Jean Rousset Dernier regard sur le baroque. Petite autobiographie d'une aventur
Jean Rousset Dernier regard sur le baroque. Petite autobiographie d'une aventure passée In: Littérature, N°105, 1997. pp. 110-121. Abstract Last Look at the Baroque. A Short Autobiography of a Past Adventure A generation of critics' work revitalising the baroque and seeing it as a component of French 17th century culture, is in its anachronicism a response to the demands of the 20th, and thus unrepentant, if historical critical categories better account for the contemporaneity of Lully and Racine. Citer ce document / Cite this document : Rousset Jean. Dernier regard sur le baroque. Petite autobiographie d'une aventure passée. In: Littérature, N°105, 1997. pp. 110-121. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/litt_0047-4800_1997_num_105_1_2436 ■ JEAN ROUSSET, université de genève Dernier regard sur le baroque Petite autobiographie d'une aventure passée xpérience passée, cette affaire contestée que fut l'intrusion d'un concept, parfois d'un mot qui ne sont plus aujourd'hui de grande actualité du moins en France : polémiques apaisées, moissons engrangées, l'émotion est désormais retombée. Que reste-t-il, dans le champ de l'histoire littéraire, de ce remue-ménage qui s'en prenait au tableau un peu figé d'un XVIIe siècle français soumis à l'épreuve du point de vue européen et de l'histoire de l'art (i)? En ce qui me concerne, plus qu'un adieu depuis longtemps consommé, ce sera ici sans complaisance je l'espère, ni autoflagellation non plus, un regard sur l'entreprise d'autrefois, qui ne fut pas plus mienne que celle d'une génér ation, d'un entourage aussi dont je n'ai jamais prétendu me disjoindre, je pense à Marcel Raymond qui s'y engagea l'un des premiers et m'y encoura gea (2) ; le je ne se décline pas sans le nous dans lequel il se sait immergé. C'est pourtant sur un cheminement personnel que je voudrais revenir, recourant plus qu'il n'est convenable au je de l'autobiographie pour faire retour, après un temps d'éloignement, sur ma rencontre avec une catégorie historico- esthétique dont je n'ignore ni les charmes ni la fragilité. Après tout, de grands historiens à la demande de Pierre Nora ont donné l'exemple d'une « ego-histoire », sachant bien que le chercheur se trouve engagé en personne dans son travail et ses choix ; sous la visée objective s'abritent des attirances, des goûts, des refus aussi qui peuvent tenir de l'incontrôlé et de l'inavoué. Cette part d'engagement subjectif est peut-être plus grande encore chez ceux qui travaillent sur ces objets mixtes, à la fois présents et passés, à la fois sensibles et mentaux que sont les œuvres, êtres de chair et de pensée qui nés dans l'Histoire, vivent d'une existence actuelle et 1 1 C\ ' Je n annonce ^ un ^}^an •" un jugeroent objectif. Pour le bilan, on verra notamment les travaux récents de J. X U D. Souiller, La Littérature baroque en Europe, PUF, 1988, et de Cl.G. Dubois, Le Baroque en Europe et en France, PUF, 1995. LITTÉRATURE 2 Je pense également à R. Lebègue, à V.L. Tapie en France, à Fr. Simone, à D. Dalla Valle en Italie, à d'autres n" 105 - mars 97 encore. DERNIER REGARD SUR LE BAROQUE ■ persistante, s'offrant au contact immédiat. Pour le dire autrement avec Jacques Thuillier, « l'histoire, en général, s'occupe du passé. L'histoire littéraire et l'histoire de l'art s'occupent d'objets présents qui ont un passé » (RHLF, 1995, n°6,p. 151). Ce mode singulier d'existence attend des destinataires que nous sommes aujourd'hui un double regard : le regard dit historique de qui se place dans l'optique du temps d'émergence, restituant les principes de création et de connaissance qui furent à l'origine de l'œuvre, et d'autre part — en concur rence ou en symbiose ? — le regard actuel, opérant avec les antennes qui sont les nôtres et recourant à un discours nourri de substance moderne. À ce regard actuel répond l'hypothèse baroque, instrument du XXe siè cle forgé pour questionner le XVIIe ; quelle que fût l'ambiguïté qui, en raison même de cette origine, pèse sur l'instrument, c'est lui qui fut l'aiguillon de l'entreprise. RENCONTRES À l'origine il y eut une rencontre, avec tout ce que le terme contient d'émotion : l'enchantement éprouvé devant une architecture qu'on disait baroque, rapidement entrevue dans les campagnes bavaroises avant que la confirmation me vînt des grands créateurs, la triade romaine Bernin, Borro- mini, Cortone. Ce fut d'abord, j'en conviens, une fascination, un éblouisse- ment, ce qui veut dire plaisir et aveuglement ; novice en ces choses, mal préparé à la lecture des édifices, trop peu attentif aux structures, je fus sensible au spectacle : façades ondulantes et voûtes en trompe-l'ceil dans leur mise en scène séductrice, places, statues et fontaines. L'émerveillement n'est pas un programme de travail, il