L'antiquité classique L'autobiographie dans l'Ane d'Or d'Apulée M. Hicter Citer

L'antiquité classique L'autobiographie dans l'Ane d'Or d'Apulée M. Hicter Citer ce document / Cite this document : Hicter M. L'autobiographie dans l'Ane d'Or d'Apulée. In: L'antiquité classique, Tome 13, fasc. 1, 1944. pp. 95-111. doi : 10.3406/antiq.1944.2721 http://www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_1944_num_13_1_2721 Document généré le 15/10/2015 L'AUTOBIOGRAPHIE DANS L'ANË D'OR D'APULÉE par M. Hicter. Nous n'allons pas, avec Saint Augustin Q) nous demander si Apulée fut bel et bien changé en âne et si l'épisode principal du roman, la métamorphose, est la narration d'un événement Les premiers chrétiens n'osaient nier catégoriquement l'aventure ; les païens, eux, y croyaient et plaçaient Apulée parmi les plus grands magiciens de l'Antiquité. M. de Labriolle (2) a mis en lumière ce phénomène presque incompréhensible d'un avocat, beau parleur, savant rhéteur, auteur de F tondes et de récits égrillards à la grecque, devenant une des figures les plus complexes du ne siècle, prenant possession de l'esprit des foules qui l'exaltent et font de lui l'Antéchrist, la du paganisme aux prises avec le christianisme Nous examinerons plutôt si, dans cette course vagabonde de Lucius à travers la magie noire et racontée à la première par le héros, nous ne pouvons trouver quelque trait, une ou l'autre particularité, un épisode même qui s'adapterait à ce que nous savons d'autre part de la vie d'Apulée. Cette rencontre du fictif et du réel, du créé et du vécu n'aurait rien d'étonnant. Tous les romanciers se glissent çà et là dans leurs œuvres, ou même, empruntant un nom, dévêtent devant nous leur âme et nous convient à la dissection de leur intimité morale (1) August., de Civit. Dei, XVIII, 18 : Sicut Apuleius in libris quos Asini Aureï titulo inscripsit, sibi ipsi accidisse ut accepte veneno humano animo per-' imánente asinus fieret aut indicavit aut finxit. Sur la valeur de ce témoignage, voir F. Calonghi, II prologo délie Metamorfosi di Apuleio, in Riv. di Filot. (1915), I, p. 5 sq. (2) La Briolle, La réaction païenne, Paris (1934), p. 10 ; p. 173 ; cf. aussi Lactance, Div. Instit., V, II, 12 ; Jérôme, Tract de Psalm., LXXXI, in Anee- dota Maredsolania, III, 2, p. 86 etc. 96 M. HICTER et intellectuelle. Il n'en peut d'ailleurs être autrement. Rien n'existe en littérature qui soit purement imaginé, qui n'ait aucun point d'attache au réel. Dans A Rebours, s'il est vrai que J. K. Huys- mans a portraituré en des Esseintes le poète fantaisiste Robert de Montesquiou-Fezensac (*), dans les romans qui suivirent c'est son propre drame religieux qu'il dépeint. Même les contes les plus fantastiques de Hoffmann, même les récits les plus et futuristes de Wells, touchent toujours par quelque notre monde et notre époque. Or, les autres ouvrages nous le montrent très occupé de sa personne, nous dirons : occupé de sa personne (Apol. ; Flor.). Nous n'insisterions pas tant, si dans V Introduction et les Notes du Tome I de la Métamorphose d'Apulée que « Les Belles Lettres » viennent d'éditer, M. P. Vallette (2) ne mettait presque en doute les détails autobiographiques admis par les critiques antérieurs. B. E. Perry (3) qui est l'adversaire le plus ardent de toute « sérieuse » de l'Ane d'or ne s'y refuse pas (4). A la suite de Morelli (5) et Cocchia (6), M. Landi (7) déclare qu'au début du roman, le parallélisme est certain entre l'auteur de l'Apologie et le héros de Y Ane d'Or. Nock (8), après en avoir donné le résumé, écrit : « J'ai laissé Apulée raconter l'histoire de Lucius. C'est en quelque sorte sa propre histoire ». M. Riesftahl (9), dans son livre (1) Cf. Fernand Gregh, Portrait de la poésie moderne de Rimbaud à Valéry, Paris, Delagrave (1939). (2) Apulée, Les Métamorphoses, t. I, texte établi par D. S. Robertson et traduit par Paul Vallette, Paris, Belles Lettres, (1940), p. χ sqq. (3) Β. Ε. Perry, An interpretation of the Met., in Tr. and Proc. of Am. Ph. Ass., (1926), p. 250, note 25. « There can be no doubt that the Métamorphoses countains some Apuleian biography, but we can never be sure in any given instance, unless we have confirmation from some more reliable source ». (4) Cf. notre Apulée, conteur fantastique, Coll. Lebègue, n° 21 (1942). (5) C. Morelli, Apuleiana, in St. Fil. Class., XX, p. 145-188 et xxi, p. 91- 157. (6) E. Cocchia, Romanzo e realta nella vita e nelV attivita letteraria di L. Apuleio, Catania, (1915). (7) G. Landi, l'Epilogo délie Met. dî Apuleio, in Athen., VII, (1929), p. 16 sq. (8) A. D. Nock, Conversion, Oxford, Clarendon (1933), p. 149. — Nous une importance particulière à ce bel ouvrage. (9) H. Riefstahl, der Roman des Apuleius, Frank, a. Mein (1938). l'autobiographie dans l'ane d'or d'apulée 07 récent, affirme que pour juger équitablement la Métamorphose, il nous faut mettre le récit en rapport avec la personnalité telle que l'Histoire et les autres œuvres de l'auteur nous la font connaître. E. Paratore est (*) plus catégorique encore. 