1 Les conférences « oubliées » d’Henri Poincaré : les cycles limites de 1908 Je

1 Les conférences « oubliées » d’Henri Poincaré : les cycles limites de 1908 Jean-Marc Ginoux Maître de conférences en Mathématiques Appliquées 1 Docteur en histoire des sciences Henri Poincaré (1854-1912), qui s’était déjà illustré en 1893 en proposant une solution à l’équation des télégraphistes, était très impliqué dans les développements de la T.S.F. En 1908, le mathématicien-physicien a publié de nombreux articles dans ce domaine (Poincaré [1902a, 1902b, 1907]) ainsi qu’un ouvrage intitulé La théorie de Maxwell et les oscillations hertziennes. La Télégraphie sans fil 2 est publié en 1904 puis traduit en anglais et en allemand ; il constitue, d’après Blondel [1912, p. 100], le « premier exposé vraiment scientifique » sur le sujet. Figure 1: L’ouvrage d’Henri Poincaré susmentionné, édition Scientia 1907. 1. Département de Génie Mécanique et Productique de l’I.U.T. de Toulon, ginoux@univ-tln.fr ; http://ginoux.univ-tln.fr 2. La première édition en 1899 ne contenait pas la T.S.F. et s’intitulait simplement « La théorie de Maxwell et les oscillations hertziennes ». Il sera édité en 1904 en Anglais (« Maxwell’s theory and Wireless Telegraphy ») et réédité en 1907 (en français) (http://www.univ-nancy2.fr/poincare/bhp/pdf/hp1907tm.pdf Université de Nancy, édition de 1907) 2 Comme dans tous les domaines qu’il a abordés, Poincaré est une autorité unanimement reconnue, comme en attestent les rapports qu’il entretient avec les deux spécialistes de la T.S.F. en France que sont Gustave Ferrié et Camille Tissot, ainsi que sa présence dans bon nombre de comités scientifiques comme celui de la revue La Lumière Électrique. Ce n’est donc pas un hasard s’il est nommé président du Conseil de perfectionnement de l’École Supérieure des Postes et Télégraphes en 1901. Le directeur, Édouard Estaunié (1862-1942), joue même cette carte pour redorer le blason de l’École, ce qui dépassera toutes ses espérances 3. Figure 2 : l’officier de marine Camille Tissot (1868-1917). C’est en qualité de professeur de physique à l'École navale de Brest (à partir de 1891) qu'il se consacre à l'étude des oscillations électriques et de leur application dans le domaine maritime. Pionnier de la télégraphie sans fil et de son application à la communication maritime, il établit en 1898 la première liaison radio depuis un navire. Il fait une thèse de doctorat sur la résonance des antennes en 1905 – Poincaré en est un des examinateurs, et interlocuteur régulier de Tissot sur ces sujets. 3. D’après Atten et al. [1999, p. 50] « Si le semestre que Henri Poincaré consacre, tous les deux ans, à des sujets particulièrement difficiles, attire nombre d'auditeurs, il n’est sans doute pas d’un intérêt immédiat pour les ingénieurs des P. et T. Mais la venue de ce physicien-mathématicien de renommée mondiale donne un éclat nouveau à l’École et c’est le but recherché par E. Estaunié : « Quand...je dus réorganiser celle-ci [l’École], il me parut qu'en recourant à Poincaré, j’avais toutes les chances de réussir mon entreprise... Il accepta de faire gratis un cours sur ... une question d’électricité à notre choix et n’ayant encore jamais été traitée... Je dois dire que la seule annonce de cette collaboration nous valut la venue de nombreux étrangers, tant étaient grands la réputation du maître et l'attrait d'un tel programme. » » Estaunié joue de ses relations pour faire inviter d’autres scientifiques de renom comme Pierre Curie (1859-1906). 3 Les avantages de la T.S.F. par rapport à la télégraphie optique Dans l’édition de 1907 de son ouvrage (cf. figure 1 et NbdP2), Poincaré expose p.90 de manière fort pédagogique les avantages de la télégraphie radio sans fil par rapport à la télégraphie optique (signaux lumineux) utilisée jusque là. Figure 3 : Rappel sur le spectre électromagnétique. Détaillé à droite, le spectre visible, à longueur d’onde entre 400 et 700 nanomètres. Détaillé à gauche, le spectre radio, à longueur d’onde entre 50 cm et 10m (on parle plutôt pour les ondes radio de leur fréquence, inversement proportionnelle à la longueur d’onde). Image Wikicommons. Ces avantages présentés par Poincaré sont les suivants : - longueur de parcours : « la longueur d’onde [du signal hertzien] étant plus grande [que celle du signal lumineux], la diffraction devient notable ; d’où la possibilité de contourner les obstacles. L’obstacle le plus important est celui qui est dû à la rotondité même du globe ». Ainsi, en télégraphie optique, on pouvait aller jusqu’à 50 4 km en choisissant des points hauts ; « avec la télégraphie sans fil, on ira à 300 km ». - le signal hertzien n’est pas arrêté par le brouillard, pour la même raison que précédemment : la lumière « est dissipée par les réflexions multiples qu’elle subit