L'(EUVRE MATH] MATIOUE DE POINCAR] . Par JACQUES HADAMARD PARIS. POINCARfi lui-
L'(EUVRE MATH] MATIOUE DE POINCAR] . Par JACQUES HADAMARD PARIS. POINCARfi lui-m6me a fourni aux lecteurs des Acta une analyse d6taillde de son oeuvre. 1 On comprendra que, sur tousles points qui ont ~t~ port,s ~ leur connais- sance dans un des styles les plus lumineux, les plus d~finitifs que la ]angue scien- tifique -- et la langue frangaise -- aient connus, nous nous croyions dispenses d'insister. I1 nous arrivera done tr~s souvent de renvoyer ~ ]'Analyse dont il s'agit. NOUS n'essaierons pas, d'autre part, de chercher dans tout l'ensemble de cette oeuvre une unit6, d'en d6gager une personnalit6 intellectuelle. Cette tentative, qui s'imposerait pour tout autre, serait, h notre sens, chim6rique en ce qui concerne POINCAR]i, et nous croirions diminuer en m~me temps que d6naturer son oeuvre en nous y essayant. Ce serait m6connaitre cette pens~e (~capable de faire tenir en elle routes les autres pens6es, de comprendre jusqu'au fond, et par une. sorte de d6eouverte renouvel6e, tout ee que la science humaine peut aujourd'hui com- prendre)). ~ Assur6ment, tout penseur tend ~ marquer de son sceau personnel ce que son cerveau fa~onne. Mais si cette tendance est une des forces de l'artiste, le savant, lui, bien loin de chercher ~ l'entretenir, la subirait plutSt. Elle est, chcz lui, combattue par une n6cessit6 toute contraire, celle de l'objectivit6. >>Nous sommes serviteurs plutSt que maitres en math6matiques)), aimait h dire H~R- ~I~TE, et l'adage tout analogue de BACON est aussi vrai des math6matiques elles m~mes que des sciences exp6rimentales: Le savant ~ surtout le math~ma- 9 1 Analyse de ses travaux scientifiques. Acta Math. tome 38. P.~IN].EV~, Temps du i8 Juillet I912. 204 Jacques Hadamard. tieien -- ne dispose gu6re, au fond, des moyens d'attaque. Tout au plus suit-il en g6n6ral son temp6rament dans le choix du terrain. POZ~CAR~ ne fit m~me point ainsi. I1 emprunta ses sujets d'6tude non aux ressourees de son esprit, mais aux besoins de la science. I1 a 6t6 pr6sent partout off il y avait une laeune grave s combler, un grand obstacle s surmonter. Lors- que nous aurons essay6 d'6num~rer ~ m6me aussi rapidement qu'il nous faudra le faire- les questions auxquelles il s'est attaqu~, il nous sembl~ra avoir touch6 s routes celles auxquelles peuvent s'int6resser les math6maticiens et qui n6cessi- tent encore leurs efforts. Son ceuvre est devenue, d~s lots, le patrimoine com- mun de tous. Si POINCAR~ a une (,mani~re,, si m~me on peut employer h son 6gard ce mot qui ressemble s (,manic,), nous en avons tous h6rit6, et elle est en chaeun de nous. De ses r~sultats se d6gage souvent une unit6; mais celle-ci n'est pas inh~- rente h l'auteur. Elle est, elle aussi, objective et r6side dans les faits eux-m~mes. Nul mieux que POINCAR~ ne sut, en effet, d~couvrir, entre les diverses parties de la science, des relations impr6vues, parce que personne ne sut mieux dominer cette science de tousles cSt6s ~ la fois. Cette souplesse et cette universalit6, cette adaptation rapide et parfaite tous les probldmes pos~s par les math6matiques et leurs applications, se sont manifest6cs de mani~re d'autant plus 6clatante qu'h notre 6poque, l'une des sciences qui dictent surtout ces probl~mes, la Physique, 6volue avec une plus d6eoncertante rapidit6. On sait, -- et d'autres le diront ici mieux que moi -- quel degr6 PO~NCAa~, d~s qu'il s'est m616 s cette 6volution, a su tou]ours la suivre et souvent la guider. L'histoire de l'ceuvre de POINCAR~ ne sera done, au fond, autre chose que l'histoire m~me de la science math~matique et des probl~mes qu'elle s'est pos6s notre 6poque. Le plus important d'entre eux est encore aujourd'hui le mfime qui est apparu ~, la suite de l'invention du Calcul infinit6simal. Nous sommes loin d'avoir r6solu les difficult6s qu'il pr6sente. Mais lb~ mfime off nous y sommes arrives, ce n'a 6t6, le plus souvent, qu'en modifiant profond6ment nos id6es sur ce qu'il faut entendre par <,solutiom). Celles que nous avons acquises aujourd'hui se r6sument toutes dans la forte parole que POINCARk pronon~ait en i9o81: <<I1 n'y a plus des probl6mes r6solus et d'autres qui ne le sont pas, il y a 1 Conf6rence prononc6e au Congr~s international des Math6maticiens, Rome; t. i, p. i73 des Acres du Congr~s. L'ceuvre math~matique de Poincar~. 