1 Introduction aux séries divergentes 0. Que fait la somme des entiers naturels

1 Introduction aux séries divergentes 0. Que fait la somme des entiers naturels ? 1. Histoire des séries divergentes. 2. Procédés sommatoires. 3. Théorèmes généraux. 4. Le prolongement analytique. 5. Séries asymptotiques. Pierre-Jean Hormière ___________ « The series is divergent ; therefore we may be able to do something with it ».1 O. Heaviside « Ne vous inquiétez pas, ça converge ! » 2 H. Minkowski 0. Que fait la somme des entiers naturels ? Ramanujan, lettre à Hardy, 23 février 1913 Dans un exposé très vivant sur youtube, l’excellent Benoît Rittaud rend hommage au mathématicien indien Srinivasa Ramanujan (1887-1920), et entreprend de « démontrer » l’identité trouvée par ce dernier en 1913. C = 1 + 2 + 3 + 4 + 5 + 6 + 7 + 8 + 9 + 10 + 11 + 12 + …… = − 12 1 . Multiplions en effet C par 4 et soustrayons : 4C = 4 + 8 + 12 + … −3C = 1 − 2 + 3 − 4 + 5 − 6 + 7 − 8 + Reste à calculer cette dernière somme. Pour cela, recopions-la 4 fois en la décalant, et additionnons terme à terme : S = 1 − 2 + 3 − 4 + 5 − 6 + 7 − 8 + 9 − … S = 1 − 2 + 3 − 4 + 5 − 6 + 7 − 8 + … S = 1 − 2 + 3 − 4 + 5 − 6 + 7 − 8 + … S = 1 − 2 + 3 − 4 + 5 − 6 + 7 − … 4S = 1 + 0 + 0 + 0 + … = 1 1 Une série est divergente, donc nous pouvons faire quelque chose avec elle. 2 On raconte qu’un jour, se promenant dans la rue principale de Göttingen, Minkowski croisa un jeune homme plongé dans ses pensées. Il lui tapa gentiment sur l’épaule, et fit cette réflexion… sur quoi le jeune homme s’éloigna, rassuré… S’è non è vero, è ben trovato. 2 En conclusion, S = 4 1 , et, en reportant C = − 12 1 . CQFD ! Il est clair que ce résultat est paradoxal. On peut bien sûr le rejeter d’un haussement d’épaules. Mais si l’on accepte ce que Benoît Rittaud nomme très joliment une « suspension consentie de l’incrédulité », la question n’est pas de savoir s’il est vrai ou faux, mais en quel sens peut-on le considérer comme vrai ? Car, sans le savoir, Ramanujan l’autodidacte mettait ses pas dans ceux de quelques prédécesseurs, Leibniz, Euler, Lacroix, Lagrange, Stieltjes, et ajoutait un petit caillou dans le jardin de la curieuse théorie des séries divergentes, que je vais tâcher de raconter. 1. Histoire des séries divergentes. 1.1. Les sommes infinies. La manipulation de sommes infinies a commencé dès l’antiquité. Ainsi, le paradoxe de Zénon s’appuie sur la formule 1 + 2 1 + 4 1 + 8 1 + … = 2 pour en induire l’impossibilité du mouvement. Reprise au XVIIème siècle par Leibniz et Newton, la théorie de séries fut systématiquement explorée au siècle suivant par Leonhard Euler (1707-1783) et ses successeurs, Lagrange, Laplace, Lacroix, etc. Sans se préoccuper de convergence ou de divergence, notions alors mal définies, mais avec un sens mathématique très sûr, ces mathématiciens obtinrent, au moyen de techniques ingénieuses mais peu rigoureuses, une foule d’identités. En voici quelques-unes. La série S = 1 − 1 + 1 − 1 + 1 − 1 + ... considérée par Leibniz, Jacques Bernoulli, Euler et Lacroix, est divergente au sens de Cauchy, car ses sommes partielles valent alternativement 1 et 0. Du reste, son terme général ne