Charles-Henry Pradelles De Latour J. Allouch, Lettre pour lettre. Transcrire, t
Charles-Henry Pradelles De Latour J. Allouch, Lettre pour lettre. Transcrire, traduire, translittérer In: L'Homme, 1985, tome 25 n°94. pp. 157-159. Citer ce document / Cite this document : Pradelles De Latour Charles-Henry. J. Allouch, Lettre pour lettre. Transcrire, traduire, translittérer. In: L'Homme, 1985, tome 25 n°94. pp. 157-159. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1985_num_25_94_368570 Comptes rendus Jean Allouch, Lettre pour lettre. Transcrire, traduire, translittérer. Toulouse, Édi tions Ères, 1984, 330 p., index, ill., schémas (« Littoral. Essais en Psychanalyse »). Lettre pour lettre est un ouvrage de psychanalyse consacré à une clinique dont le déchiffrement serait écriture. Lire avec de l'écrit, c'est mettre en rapport de l'écrit avec de l'écrit ou plus précisément translittérer. Cette opération centrale qui est à la clé des déchiffrements et à l'origine même des écritures phonographiques, est généralement laissée pour compte dans notre discipline. On dit couramment que les ethnologues transcrivent et traduisent des récits, des rites et des conduites, mais jusqu'à nouvel ordre il n'est jamais dit qu'ils translittèrent. Et pourtant, que fait Lévi-Strauss sinon lire de l'écrit avec de l'écrit quand il ramène le système de parenté des Kariera à un jeu de permutations mathématiques et décode les mythes à l'aide de la formule Fx (a) : Fy (b) ~ Fx (b) : Fa — 1 (y) . Certes, il n'est pas possible de translittérer s'il n'y a pas eu au préalable transcriptions et traductions. Les trois opérations sont nécessaires. Mais en quoi diffèrent-elles les unes des autres ? Quelles sont leurs spécificités respectives ? Telles sont les questions auxquelles Jean Allouch apporte des éléments de réponse qui intéressent tous ceux qui écrivent. Interroger les opérations de l'écrit, c'est interroger le processus même de la recherche. Ne serait- ce qu'à ce titre, cet ouvrage de psychanalyse concerne aussi les ethnologues. La translittération est tout d'abord déchiffrement ; les travaux de Champollion sur l'écriture hiéroglyphique l'attestent. A l'époque où les textes inscrits sur la pierre de Rosette furent connus des spécialistes, on pensait que les caractères hiérogly phiques étaient représentatifs d'idées, à l'exception des caractères insérés dans des cartouches, qui, eux, devaient transcrire des noms propres. Cette conjecture s'étayait sur deux faits. D'une part les caractères inscrits dans le cartouche de la pierre de Rosette comportaient un nombre de signes égal à celui de l'inscription du nom de Ptolémée dans le texte grec, d'autre part on savait qu'un nom propre ne se traduit pas. Pas plus en grec qu'en français on ne traduit « M. Smith » par « M. Forgeron ». A la différence des autres signifiants d'une langue, les noms propres n'ont pas pour but de faire sens. Fort de ces acquis, Champollion rapprocha le cartouche de la pierre de Rosette de ceux gravés sur l'obélisque de Philae, qui étaient eux aussi traduits en grec. La traduction mentionnait que le prêtre du temple adressait une requête à Ptolémée et à son épouse Cléopâtre. Comme ces deux noms comprennent en grec des lettres communes occupant dans chacun d'eux des places différentes L'Homme 94, avr.-juin 1985, XXV (2), pp. 157-186. 158 Comptes rendus (les lettres p, t, o, 1, e, de ptolmes se retrouvent ordonnées différemment dans le nom cleopatra), Champollion eut l'idée de vérifier si des signes hiéroglyphiques iden tiques occupaient dans les deux cartouches égyptiens des positions semblables à celles des lettres grecques dans la transcription de ces noms. Les signes hiérogly phiques 1, 2, 3, 4, 6 écrivant ptolmes étant respectivement identiques à ceux qui occupaient les positions 5, 7, 4, 2, 3 dans le cartouche de cleopatra, il conclut que cinq caractères hiéroglyphiques étaient équivalents homophoniquement à cinq lettres grecques : PTOLMES 123456789 CLEOPATRA II put ensuite translitérer en grec d'autres signes hiéroglyphiques appartenant à d'autres cartouches et même des signes extérieurs aux cartouches, prouvant ainsi, à rencontre des préjugés de son temps, que l'écriture égyptienne était, au moins partiellement, phonographique et non purement idéographique. Déchiffrer, c'est donc ici passer d'un système de lettres à un autre sans prendre appui sur le sens. Déchiffrer n'est pas traduire. Si la translittération règle en effet un écrit sur un autre écrit, « la traduction règle l'écrit sur le sens. Et comme le sens devient toujours plus épais au fur et à mesure qu'on tente de l'approfondir, la traduction est tout compte fait une pratique non théorisable » (p. 79). J. Allouch rejoint ainsi G. Mounin qui avait déjà montré que le sens étant par nature prolixe et élastique, il est toujours possible à un étranger de se faire comprendre auprès d'une population dont il ne parle pas la