Sylviane Ahr Maître de conférences UCP/IUFM Versailles Décembre 2008 IPHIGÉNIE

Sylviane Ahr Maître de conférences UCP/IUFM Versailles Décembre 2008 IPHIGÉNIE : UN MYTHE TRAGIQUEMENT MODERNE (Approche didactique) Les pistes didactiques suggérées ci-après1 privilégient une approche diachronique de la tragédie et visent à montrer que lire et/ou voir les pièces qui s’écrivent et se jouent de nos jours, c’est favoriser « un phénomène de mémoire, de relecture et de redécouverte de formes anciennes qu’on recycle à l’intérieur de ces modernités » (Biet et Triau, 2006 : 649). La lecture conjointe d’Iphigénie à Aulis d’Euripide, d’Iphigénie de Racine et d’Iphigénie ou le péché des dieux de Michel Azama2 peut tout aussi bien concerner des élèves de 3e, dans la mesure où les nouveaux programmes de collège inscrivent l’étude du genre théâtral dans une perspective diachronique, l’objet d’étude retenu étant « continuité et renouvellement : de la tragédie antique au tragique contemporain »3, que des lycéens et plus particulièrement des élèves de 1re puisque l’accent est mis sur la complexité du langage théâtral et que l’approche proposée tend à faire comprendre que le texte dramatique « prend toute sa signification dans sa réalisation sur scène » (Accompagnement lycée : 34). Par ailleurs, si les œuvres sélectionnées permettent d’étudier l’association du texte et du spectacle, leur confrontation facilite également la construction d’éléments d’histoire littéraire : par la lecture de la pièce de Michel Azama, les élèves sont invités à « observer la culture actuelle pour mieux saisir l’importance d’en étudier les antécédents, l’histoire et l’héritage dans lesquels elle s’inscrit » (Accompagnement lycée : 53) ; ils sont conduits à percevoir l’évolution de ce genre théâtral qu’est la tragédie et à construire la notion de tragique, notamment contemporain. Enfin, cette triple lecture montre comment les tragédies antique, classique et contemporaine utilisent le mythe pour dire le monde à un moment donné de son histoire, un monde déchiré, objet de rivalités inconsidérées. Effectivement, si la tragédie grecque, qui trouve sa forme littéraire achevée au Ve siècle av J.-C. à Athènes, interroge le rapport de l’homme à la vie de la Cité, représente la tension entre le privé et le public, qu’incarne le chœur, il faut admettre que les pièces d’Euripide apparaissent comme de bien sombres visions des événements qui lui sont contemporains. De même, Racine écrit Iphigénie alors que Louis XIV engage le conflit contre l’Espagne et la Hollande4. Et il suffit de lire l’« Introduction » de Iphigénie ou le péché des dieux pour constater que Michel Azama s’est inspiré du texte grec et que son propos est de « dénoncer l’aveugle espoir du progrès sans limites […] en revenant à l’éternel recommencement de la guerre et des souffrances qui n’ont pas de fin […] » (6- 7). Le dramaturge précise que « chaque jour dans un lieu du monde moderne s’accomplit le sacrifice de milliers d’Iphigénie ». Il s’agit donc de dépasser la définition aristotélicienne de la tragédie, qu’illustre la pièce racinienne, et de construire la notion littéraire de « tragique », que l’on peut définir comme étant un certain mode de représentation du rapport de l’homme à l’univers, le tragique dévoilant l’homme face à un choix qui l’amènera à méditer sur sa condition et dont les conséquences pourront s’avérer fatales. Après avoir levé les difficultés matérielles et pédagogiques, liées à la composition du corpus, nous justifierons les choix didactiques qui ont présidé à l’élaboration et à la mise en œuvre de cette séquence, dont nous donnerons les articulations majeures en évoquant plus particulièrement les situations de classe centrées sur les spécificités du langage théâtral et engageant les élèves dans un véritable processus d’interprétation. 1 Les propositions faites ici ont été expérimentées en 2007 dans une classe de 1re. 2 La première représentation de cette pièce a été donnée en mai 1991 par des élèves de 2nde du lycée Lakanal de Sceaux. 3 Nouveaux programmes applicables à la rentrée 2012 pour la classe de 3e. 4 Voir à ce sujet Racine – La Stratégie du caméléon, Alain Viala, Seghers, 1990. 