en France et Gottfried Reinhold Tréviranus (1776-1837) en Allemagne (aux alentours de 1802), la biologie – la science qui étudie les êtres vivants – n’a toujours pas de définition de son “objet”. C’est en partie cette absence de définition claire, précise et unanime chez les scientifiques qui explique la succession plus ou moins chaotique des théories. Et c’est surtout la difficulté à en élaborer une – toujours repoussée, jamais affrontée – qui explique le triomphe, par défaut et faute de mieux, de la conception de l’être vivant comme machine. Aujourd’hui, c’est le courant que l’on peut qualifier de “cybernétique” (quoiqu’il ne revendique pas cette appellation) qui occupe le haut du pavé en biologie. L’être vivant est conçu comme une sorte d’usine biochimique dirigée par un programme génétique dont la “finalité” est de dupliquer et propager son information génétique. Depuis un moment déjà, cette mouvance prétend d’ailleurs que « la vie n’existe pas ! » – ce qui, il faut l’avouer, est une manière astucieuse et élégante de résoudre le problème de la définition du vivant. Le premier à soutenir une telle position a probablement été le biochimiste hongrois Albert Szent-Györgyi (1893-1986), découvreur de la vitamine C et pour cela prix Nobel de médecine en 1937. Dans un ouvrage traitant de La nature de la vie, il n’a pas hésité à écrire : La vie en tant que telle n’existe pas, personne ne l’a jamais vue… Le nom de “vie” n’a pas de sens, car une telle chose n’existe pas. 2 1 env. 1000 pages et autant de citations, 16 euros. 2 Cité par Henri Atlan, Question de vie, entre le savoir et l’opinion, éd. du Seuil, 1994, p. 43. – 5 En voilà un qui ne devait pas souvent lever les yeux de sa paillasse de laboratoire ! En 1970, le biologiste François Jacob (1920-2013) renchérissait : On n’interroge plus la vie aujourd’hui dans les laboratoires. On ne cherche plus à en cerner les contours. On s’efforce seulement d’analyser les systèmes vivants, leur structure, leur fonctionnement, leur histoire […]. C’est aux algorithmes du monde vivant que s’intéresse aujourd’hui la biologie. François Jacob, La logique du vivant, éd. Gallimard, 1970. Plus proche de nous encore, Henri Atlan, prolonge ces déclarations : L’objet de la biologie est physico-chimique. A partir du moment où on fait de la biochimie et de la biophysique, et où on comprend les mécanismes physico- chimiques qui rendent compte des propriétés des êtres vivants, alors la vie s’évanouit ! Aujourd’hui, un biologiste moléculaire n’a pas à utiliser, pour son travail, le mot “vie”. Cela s’explique historiquement : il s’occupe d’une chimie qui existe dans la nature, dans un certain nombre de systèmes physico-chimiques particuliers, aux propriétés spécifiques, et appelés animaux ou plantes, c’est tout ! H. Atlan, Question de vie, entre le savoir et l’opinion, p. 43-44. Quand je dis : “la vie n’existe pas”, je suis bien conscient que je vais continuer à parler de ma vie et de ma mort ou de la vie et de la mort de quelqu’un d’autre comme de réalités. Je sais bien que la vie existe ! Mais ce n’est pas alors avec le même sens que l’objet de la recherche biologique. La vie, comme objet de recherches scientifiques, n’existe pas, mais bien évidemment la vie comme expérience intérieure et réalité sociale, dont l’opposé est la mort, existe ! Ce qui a disparu, c’est la distinction entre la vie comme objet de recherche et l’inanimé, l’inerte. H. Atlan, Question de vie, entre le savoir et l’opinion, p. 48-49. En somme, la vie biologique ne serait qu’une illusion de nos sens, une « expérience intérieure » et une « construction sociale » sans réalité propre. Reste à savoir d’où viendrait ce sentiment de nous sentir vivant, si sa racine biologique n’existe pas… Atlan, qui est certainement le biologiste le plus intelligent appartenant à ce courant cybernétique, dans son dernier ouvrage déclare toujours chercher à « expliquer la vie sans la Vie » 3, c’est-à-dire sans avoir recours à ce qui serait, selon lui, l’entité mystérieuse, incommensurable et inconnaissable que serait 3 H. Atlan, Le vivant post-génomique, ou uploads/Litterature/ louart-le-vivant-la-machine-et-l-x27-homme-pdf.pdf

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