langue. Le sens ne fait jamais défaut ; aussi Lacan a-t-il pu dire que ce n'est pas avec le sens qu'on arrête le sens, signalant ainsi la pente sans fond sur laquelle glisse la fâcheuse « psychologie des profondeurs » et les phénoménologies. Toute signification, fût-elle tenue pour dernière, en cache toujours d'autres. La translittération n'est pas seulement déchiffrement, elle est aussi l'opération même d'où procède l'écriture phonographique. Les premières écritures furent, on le sait, pictographiques : le dessin d'un vautour représente un vautour, celui d'une galette une galette. Or, si le signe renvoie à un réfèrent en passant par la chicane d'une similitude imaginaire, le signe n'est pas pour autant le réfèrent. Ce décalage a été merveilleusement épingle par Magritte, en 1926, dans un tableau représentant une pipe sous laquelle le peintre avait écrit ces mots : « Cette image qui fait penser à une pipe démontre bien grâce aux mots qui l'accompagnent que c'est un obstiné abus de langage qui fait dire : ' C'est une pipe '. » L'image n'est pas la pipe et pour tant elle la représente. Cet indécidable — être ou ne pas être une pipe — propre aux pictogrammes est levé dans un second temps par un renversement qui veut que l'image ne soit pas prise pour la chose, mais pour le nom de celle-ci. L'écriture phono graphique apparaît lorsque le pictogramme n'a plus la valeur d'un rébus direct (signe représentant l'objet) mais celle d'un rébus à transfert (signe représentant un nom). Par exemple, le dessin d'une pipe suivie de quelques grains de riz se lira « piperie ». Le pictogramme qui devient phonogramme est pipé, car il acquiert une signification différente de celle pour laquelle il a été créé. Entre les mots pipe, riz et le mot piperie, il n'y a qu'un rapport homophonique. En passant d'un signifiant à un autre, le rébus à transfert effectue une translittération qui confère au signe son statut de lettre, c'est-à-dire de signifiant susceptible de faire valoir un autre objet et une autre signification que ceux que le code lui assigne au départ. Cette opération, qui est à l'origine de toute écriture, atteste que le fondement de la lettre n'est pas la Comptes rendus 159 transcription mais la translitération . « Tandis que la transcription se règle sur l'assonance, une lettre pour chaque son, la translittération s'appuie sur l'homo- phonie » (p. 80). A la différence de la translittération toujours possible, la transcrip tion bute sur une impossibilité puisque le son transcrit n'est pas le son réel. Le travail des phonéticiens, qui consiste à multiplier les signes diacritiques pour dénoter toutes les variations subtiles des sons, est certes nécessaire pour transcrire une langue, mais pas suffisant. L'écriture n'est pas une « parole pour les yeux ». Pour passer de la langue parlée à l'écrit, les linguistes doivent d'une part réduire les signes phonétiques à un nombre limité d'archiphonèmes subsumant des sons voisins, d'autre part ordonner ces archiphonèmes les uns par rapport aux autres en se pliant aux lois de la syntaxe et de la morphologie d'une langue donnée. Ce faisant, le linguiste translittère. Que ce soit donc dans le déchiffrement d'une écriture inconnue ou dans la forma tion des écritures, « le translittéral est le littéral lui-même » (p. 168). Si l'écriture a de la sorte son ordre propre pour principale référence, elle a valeur d'un langage- objet. C'est pourquoi Lacan l'oppose aux métalangages qui échouent, à l'instar de la parole, à dire le vrai sur le vrai (cf. la théorie des types de Russel). Le couple écrit/ parole qui prend le relais de l'opposition langage-objet/métalangage des logiciens, permet de comprendre que la parole n'est déchiffrable qu'en tant qu'elle relève pour une part d'un chiffre ou d'un langage ayant valeur d'écrit. Le point de contempo- ranéité entre ces deux ordres est scellé, entre autres, par les homophonies, d'où leur statut privilégié dans le déchiffrement des rêves. Sans se référer à la translittération, Freud avait déjà comparé le texte des rêves à des hiéroglyphes. Lire de l'écrit avec de l'écrit a conduit J. Allouch à déchiffrer de façon neuve et instructive différentes formes de la clinique : toxicomanie, hystérie, phobie, fét ichisme et paranoïa. Ces analyses présentent, entre autres mérites, celui de rendre caduque « l'opposition doctrine-pratique, puisqu'il s'avère que plus une observation se fait littérale, plus est aisément repérable le point de doctrine » (p. 14). Bien que les cas cliniques présentés soient éloignés des préoccupations des ethnologues, la démarche suivie met en valeur l'originalité uploads/Litterature/ j-allouch-lettre-pour-lettre-transcrire-traduire-translitterer-charles-henri-pradelles-de-la-tour.pdf
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- Publié le Oct 07, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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