suffit à en nourrir le désir. J'étais donc sensible à ce que m'offraient à voir des architectes, des décorateurs ; mon terrain était cependant la littérature, c'est aux textes que je prétendais transposer une première expérience visuelle. L'entreprise était hasardeuse, je le sais aujourd'hui, on ne passe pas sans risques d'un langage à un autre : quels seront les chemins de passage, s'il en existe ? Quoi qu'il en fût, étant donné mon point de départ, la catégorie de baroque, avant d'être historique et littéraire, était pour moi plastique et formelle. Si telle fut la première impulsion, les incitations me vinrent aussi d'his toriens et de critiques littéraires, le champ n'était pas vierge, ni en France ni surtout à l'étranger. Un lectorat dans une université allemande m'avait ouvert les yeux sur un courant de recherches et de propositions remontant aux années d'avant-guerre ; on reconstruisait entre Renaissance et Lumières une période 111 et une littérature jusqu' alors occultées ou sous-estimées . Ce vide réclamait une existence, donc un nom, ce fut celui de baroque ; le concept de Barockzeit était n» 105 mar. 97 ■ QUESTIONS DE STYLE né comme cadre chronologique avec ceux deBarocklyrick, deBarocktheateret pour les illustrer, les propager nombre de travaux (non exempts parfois à l'époque d'un nationalisme suspect) accompagnés d'anthologies où je découv rais des poètes qui m'enchantaient, un Angélus Silesius mystique et ludique, un Andreas Gryphius lyrique en même temps que dramaturge, un Friedrich von Spee, que je m'exerçais à traduire pour me les inoculer ; ces poètes m'offraient une première moisson de thèmes, d'images, de formes dont j'irais chercher les équivalents chez les Italiens et les Français, faisant le pari d'une unité transnationale dans la différence des langues ; l'Espagne, pourtant asso ciée à ce concert, m'était alors à peu près inconnue. Ce retour de la philologie allemande sur son passé (3) n'était pas seul ement littéraire : les historiens de l'art, très écoutés, suggéraient l'existence d'un style et de structures qu'ils disaient « baroques » ; au premier rang d'entre eux WôlfHin et ses Grundbegriffe, théoricien autant qu'historien dont je ferais l'un de mes modèles pour la transposition des formes visuelles aux formes littéraires. Rome enfin et surtout : sur les lieux de la grise après-guerre, l'apparition intacte, comme si elle était d'aujourd'hui, de la ville conçue par le Bernin, par Borromini, par Pierre de Cortone et les Rainaldi ! Aux premiers regards, avant toute analyse sérieuse, de quoi me parlait cette grande éloquence urbaine ? De figures aux lignes fuyantes s'enroulant autour de leur axe, c'étaient les anges du Bernin dansant sur la balustrade d'un pont, dont je retrouvais la torsion à la fontaine du Moro, au Baldaquin ou bien, à un échelon supérieur, à la lanterne de S. Ivo, œuvre d'un Borromini qu'il me faudrait apprendre à mieux distinguer de son rival ; c'étaient aussi des façades en mouvement dont je méconnaissais en ce premier temps la relation avec les volumes intérieurs ; partout une rhétorique visuelle de libre invention qui paraissait, au citoyen de la sobre cité calvinienne, neuve et joyeuse. Et peut-être y voyais-je aussi, à mon insu, un antidote au constructivisme moderne et industriel ; Pierre Charpen- trat devait mettre le doigt sur l'inconscient d'un engouement et de ses « mira ges ». J'étais en Italie : stimulé par les modèles visuels, je devais me mettre à l'écoute de la réflexion italienne sur le Seicento et sa poésie ; il me fallait des textes, ceux-ci s'offraient dans des anthologies encore, et dans les études qui les escortaient, fort différentes dans leurs choix et leurs critères, opposées même : elles me faisaient assister à un spectaculaire retournement historiogra- phique et esthétique. D'un côté Croce et sa Storia dell'età barocca in Italia (1929) — déjà la périodisation sous la bannière baroque — qui voyait dans cette période un temps de stagnation politique et morale (à juste titre) et dans 112 3 Quelques noms marquants parmi les meilleurs : R. Alewin, Fr. Strich, Fr. Gundolf, W Benjamin... Pour une LITTÉRATURE me d'ensemble, R. Alewin, Deutschebarockforschung, Cologne, 1965, et un bilan plus récent, Der Uterarische n° 105 ■ maks 97 Barockbegriff, édité par W. Earner, Darmstadt, 1975. DERNIER REGARD SUR LE BAROQUE ■ toute sa production du non-art, de la non-poesia, variété du laid et du mauvais goût. Tout au contraire ses successeurs de l'après-guerre (4) avaient du baro que et de sa culture une vision toute favorable uploads/Litterature/ jean-rousset-dernier-regard-sur-le-baroque-petite-autobiographie-d-une-aventure-passee-pdf 1 .pdf
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- Publié le Jui 17, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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