JACQUES DERRIDA Le calcul des langues SEUIL BIBLIOTHÈQUE DERRIDA T exte énigmat

JACQUES DERRIDA Le calcul des langues SEUIL BIBLIOTHÈQUE DERRIDA T exte énigmatique et entièrement inédit, Le Calcul des langues marque la première tentative de Jacques Derrida d'écrire un livre en deux colonnes. Annoncé comme« à paraître» sur la quatrième de couverture de l'Archéologie du frivole (1973) mais jamais publié du vivant de l'auteur, le tapuscrit de ce projet inachevé fut retrouvé chez Derrida après son décès. La publication posthume de ce texte fort original met au jour un véritable laboratoire typographique où, avant l'écriture de l'un de ses textes les plus célèbres, Glas (1974), Derrida ose couper la page en deux en vue de repenser la relation entre philo­ sophie et écriture. Poursuivant une réflexion sur les sciences du langage au xv1118 siècle entamée avec De la grammatologie (1967), Derrida propose ici une lecture en partie double de L'Art d'écrire de Condillac. Mais à la dif­ férence de Glas, dont les deux colonnes confrontent un philosophe (Hegel) à un auteur littéraire (Genet), Le Calcul des langues confronte Condillac à lui-même. Si la colonne de gauche propose une exégèse plutôt conventionnelle et méthodologique de L'Art d'écrire, celle de droite divague sans cesge. multipliant les digressions en direction de Freud et d'autres penseurs, à la recherche d'un plaisir de l'écriture qui échapperait à la philosophie. Lecture de Condillac en deux colonnes, donc, mais aussi en «deux styles» comme l'indique le sous-titre («Distyle»), cet ouvrage tout à fait singulier dans le corpus derridien donne à lire l'une des plus belles expérimentations de l'écriture déconstructrice. Le texte a été établi par Geoffrey Bennington et Katie Chenoweth. 111111111111111111111111111111 9 782021 455823 www.seuil.com ISBN 978.2.02.145582.3 Imprimé en France 06.20 18 € JACQUES DERRIDA Le calcul des langues Distyle Édition établie par Geoffrey Bennington et Katie Chenoweth ÉDITIONS DU SEUIL 57, rue Gaston-Tessier, Paris XIX' Ce livre est publié dans la collection Bibliothèque Derrida sous la direction de Karie Chenoweth . . ISBN 978.2.02.145582.3 © Éditions du Seuil, mai 2020 le Code de la propriété intcUcaudlc interdit les copies ou reproductions destinées ȋ une utilisation collective. ToUie représen12tion ou reproduction intégrale ou partielle faire pat quelque procédé que. « soit, sans le consentement de l ,au tcur ou de ses ayanr.s cause. csl illidtc ct consdrue une conrrefn sanctionnée par les articles L 335·2 et suivants du Code de la propriété intell ecrudle. www .seuil.com Préface Phalanges Le C alcul des langues. Distyle est un texte inédit, inachevé, visi­ blement abandonné en cours de rouee: texte expérimental, expé­ rience d'écriture et de pensée. Ce texte inattendu, énigmatique était pourtant annoncé comme « à paraître » en quatrième de couverture de l'édition de l'Essai sur L'origine des connaissances humaines de Condillac publiée par Charles Porset aux éditions Galilée en octobre 19731, édition qui comporte une préface de Derrida longue d'une centaine de pages («L'archéologie du fri­ vole», qui deviendra par la suite un petit livre2). Le Calcul des langues était destiné à paraître dans la même collection que l' édi­ tion de l'Essai (la collection «Palimpsestes», dirigée par Porset), mais, « laissé de côté .pour un temps3 », ce texte curieux ne fut 1. La disposition du titre pose déjà un problème : sur la quatrième de couverture le mot « distyle» apparaît centré sous « Le calcul des langues,, (le tout en italique) ; à l'intérieur du volume, p. 302, sous la rubrique «Dans la même collection >>, le mot « distyle» est approximativement centré sous « Le calcul des langues, » mais cette fois imprimé en romain. Dans les deux cas, on annonce aussi comme devant paraître dans la même collection le texte de Willi am Warburton, Essai sur ûs hitroglyph(s, avec une introduction de J. Derrida. Le texte de Warburton est dûment paru en 1977, pré­ cédé de« Scribble: pouvoir/écrire» de Derrida et d'un texte de Patrick Torr, mais aux éditions Aubier-Flammarion, où la collection «La philosophie en effet» devait aussi chercher refuge pendant quelques années, avant de passer chez Galilée. 2. L 'Archto/Qgi( du frivoû. Lire Condillac, Paris, Denoël/Gonthier, 1977, repris par les éditions Galilée, coll. «La philosophie en effet», en 1990 : c'est cerce der­ nière édition que nous citons ici. 3. Selon une lettre de Jacques Derrida à Roger Lapone, citée par Benoît Peeters dans Derrida, Paris, Flammarion, coll.