1 Il n’est nullement question de faire acheter trois livres : l’édition Pocket rassemble les tragédies d’Euripide et de Racine et est accompagnée de documents denses et variés. Par ailleurs, il y a lieu de tolérer que les élèves se procurent les deux livres (l’édition Pocket et la pièce de Michel Azama) par binômes. À l’absence de supports audiovisuels suppléent les photographies, capturées sur les sites Internet consacrés à la représentation de la tragédie contemporaine ou bien proposées dans les manuels et dans le n° 2 de Théâtre aujourd’hui. On recourt également au théâtre-image et à la mise en voix et en espace par les élèves. Si la séquence didactique est mise en œuvre dans une classe de 1re5, il est probable que la pièce de Michel Azama ne sera pas connue des examinateurs du baccalauréat. Il revient donc de privilégier des extraits de la tragédie classique et de ne retenir, pour la liste de textes à présenter lors de cette épreuve, que le premier tableau de Iphigénie ou le péché des dieux ainsi que le tableau 16 à analyser parallèlement à la scène 2 de l’acte V de la tragédie racinienne. Enfin, le texte grec permet d’éclairer la pièce du XVIIe siècle ainsi que la version contemporaine du mythe d’Iphigénie. La problématique de la séquence consiste à étudier les variations autour d’un même mythe et à s’interroger, d’une part, sur les raisons de la prégnance du mythe d’Iphigénie dans la culture occidentale et, d’autre part, sur l’évolution du genre de la tragédie. L’objectif séquentiel peut être formulé en ces termes : « Lire trois versions théâtrales d’un même mythe afin de mesurer les parts de tradition et de modernité dans une tragédie contemporaine tant du point de vue dramaturgique que du point de vue des valeurs véhiculées » ou bien encore « Découvrir l’histoire de la tragédie en mettant en résonance trois écritures singulières d’un même mythe et percevoir les visions du monde et des hommes que chacune d’elles nous renvoie ». Pour atteindre cet objectif est à prévoir la lecture analytique de cinq extraits : Iphigénie ou le péché des dieux, tableau 1 (séance 2) La lecture analytique de cette scène tend à familiariser les élèves avec l’écriture de Michel Azama avant de lancer la lecture cursive de la pièce pour la séance 8. Elle vise également à mettre au jour ce que l’on entend par tragi-comique dans la mesure où l’attitude des dieux, qui doivent « délibérer » sur le sort d’Iphigénie, peut faire sourire voire rire le spectateur, alors même que la situation est tragique, puisque ces mêmes dieux ont dans leurs mains la vie ou la mort de la jeune fille. Iphigénie III, 6 (séance 6) Achille et Iphigénie se retrouvent seuls pour la première fois et ont l’occasion de parler d’eux, de leur amour contrarié. Dans la scène 7 de l’acte II, Achille déplore effectivement qu’Iphigénie le fuie et, dans la scène 4 de l’acte III, Iphigénie intercède auprès d’Achille pour qu’il libère Ériphile. Par ailleurs, tous deux viennent d’apprendre la décision d’Agamemnon, révélée par Arcas à la scène 5. Le spectateur du XVIIe siècle, connaissant le héros grec, s’attend à l’expression de sa colère. Mais dans la mesure où c’est la première scène où Achille et Iphigénie se retrouvent seuls, le spectateur s’attend aussi à leurs effusions et cela d’autant plus que la mort risque de les séparer à jamais. Cette scène devrait rapprocher les deux jeunes gens, or la décision d’Agamemnon les sépare idéologiquement : on assiste en fait à un affrontement verbal au cours duquel deux conceptions de l’amour s’affrontent. C’est précisément l’axe d’analyse retenu. La tragédie racinienne a été lue intégralement, les personnages principaux ont été analysés et les spécificités de l’écriture racinienne identifiées. On peut donc demander aux élèves de choisir l’un des deux extraits suivants et d’en rédiger le commentaire organisé : 5 Cette séquence s’inscrit dans une double perspective d’étude : Genres et registres / Intertextualité, production et singularité des textes. 2 Tirade d’Iphigénie : Iphigénie IV, 4, vers 1175-1220 Tirade de Clytemnestre : Iphigénie IV, 4, vers 1249-1316 La lecture de ces deux tirades dans Iphigénie à Aulis d’Euripide éclaire celles à commenter : la jeune fille racinienne reste plus digne, se fait moins suppliante que l’héroïne euripidienne ; chez Racine, Clytemnestre tente de contenir sa colère voire sa haine à l’égard de son époux. C’est une mère meurtrie qui tente de persuader Agamemnon de revenir sur sa décision. On rappelle dès lors que la pièce est jouée devant le public de cour du XVIIe. Iphigénie V, 2 et Iphigénie ou le péché des dieux, tableau 16 L’analyse comparative de ces deux scènes permet de poser le problème du choix qui s’offre à Iphigénie et de souligner la modernité des valeurs défendues par l’Iphigénie de Michel Azama. Les séances sont à programmer de façon à faciliter la lecture cursive de ces trois œuvres et, par là même, l’entrée dans trois univers dramatiques différents et dans trois écritures dramaturgiques singulières. Au cours de la première séance, les élèves sont invités à uploads/Litterature/ iphigenie-sylviane.pdf

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