Georg Lukács Introduction aux écrits esthétiques de Marx et Engels. 1945 Traduc

Georg Lukács Introduction aux écrits esthétiques de Marx et Engels. 1945 Traduction de Jean-Pierre Morbois 2 Ce texte est la traduction de l’essai de Georg Lukács : Einführung in die ästhetischen Schriften von Marx und Engels, (1945). Il s’agit d’une introduction à l’édition hongroise des écrits esthétiques de Marx et Engels. Il occupe les pages 191 à 216 du recueil : Georg Lukács, Beiträge zur Geschichte der Ästhetik, [Contributions à l’histoire de l’esthétique] Aufbau Verlag, Berlin, 1956. Cette édition se caractérise par une absence complète de notes et de références des passages cités. Toutes les notes sont donc du traducteur. Les citations sont, autant que possible, données et référencées selon les éditions françaises existantes. Cet essai était jusqu’à présent inédit en français. GEORG LUKÁCS, INTRODUCTION AUX ÉCRITS ESTHÉTIQUES DE MARX ET ENGELS. 3 Introduction aux écrits esthétiques de Marx et Engels. Les études littéraires de Marx et Engels ont une forme tout à fait particulière : c’est pourquoi il est opportun de convaincre avant tout le lecteur de la nécessité de cette forme afin qu’il adopte l’attitude nécessaire à une bonne lecture et une bonne compréhension de ces études. Il faut tout d’abord savoir que Marx et Engels n’ont jamais écrit un livre cohérent ou même une étude sur les questions littéraires au sens propre du terme. Le Marx de la maturité a certes toujours rêvé de regrouper dans une étude plus importante ses idées sur son écrivain préféré, Balzac. Mais ce projet, comme beaucoup d’autres, est resté un simple rêve. Son œuvre économique fondamentale a tellement occupé le grand penseur jusqu’au jour de sa mort, que ni ce projet, ni le livre envisagé sur Hegel n’ont pu voir le jour. C’est pourquoi le présent livre contient pour partie des lettres et des notes sur des conversations, pour une part des passages extraits de livres ayant un autre contenu, dans lesquels Marx et Engels ont abordé les questions essentielles de la littérature. Dans ces conditions, il est évident que le choix et le regroupement n’est pas le fait des auteurs eux-mêmes. Le lecteur allemand connaît l’excellente édition par le Professeur M. Lifschitz 1 des morceaux choisis Marx et Engels sur la littérature et l’art 2 (Éditions Bruno Henschel et fils, Berlin, 1948). 1 Mikhaïl Alexandrovitch Lifschitz (Михаи́л Алекса́ндрович Ли́фшиц), 1905-1983, est l’auteur de nombreux livres et articles sur l’esthétique marxiste, dont la philosophie de l’art de Karl Marx. 2 Voir aussi : Karl Marx, Friedrich Engels. Sur la littérature et l'art : Textes choisis, précédés d'une introduction de Maurice Thorez et d'une étude de Jean Fréville. Éditions Sociales, Paris, 1954. 4 La constatation de ce fait ne signifie pourtant en aucune façon que les fragments rassemblés ici ne constituent pas une unité idéelle organique, systématique. Il nous faut seulement comprendre quelle est la nature de ce système, sur la base des conceptions philosophiques de Marx et Engels. Nous n’avons naturellement pas la possibilité ici d’étudier en détail la théorie de la systématisation marxiste. Nous voulons uniquement attirer l’attention du lecteur sur deux aspects. Le premier réside dans le fait que le système marxiste ‒ en opposition radicale à la philosophie bourgeoise moderne ‒ ne se détache jamais du processus unitaire de l’histoire. Selon Marx et Engels, il n’existe qu’une seule science, unitaire : la science de l’histoire, qui conçoit l’évolution de la nature, de la société, de la pensée, etc. comme un processus historique unitaire, et cherche à découvrir ses lois générales et particulières ‒ qui se rapportent à des périodes particulières. Cela signifie cependant ‒ et c’est le deuxième aspect ‒ en aucun cas un relativisme historique. De ce point de vue aussi, le marxisme se trouve en opposition radicale à la pensée bourgeoise moderne. L’essence de la méthode dialectique consiste en effet dans le fait qu’en elle, l’absolu et le relatif forment une unité indissociable : la vérité absolue a ses éléments relatifs, liés au lieu, au temps, aux circonstances, et par ailleurs, la vérité relative, dans la mesure où elle est une vérité réelle, dans la mesure où elle reflète la réalité dans une approche fidèle, a une validité absolue. C’est une conséquence nécessaire de ce point de vue, que la conception marxiste n’admette par la séparation radicale à la mode dans le monde bourgeois, l’isolement GEORG LUKÁCS, INTRODUCTION AUX ÉCRITS ESTHÉTIQUES DE MARX ET ENGELS. 