205 se:~flement des probl~mes plus ou moins r~solus~>, -- e'est-~-dire qu'il y a des solu- tions donnant lieu s des calculs plus ou moins simples, nous renseignant plus ou moins direetement et aussi plus ou moins compl~tement sur robjet de notre 6rude. On peut dire, s ce point de vue, qu'une premiere solution est aequise dans la plupart des cas, -- et cette conqu6te, 4bauch~e d~s N~wTo~, est surtout l'ceuvre de CAuc~Y et de W~IEaST~ASS: -- des relations entre ~tats in/iniment voisins, on sai~ d4duire, ee qui est fort different, la connaissance de tous les 4tats su//isamment voisins d'un 4tat donn~. Si, par exemple, le ph6nom~ne ~tudier d4pend de Ia position d'un point darts un plan, on sait l'~$udier dans route une petite r~gion entourant un point quelconque donn6. En un certain sens, il peut ~tre ainsi consid4r~ comme connu, puisque, avec de petites r4gions de cette esp~ce accol4es les unes aux autres, on peut constituer des r5gions plus dtendues et m6me aussi 4tendues qu'on le voudra. Mais cette connaissance est souvent tr~s insuffisante, beaucoup plus encore quene le serait, pour un voyage d'un bout s l'autre d'un pays, la possession des feuilles partielles de la carte ~ quelqu'un qui ne disposerait d'aueune autre donn~e g~ographique. Elle l'est s des degr~s divers suivant la nature du probl~me pos4 ; mais dans la plupart des cas, le rdsultat est connu, dans chaque domaine partiel, par des op6rations d'une convergence mddiocre, c'est-'t-dire assez mal et assez p~niblement; d'autant plus mal et d'autant plus pfiniblement m~me que le domaine en question est plus petit. Quoi qu'i! en soit, ees premiers r6sultats, m~me si t'on n'est pas rdduit h. s'en contenter, servent tout au moins d'interm~diaires obliges pour en obtenir de meilleurs, de sorte que, presque partout, la marche de la science math~.matique actuelle comporte deux ~tapes: La solution locale des probl~mes; Le passage de celle-ci h une solution d'ensemble, si cette sorte de synth~se est possible. Le premier probl~me qui avait arr6t6 le Calcu] infinit5simal, celui des qua- dratures, est, en somme, r6solu, au sens precedent, d'une mani~re assez satisfai- sante. Cette solution diff~re assurdment beaucoup de celle que chcrchaient, -- sans aucune chance de suec~s, nous le savons maintenant -- tes contemporains de L~N~TZ. Elle contient cependant l'essentiel de ce qu'on peut savoir dans le cas g~ndral et des renseignements beaucoup plus importants dans tousles cas particuliers les plus usuels. ~ais le probl~me g~n~ral des ~quatious diff4rentieUes est autrement difficile. Les petites r6gions dont nous parlions ne peuvent m6me plus 6tre consid6r6es ind~pcndamment les unes des autres. On dolt les ranger dans un ordre doer- 206 Jacques Hadamard. minS, et les calculs relatifs s l'une d'elles ne peuvent ~tre commences sans qu'on air ex6cut~ jusqu'au bout ceux qui coneernent les pr6c~dentes. En g6n6ral, il arrive m~me qu'on ignore a priori jusqu'~ l'amplitude des pas successifs que l'on peut ainsi effectuer, c'est-~t-dire jusqu'aux dimensions des r4gions partielles successives: c'est ce que l'on ne connait qu'au moment m~me off l'on atteint chacune d'elles. Les difficultds dont nous venous de parler s'aggravent encore -- et m~me d'autres routes diff~rentes apparaissent -- si, au lieu d'6quations diff~rentielles ordinaires, on a s traiter des 6quations aux d~riv~es partielles. L'int~gration des ~quations diff~rentielles et aux d~riv~es partielles est rest6e jusqu'ici le probl~me central de la math6matique modcrne. Elle en restera vrai- semblablement encore l'un des probl~,mes capitaux, m~me si la Physique poursuit vers le discontinu l'6volution qui se dessine h l'heure actuelle. La th~orie des ~quations diff6rentielles rut aussi la premiere ~ attirer Patten- tion de POINCAR~. Elle fair l'objet de sa Th~se (i879). Notons cependant que, sous l'influence du maitre qui gouverna la g6n6ration pr6c~dente, j'ai nomm6 HEa.~IITE, le d6butant ne craignait pus de suivre presque au m~me moment une vole pour ainsi dire oppos~e ~t la premiere, celle de l'Arithm~tique. La Th~se de POINCAR~ contient d6jh sur les ~quations diff6rentielles un r6sultat d'une forme remarquable, destin6 s ~tre plus tard pour lui un puissant levier dans ses recherches de m6canique c~leste. D~s ce premier travail, il dtait, d'autre part, conduit s perfectionner le principal outil dont se ffit servi jusque ]~, la th~orie des (~quations diff6rentielles, outil qu'il allait utiliser mieux que qui que ce soit, en m~me temps que, le premier, il allait enseigner h s'en passer: la th~orie des fonctions analy~iques. Celle-ci allait, presque imm6diatement apr~s, lui devoir une de ses plus belles conqu~tes: c'est en I88o que les ]onctions /uchsiennes vinrent d~signer POINCAR~ rattention et s l'admiration de tousles g6om~tres. I. La th6orie des fonctions. w 1. Les fonctions fuchsiennes. Auxiliaire puissant pour tout le Calcul infinitesimal, la Th6orie des fonctions analytiques a fair ses preuves de facon particuli~rement ~clatante dans la r~solu- tion du probl~me des quadratures, mais surtout lorsqu'il s'est agi de celles qui L'ceuvre math~matique de Poincar6. 207 uploads/Litterature/ jacques-hadamard-l-x27-oeuvre-mathematique-de-poincare.pdf
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- Publié le Sep 24, 2021
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