« Grandes biographies», 2010, p. 319. Nous tenons par ailleurs à remercier Benoît Peeters et Thomas Clément Mercier pour de précieuses indications matérielles concernant u Calcul des langues. 7 LE CALCUL DES LANGUES de toute évidence jamais repris ; il fut seulement retrouvé après la mort de Derrida. * Rien de très étonnant, peut-être, à ce que Jacques Derrida solli­ cite ici la forme même du Üvre. Dès 1963, dans son premier texte publié, « Force et signification », il met en question toute « simul­ tanéité théologique du livre », affi rmant qu'il « n'y a pas d'identité à soi de l'écrit», du moment où «le sens du sens» serait « l'im­ plication infinie », « le renvoi indéfini de signifiant à signifiant »1• Et De la grammatologie ( 1967) annonçait déjà (c'est le titre de son premier chapitre) « la fin du livre et le début de l' écriture2 ». Du moment où la déconstruction n'est pas simplement activité théo­ rique, mais, comme le dit souvent Derrida à cette époque, décon­ structionpratique3, il est prévisible qu'elle s'attaque plus ou moins directement à la forme du livre, la forme-livre, le volume lui-même. Avant Le Calcul des langues, il y avait déjà eu un certain travail sur la mise en page dans« La double séance4 », et même un texte qui déjà se présentait en deux colonnes(« Tympan», qui ouvre Marges - de la philosophie5). Et tout de suite après l'abandon du Calcul des langues, il y aura bien sûr le monumental Glas, auquel le lec­ teur aura pensé tout de suite en ouvrant ce volume, et en faveur duquel, semble-t-il, Le Calcul des langues aura été abandonné en cours de route. Et pourtant, Le Calcul des langues-laissé inachevé, certes-, loin d'être simplement encore une tentative de troubler la forme du livre (tentative plutôt ratée, doit-on supposer, aux yeux de Derrida lui-même), est un texte non seulement singulier, qui en fait ne ressemble que superficiellement à « Tympan » ou à Glas, 1. Ja cques Derrida, L'Écriture et la diffé rence, Paris, Seuil, coll. "Tel Quel», 1967, p. 41-42. 2. De la grammatologie, Paris, Minuit, coU. « Critique •, 1967. 3. Cf. par exemple Positions, Paris, Minuit, coll.« Critique "• 1972, p. 93 er 116; La DissEmination, Paris, Seuil, coll. • Tel Quel», 1972, p. 10 er passim; Glas, Paris, Galilée, coll. "La philosophie en effet», 1974, p. 2lb; er ici même dans Le Calcul des langues, p. la, 35b, 38a, 54a, 59b. 4. In La DissEmination, op. cit., p. 198, 201-202, 318. S. In Marges- tk la philoso phie, Paris, Minuit, coll. « Critique», 1972. 8 PHALANGES mais même, de certains points du vue, encore plus radical et ambi­ tieux que ces deux textes très connus. Petit frère mort-né de Glas, pourrait-on croire, donc, mais Le Calcul d e s langues diffère de plusieurs façons du gros volume carré de 1974, n'en est pas simplement la même chose en miniature. D'abord parce que, à la différence de Glas, Le Calcul des langues fut composé -dactylographié - directement en deux colonnes. Interrogé vers 1990 par Geoffrey Bennington au sujet de ce texte annoncé mais jamais paru1, Derrida lui-même insistait sur le côté artisanal de la chose : il racontait comment il mettait chaque feuille (avec deux copies carbone) une première fois dans la machine (sa «petite Olivetti » manuelle2), ayant réglé le retour de chariot sur le milieu de la page (approximativement : la largeur des colonnes du tapuscrit varie en fait selon la page), et, la première colonne arrivée en bas de page, remettait la même feuille avec le début de ligne désormais réglé un peu à droite de la première colonne, et composait la deuxième colonne à côté de la première. Si bien que (Derrida insistait là-dessus) Le Calcul des langues fut non pas com­ posé en mettant ensemble deux textes d'abord écrits séparément3, mais bel et bien écrits, en principe, quasiment en même temps, une colonne déjà en vue de l'autre, d'emblée au regard de l'autre, page après page : un , t xte ’“ appellera donc ce que lui-même appelle une «lecture stereographique » (P. 42a). li faut pourtant de toute évidence nuancer un peu cette descrip­ tion qu'avait donnée Derrida lui-même du processus de composi­ tion du Calcul des langues. D'abord parce que, au moins vers la fln (ou plutôt l'interruption) du texte, on voit qu'une seule colonne -la droite- continue sur plusieurs pages (P. 94-107) sans réponse 1. Avec «Emre deux coups de dés», annoncé dans La Dissémination (op. cit., p. 158, note 57), c'est un exemple rare d'un texte« perdu>> de Derrida. 2. Cf. Papi.r Machin., Paris, Galilée, coU.« La philosophie en effet», 2001, p. 152 et 158-159, cité par Benoît Peeters, Derrida, op. cit., p. 320. uploads/Litterature/ jacques-derrida-le-calcul-des-langues.pdf

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