LE CANON AUX AGRÉGATIONS DU XIXE SIÈCLE Martine Jey Presses Universitaires de F

LE CANON AUX AGRÉGATIONS DU XIXE SIÈCLE Martine Jey Presses Universitaires de France | Revue d'histoire littéraire de la France 2014/1 - Vol. 114 pages 143 à 156 ISSN 0035-2411 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-d-histoire-litteraire-de-la-france-2014-1-page-143.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Jey Martine, « Le canon aux agrégations du XIXe siècle », Revue d'histoire littéraire de la France, 2014/1 Vol. 114, p. 143-156. DOI : 10.3917/rhlf.141.0143 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 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Le mot canon renvoie à la fois à une liste d’auteurs et aux critères qui ont per- mis de les sélectionner, par le biais de programmes officiels, sujets d’exa- mens et de concours, manuels – avec une moindre importance puisqu’ils croisent les choix d’un individu avec ceux de l’institution. La construction de la culture nationale est largement dépendante de l’institution scolaire, de la culture de ses enseignants. Concours de recrute- ment et formation des professeurs jouent à cet égard un rôle fondamental. Statut et place de la littérature française, définition de la littérature, hié- rarchie des genres, canon des auteurs : les concours de recrutement sont un observatoire privilégié de l’évolution de ces questions. Programmes et sujets donnés à l’écrit sont issus d’une sélection importante opérée par une ins- tance nationale, tout au moins collective. La nature des écrits servant au recrutement d’enseignants influe sur les études supérieures, elle influe aussi sur la manière dont les professeurs vont former leurs élèves. Elle contribue * Université Paris-Sorbonne/Espé. 1. Ces couplages entre un auteur latin ou grec et un auteur français sont une constante dans la première moitié du xixe et un principe de sélection : Démosthène/Bossuet ; Horace/Boileau ; Virgile/Voltaire (La Henriade)… Les auteurs français sont d’abord conçus comme des imitateurs, voire des traducteurs. D’où l’importance accordée à la comparaison, à l’imitation dans les sujets. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Laval - - 132.203.227.63 - 12/08/2014 08h51. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Laval - - 132.203.227.63 - 12/08/2014 08h51. © Presses Universitaires de France revue d’histoire littéraire de la france 144 à ce que se répandent des exercices, des écrits, des formes d’évaluation, ainsi que des modèles esthétiques, des normes d’écriture légitimés par ces concours. Alors que les langues anciennes dominent largement les études secon- daires et les concours2, les sujets donnés dans le cadre de la « composition française » aux agrégations offrent un intérêt à plus d’un titre : quelles connaissances littéraires exige-t-on, au xixe siècle, d’un professeur de lettres ? Quelles relations établir entre les connaissances requises à ces concours et celles transmises aux élèves de l’enseignement secondaire, quels rapports entre le canon à l’agrégation et celui du secondaire ? Sujets et programmes permettent de définir les attentes institutionnelles, concernant en particulier le statut de la littérature française, les listes d’auteurs sélectionnés, la norme esthétique diffusée. Les « classiques », les auteurs étudiés dans les classes, sont le fruit d’une sélection particulièrement étroite. L’AGRÉGATION, LES AGRÉGATIONS Sans faire ici une histoire de l’agrégation3, il convient de rappeler que ce concours à son origine4 n’avait pas grand-chose à voir avec celui que nous connaissons. Brièvement, et pour se limiter au xixe siècle, les concours d’agrégation sont organisés par le règlement du 6 février 1821, avec trois spécialités : lettres, grammaire et sciences. D’autres spécialités apparaîtront ultérieurement : la philosophie en 18255, l’histoire en 1831, les mathéma­ tiques et les sciences physiques et naturelles en 1841. L’agrégation était proche d’un concours interne puisque les candidats, en majorité, ensei- gnaient déjà6, ou avaient été recrutés pour enseigner dans le secondaire comme les élèves de l’École normale supérieure. Le concours évaluait aussi 2. En 1890, les épreuves de langues anciennes sont les suivantes : versions latine et grecque, thèmes latin et grec, composition latine. 