tend pas vers 0. Pourtant, Leibniz lui attribue la somme ½, considérant, qu’elles valent en moyenne ½. D’ailleurs, si l’on écrit S = 1 − ( 1 + 1 − 1 + 1 − 1 + ... ) = 1 − S , on a bien S = ½ . Plus généralement, on a formellement : U = 1 + x + x2 + x3 + ... = 1 + x.U , d’où U = x − 1 1 . Nous avons déjà vu ce qu’il advient si l’on fait x = −1 dans cette identité. Si l’on fait x = 2 , il vient : 1 + 2 + 22 + 23 + ... = −1 . Si l’on fait x = −2 , il vient : 1 − 2 + 22 − 23 + ... = 1/3 , etc. De même si l’on substitue x = −1 dans l’identité 1 + 2x + 3x2 + ... = )² 1 ( 1 x − , Leibniz obtient : 1 − 2 + 3 − 4 + 5 − ... = 1/4 . On peut de même faire x = ½, − ½ , 1 ou 3 dans la formule : ln(1 + x) = x − 2 ² x + 3 3 x − 4 4 x + … Comme dans les précédents exemples, on sent bien que ces différentes substitutions n’ont pas le même degré de légitimité : faire x = ½, − ½ ou 1, soit, mais faire x = 3… La formule du binôme, trouvée par Newton en 1676, s’écrit : ( 1 + x )a = 1 + ax + ² . ! 2 ) 1 ( x a a − + … + n x n n a a a . ! ) 1 )...( 1 ( + − − + … Newton l’a établie par des moyens heuristiques pour |x| < 1, mais il ne l’a pas démontrée. Si l’on fait x = −2 dans la formule x + 1 = 1 + 2 x − 8 ² x + 16 3 x − 128 5 4 x + … , on obtient ± i = … Plus généralement, les « formules de Taylor » permettaient de « développer » une fonction sous la forme f(x) = f(a) + ! 1 ) ( ' a f (x – a) + ! 2 ) ( ' ' a f (x – a)2 + … + ! ) ( ) ( n a f n (x – a)n + … sans qu’on sache bien s’il s’agit d’un développement limité (n fixé, x tend vers a), ou d’un développement en série (n tend vers l’infini, x étant fixé, mais dans quel domaine ?). Tout cela restait alors très flou. 3 Euler et Lacroix observèrent sans frémir que : ∑ +∞ = − 0 ! . ) 1 ( n n n = ∑ ∫ +∞ = ∞ + − − 0 0 . . . ) 1 ( n x n n dx e x = ∫∑ ∞ + +∞ = − − 0 0 . . ) ( n x n dx e x = dx x e x . 1 0 ∫ ∞ + − + ≈ 0, 5963… Mais quelle valeur attribuer à ce calcul purement algébrique ? Lagrange notait quant à lui que, pour θ ∉ 2πZ : 2 1 + ∑ +∞ =1 ) cos( n nθ = 0 et ∑ +∞ =1 ) sin( n nθ = 2 1 cotan 2 θ . Certes, si l’on fait θ = π dans la première formule, ou θ = π/2 dans la seconde, on retrouve la série de Leibniz. Mais voilà de drôles de séries convergentes : leur terme général ne tend pas vers 0 ! Et les identités suivantes ne choquaient ni Euler ni Ramanujan qui les collectionnaient avec délices : 1 + 2 + 3 + 4 + … = − 12 1 , 12 + 22 + 32 + 42 + … = 0 13 + 23 + 33 + 43 + … = 120 1 , 14 + 24 + 34 + 44 + … = 0 15 + 25 + 35 + 45 + … = − 252 1 , 16 + 26 + 36 + 46 + … = 0 , etc. 1.2. Le tournant de la rigueur : Cauchy, Abel (1820-1886). Les mathématiciens sentaient bien que certaines de ces séries posaient des problèmes : • Reprenons la série de Leibniz S = 1 – 1 + 1 – 1 + … , qui vaut ½ . Si l’on écrit S = ( 1 – 1) + ( 1 – 1 ) + … , il vient S = 0 Si l’on écrit S = 1 + ( −1 + 1 ) + ( −1 + 1 ) + … , il vient S = 1 • La série T = 1 + 1 + 1 + … a une somme manifestement égale à +∞ . Pourtant, si l’on écrit T = 1 + (2 – 1) + (3 – 2) + (4 – 3) + …, il vient T = 0 • Posons V = 1 − 1/2 + 1/3 − 1/4 + uploads/Litterature/ introduction-aux-series-divergentes.pdf

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