à la surface des nombreuses vésicules du brouillard (…) pour que ces réflexions se produisent, il faut que les dimensions de ces vésicules soient grandes par rapport à une longueur d’onde ». Poincaré explique : « Cette transmission facile de la lumière hertzienne à travers le brouillard est une propriété précieuse, et l’on a proposé de s’en servir pour éviter les collisions en mer ». - communication vers des postes mobiles : la communication d’un poste fixe vers un mobile est difficile avec un signal lumineux, quand on ne connaît pas la position du mobile. Pour le signal hertzien, le réglage directionnel est « long et délicat », de sorte qu’ « on ne peut guère communiquer qu’entre postes fixes4 » ; au contraire, « des ondes hertziennes envoyées indifféremment dans toutes les directions permettront de communiquer avec un poste mobile, quand même la position n’en serait pas connue. D’où l’importance du nouveau système pour la marine ». Poincaré souligne toutefois un inconvénient inhérent à ce dernier avantage, en temps de guerre notamment. L’ennemi peut difficilement capter un signal lumineux, directionnel et à haute altitude. « Les ondes hertziennes sont, au contraire, envoyées dans toutes les directions ; elles peuvent donc impressionner [atteindre] les cohéreurs [récepteurs] ennemis aussi bien que les cohéreurs amis et, pour le secret, on ne peut plus se fier qu’à son chiffre. De plus, l’ennemi peut troubler les communications en envoyant des signaux incohérents qui viendront se confondre avec les signaux émis par la station amie ». @@@@@@@ Les conférences de Poincaré à l’École des postes et télégraphes aborderont des thèmes variés : - Propagation de courants variables sur une ligne munie d'un récepteur, - Théorie mathématique de l’appareil téléphonique, - La T.S.F. et la diffraction des ondes le long de la courbure de la Terre - La T.S.F. et la méthode théorique de Fredholm, - La dynamique de l'électron et le principe de relativité. 4. C’est en quelque sorte une définition des « faisceaux hertziens », largement à l’œuvre de nos jours, notamment dans les réseaux de téléphonie mobile, qui est donnée ici par Poincaré… 5 Les conférences données par Poincaré en mai-juin 5 1908 sont éditées dans une série de cinq numéros de la revue La Lumière Électrique, alors considérée comme une référence en matière d’électrotechnique et de télégraphie. À l’auditoire des conférences viennent s’ajouter les lecteurs de la revue, touchant ainsi un assez large public. La série publiée aborde, par ordre chronologique, les sujets suivants : - Samedi 28 novembre 1908 (p. 257) : L’émission d’ondes et l’amortissement ; - Samedi 5 décembre 1908 (p. 299) : Étude du champ dans le voisinage de l’antenne ; - Samedi 12 décembre 1908 (p. 321) : Transmission des ondes et la diffraction ; - Samedi 19 décembre 1908 (p. 353) : La réception des signaux ; - Samedi 26 décembre 1908 (p. 385) : Télégraphie dirigée. Oscillations entretenues6. Notons que chaque conférence est publiée en tête de la livraison hebdomadaire. L’éditorial de la revue reprend le contenu et les conclusions essentielles : Dans ces conférences, l’auteur se défend de vouloir faire une théorie complète de la Télégraphie sans fil, mais son intention est simplement d’exposer quelques théories mathématiques, susceptibles de faciliter l’intelligence de ces phénomènes. [Poincaré 1908, p. 257] Il faut ajouter que ces conférences comportent à la fois une revue des connaissances expérimentales et théoriques acquises dans ce domaine et des éléments originaux produits par Poincaré lui-même. Le meilleur exemple en est la question des ondes entretenues, sujet de la dernière conférence. L’éditorial indique : Il passe ensuite à l’étude des oscillations entretenues, établit quatre équations générales, dont une différentielle qui lui permet de déterminer la condition de stabilité du régime et aussi les conditions de possibilité du problème. Au point de vue pratique, le seul fait d’avoir un arc dans le circuit du courant rend possible les oscillations entretenues, à condition, comme le montre le calcul, de ne pas dépasser une certaine fréquence. [Poincaré, 1908, p. 385] 5. D’après Lebon [1912, p. 67]. Les conférences de Poincaré seront ensuite publiées sous la forme d’un livre. Voir Poincaré [1909]. 6. Il s’agit du texte BibNum analysé ici, notamment ses pages 390-393. 6 Dans ce même éditorial sont également mentionnés la question de la symétrie de l’arc et du maintien d’une dissymétrie qui assurerait l’existence d’oscillations de toutes fréquences. Tout lecteur de la revue, ce qui inclut une grande partie des spécialistes de l’électrotechnique et de uploads/Litterature/ jean-marc-ginoux-les-conferences-oubliees-d-x27-henri-poincare-les-cycles-limites-de-1908.pdf

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