5 des branches particulières de la science. Ni la science, ni les branches particulières de la science, ni l’art, n’ont leur histoire autonome, immanente, découlant exclusivement de leur propre dialectique interne. L’évolution de tous va être déterminée par le cours de l’histoire globale de la production sociale ; ce n’est que sur cette base que peuvent vraiment être expliqués scientifiquement les changements, les évolutions qui apparaissent dans les différents domaines. Certes, cette conception de Marx et Engels ‒ qui contredit formellement de nombreux préjugés scientifiques modernes ‒ ne doit pas être interprétée mécaniquement, comme ont coutume de le faire de nombreux pseudo- marxistes, des marxistes vulgaires. Dans nos analyses ultérieures, entrant dans les détails, nous reviendrons encore sur ce problème. Ici, nous voulons simplement souligner que Marx et Engels n’ont jamais nié l’évolution relativement indépendante des différents domaines d’activité de la vie humaine ‒ du droit, de la science, de l’art, etc. ‒, ils n’ont jamais méconnu que par exemple l’idée philosophique particulière se raccroche à une idée précédente, la développe, la combat, la corrige, etc. Marx et Engels nient seulement qu’il soit possible d’expliquer exclusivement ou même seulement prioritairement l’évolution de la science ou de l’art par leurs rapports immanents. Ces rapports immanents existent sans nul doute dans la réalité objective, mais uniquement comme éléments de la corrélation historique, de l’ensemble de l’évolution historique, au sein duquel le rôle premier échoit au facteur économique : au développement des forces productives ‒ dans le complexe des interactions complexes. 6 L’existence et l’essence, la genèse et l’impact de la littérature, ne peuvent donc être compris et expliqués que dans le contexte historique global du système dans son ensemble. Genèse et développement de la littérature sont une partie du processus historique global de la société. L’essence esthétique et la valeur esthétique sont une partie de ce processus social général et cohérent dans lequel l’homme s’approprie le monde par sa conscience. Au premier abord, l’esthétique marxiste, l’histoire marxiste de la littérature et de l’art font partie du matérialisme historique, mais dans une deuxième approche, elles sont l’application du matérialisme dialectique. Certes, dans les deux cas, il s’agit d’une partie particulière, spécifique, de cet ensemble, avec des lois spécifiques déterminées, des principes spécifiques, esthétiques déterminés. Nous trouvons donc les principes les plus généraux de l’esthétique et de l’histoire littéraire marxistes dans la théorie du matérialisme historique. Ce n’est qu’à l’aide du matérialisme historique que peuvent être compris la genèse de l’art et de la littérature, les lois de leur évolution, leurs tournants, leur essor et leur déclin au sein du processus global etc. C’est pourquoi nous devons dès le début soulever quelques questions générales, fondamentales, du matérialisme historique. Et en vérité pas seulement dans l’intérêt du fondement scientifique nécessaire, mais aussi parce que parce que, dans ce domaine justement, nous devons séparer avec une netteté particulière le marxisme authentique, la conception dialectique authentique de leur vulgarisation bon marché, car c’est précisément dans ce domaine que celle-ci a, aux GEORG LUKÁCS, INTRODUCTION AUX ÉCRITS ESTHÉTIQUES DE MARX ET ENGELS. 7 yeux de larges sphères, compromis le plus gravement la théorie du marxisme. Il est bien connu que le matérialisme historique voit dans l’infrastructure économique le principe directeur, les lois déterminantes de l’évolution historique. Les idéologies ‒ et parmi elles la littérature et l’art ‒ ne figurent dans ce contexte dans le processus d’évolution que comme superstructure secondairement déterminante. À partir de cette affirmation fondamentale, le matérialisme vulgaire tire la conséquence mécaniste et fausse, déformante et erronée, qu’il existerait entre infrastructure et superstructure un simple rapport de causalité, dans lequel la première ne figurerait que comme cause et la dernière seulement comme conséquence. Aux yeux du marxisme vulgaire, la superstructure est une conséquence mécaniste, causale, du développement des forces productives. La méthode dialectique ne connait absolument pas de tels rapports. La dialectique conteste qu’existent où que ce soit sur terre de pures relations unilatérales causes- conséquences ; elle reconnait dans les faits les plus simples des interactions complexes de causes et de conséquences. Et le matérialisme historique souligne avec une insistance particulière que dans un processus aux strates et aux facettes aussi multiples comme l’est l’évolution de la société, le processus global de l’évolution sociale, de l’évolution historique se produit partout en tant qu’entrelacs complexe d’interactions. Ce n’est qu’avec une telle méthode qu’il est possible ne serait-ce que d’effleurer le problème des idéologies. Celui qui voit dans les idéologies le produit mécaniste, 8 passif, du processus économique qui en forme la base, ne comprend absolument rien de leur essence et de leur évolution, il ne représente pas le marxisme, mais son image déformée, sa caricature. Engels dit dans une de ses lettres en ce qui concerne cette uploads/Litterature/ georg-lukacs-introecritsesthmarxengels.pdf

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