3. Cette histoire a été faite dans l’ouvrage de référence que constitue L’Histoire de l’agréga- tion d’André Chervel, Paris, INRP. Éditions Kimé, 1993. Voir aussi Yves Verneuil, Les Agrégés. Histoire d’une exception française, Paris, Belin, 2005. Deux articles également : Anne-Marie Thiesse et Hélène Mathieu, « Déclin de l’âge classique et naissance des classiques. L’évolution des programmes scolaires depuis 1890 », Littérature, n° 42, 1981, pp. 89-108 ; Pierre Albertini, « Le cursus studiorum des professeurs de lettres », Histoire de l’éducation, n° 45, janvier 1990, pp. 43-69. 4. On ne parlera pas de l’agrégation de l’Ancien Régime qui a un autre fonctionnement. À partir de 1821, certains sujets sont du domaine de l’histoire ou de la philosophie, les agrégations dans ces disciplines n’existant pas encore. 5. Il faut attendre 1830 pour qu’une agrégation de philosophie soit effectivement organisée. 6. Pour que soit donnée l’autorisation de se présenter au concours (les candidats faisaient l’ob- jet d’une présélection), étaient prises en compte les années d’enseignement ; ainsi sous le ministère Fortoul, on impose une ancienneté de cinq ans. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Laval - - 132.203.227.63 - 12/08/2014 08h51. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Laval - - 132.203.227.63 - 12/08/2014 08h51. © Presses Universitaires de France le canon aux agrégations du xixe siècle 145 des pratiques professionnelles par l’épreuve orale de correction de copies7 ; un stage, dont la durée a varié selon les époques, était organisé. Entre ces différentes agrégations (l’agrégation des lettres8, celle de grammaire, l’agrégation secondaire spéciale9 et celle des jeunes filles10) existait une hiérarchie dont on peut se demander si elle influait sur le choix des auteurs sélectionnés. Au sommet l’agrégation des lettres – concours masculin, inutile de le préciser – pour les professeurs des classes de lettres, de la troisième à la philosophie. L’agrégation de grammaire a longtemps été tenue pour une agrégation de second ordre, parce que ce concours recrutait les professeurs destinés aux classes de « grammaire », de la sixième à la quatrième ; les sujets de « composition française » qui ont d’abord concerné la langue ont, à partir de 1885, porté sur la littérature. L’agrégation secon- daire spéciale et l’agrégation pour les jeunes filles, plus récentes, n’avaient pas le prestige de leurs aînées pour des raisons qui tenaient à leurs finalités et à leur public : la première porte la tache originelle d’une finalité profes- sionnelle, pour la seconde, la prétendue infériorité du sexe dit faible rend moins légitime un concours qui lui est destiné. Pas d’épreuves de langues anciennes à ces deux agrégations : la littérature française trouve donc « naturellement » sa place, elle n’a pas à la conquérir face aux littératures latine et grecque. À l’origine, en 1821, aux agrégations des lettres et de grammaire, seules les épreuves d’explications orales (elles portaient sur les langues anciennes) ont un programme d’auteurs défini, programme d’auteurs latins et grecs. Une explication d’auteurs français est ajoutée aux épreuves orales en 1844 pour l’agrégation de grammaire et en 1849 pour celle des lettres, le programme d’auteurs s’augmente alors d’une liste d’auteurs français. En 1904, le règle- ment précise que la « composition française » se fera désormais « sur un pro- gramme d’auteurs indiqué à l’avance ». C’est le début du programme d’auteurs 7. Cette épreuve fait l’objet d’abondants commentaires dans les rapports : « 1° Correction d’un devoir. Cette épreuve est très délicate et met les candidats dans des conditions inégales. On a une demi-heure pour la préparer : ceux qui tombent sur un thème latin ou sur une version latine peuvent s’en tirer ; mais ceux qui tombent sur un discours latin, sur une version grecque ou même sur un discours français n’ont uploads/Litterature/ jey-martine-le-canon-aux-agregations-du-xixe-siecle.pdf

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