1. Origine d'Apulée. Son éducation. Les documents historiques concordent et nous disent qu'Apulée naquit à Madaure, une bourgade proche de Tunis. Saint Augustin y vit le jour. Le prénom Lucius donné à l'écrivain n'est prouvé par aucun texte. C'est uniquement d'après le nom de son héros que, dès l'antiquité, on l'appela Lucius Appuleius. Nous devons renoncer à établir de façon certaine ses tria nomina (3). Bosscha (4), le vieux commentateur et éditeur, relève la plaisante erreur de Sabbathier, Dictionnaire pour l'Intelligence des classiques..., qui interprétant mal ce texte de Fulgence, Myth., m, 6 : « quia haec saturantius Appuleius pene duorum continentia librorum, tantam falsitatum congeriem enarravit », appelle Apulée : Lucius SatU" rantius Apuleiusl... Si nous ignorons son prénom, ne serait-ce pas parce que lui-même s'est abstenu d'en faire état, à l'imitation des Grecs? Les anciennes éditions donnent au père et à la mère d'Apulée les noms de Thésée et de Salvia, comme au père et à la mère de Lucius (Met., i, 23 ; π, 2). Mais pour établir la biographie du romancier, elles utilisent, sans aucun examen critique, les de la Métamorphose, suivant ainsi une tradition ancienne envers notre auteur (5). (1) E. Paratore, La novella in Apuleio, Sandron, Palermo, (1928), p. 6 et passim. (2) id., p. 47 ; Nous ne terminerons pas la série de nos références sans citer E. Rohde qui, le premier, établit l'autobiographie du L. XI. Ses études ont été dépassées, sans doute ; ses vues sur le reste du roman, quoique par presque toute la philologie allemande, ont été réfutées, (3) Vallette, Métam., p. xi. (4) Bosscha, de Appulei vita..., in Oudendorp, III, p. 506 ; cf. Bétolaud, Apulée, Garnier (1862), I, p. 406. (5) Oudendorp, III, les notes de Bosscha, Béroald, Gruter, Wowerius, etc Bayle, Diet, histor. et critique, s. v. Apulée, malgré son bel asprit et le jugement éclairé qu'il porte sur notre auteur, n'échappe pas à cette 98 M. HICTER Lucius était de bonne famille (x), célèbre même : « Ni ta propre dignité, ni la gloire de tes aïeux ne nous sont inconnues, seigneur Lucius, car toute la province respecte la noblesse de ta famille » (ni, 11) ; Photis, la soubrette, parle de la generosam natalium de son soupirant. Byrrhène, la matrone d'Hypathe (π, 3) vante le brillant mariage de la mère de Lucius. Ces notations concordent avec ce que l'Apologie (44) nous apprend d'Apulée : « Mon père a rempli les hautes fonctions de duumvir après avoir suivi la filière des honneurs ; c'est ce rang que je tiens à mon tour dans la cité, depuis que je suis entré à la curie et je le conserve intact, je l'espère, en estime et en considération. » II hérita de son père d'une fortune de 2.000.000 de sesterces (2). Comme tous les enfants de Madaure, Apulée parla le patois du nord de l'Afrique, car il ¿'appelle lui-même Semi-Numide - Semi-Gétule (3), puis comme Lucius^ il parla Grec et Latin. Cela n'a rien d'étonnant si nous rapprochons du Prologue de Y Ane d'Or et des affirmations des Florides et de Y Apologie (4) une inscription découverte dans le nord de l'Afrique, citée et traduite par Boissier (5), parlant des écoles en Afrique Romaine. C'est l'épitaphe de deux jeunes : « ils connaissaient à merveille les deux langues savantes, excellaient à composer des dialogues, des lettres, des idylles, il¿ improvisaient sur un sujet proposé et malgré leur jeunesse, ils attiraient la foule quand ils déclamaient. » Mais, nous dira-τ-οη, Lucius parle dans le Prologue de la qu'il éprouve à s'exprimer correctement en latin !... Là aussi, on trouve le caractère d'Apulée qui d sire sans cesse qu'on le flatte, qu'on l'applaudisse et qui pirouette gracieusement devant le public séduit (6). (1) cf. Cocchia, op. cit., p. 97. (2) August., ad Marcellin., Epist. 5. (3) Apol., 24. (3) Apol., 4 et passim. (5) G. Boissier, L'Afrique Romaine, p. 269. (6) Cf. dans Oudendorp I., cette note de Gaspar Barthius, Adversariorutn, LXIX, cap. XV. : Et Appuleius proprietatis latinae amator eximius (qui mentitus est in Prooemio sui operis, de uploads/Litterature/ autobiographie-dans-l-x27-ane-d-x27-or.pdf

  • 24
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager