HUET N'EST PAS UN SCEPTIQUE CHRÉTIEN José Raimundo Maia Neto Presses Universita

HUET N'EST PAS UN SCEPTIQUE CHRÉTIEN José Raimundo Maia Neto Presses Universitaires de France | « Les Études philosophiques » 2008/2 n° 85 | pages 209 à 222 ISSN 0014-2166 ISBN 9782130566984 DOI 10.3917/leph.082.0209 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2008-2-page-209.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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En général, Huet est vu comme le sceptique (plus souvent encore comme le pyrrhonien) chrétien par excellence du XVIIe siècle. En effet, bien que le retour du scepticisme au XVIe et son développement au long du XVIIe siècle aient été très marqués par l’association avec la religion, Huet est peut-être le seul de son siècle à propos duquel les chercheurs n’ont pas levé la suspicion de libertinage et d’insincérité, bien que son « scepticisme chrétien » soit, en général, vu comme inconsistant et maladroit1. Avant de mettre en lumière les différences entre la position de Huet sur le rapport entre scepticisme et christianisme et les positions qu’on peut légi- timement qualifier de « sceptiques chrétiennes », il sera utile de montrer les causes principales de la vision erronée de Huet comme sceptique/pyrrho- nien chrétien. Les deux principales sont les suivantes : premièrement, la cir- constance difficile et non planifiée de l’apparition du Traité ; deuxièmement, la réception immédiate du Traité (en partie déterminée par le premier point) comme un ouvrage « pyrrhonien ». Je commence avec quelques exemples importants de cette réception. Les Études philosophiques, no 2/2008 1. C’est la notion même de scepticisme chrétien qui est mise en question et Huet est cité comme un typique représentant de cette philosophie. Voir J.-B. Flottes qui, contre C. J. Bar- tholmess (Huet évêque d’Avranches, ou le scepticisme théologique, Paris, Franck, 1850), nie que Huet soit pyrrhonien mais critique l’inconsistance de son scepticisme chrétien : « On doit l’avouer, l’argumentation développée dans le Traité est erronée et dangereuse, mais elle n’est point une profession de pyrrhonisme » (Étude sur Daniel Huet, Montpellier - Avignon, Seguin, 1857, p. 274). © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 83.199.240.74) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 83.199.240.74) La première réception du Traité en langue française L’apparition posthume du Traité philosophique de Huet en 1723 (deux ans après sa disparition) fut très mal reçue dans les différents milieux religieux- philosophiques de l’époque. Chez les Jésuites, qui étaient proches de Huet (il a passé ses dernières années dans la maison professe des Jésuites à Paris), la publication du Traité fit scandale. Les jésuites ont trouvé la philosophie du Traité si « pyrrho- nienne » qu’ils ont d’abord nié l’authenticité de l’ouvrage, réputé indigne du si célèbre prélat1. Même le P. Baltus, ami de Huet engagé dans la publication du Traité et qui n’acceptait pas que la sincérité de la foi de Huet fût mise en doute, reconnaissait dans le livre posthume un pyrrhonisme inconsistant comparé à la foi chrétienne2. Dans le front opposé de la querelle religieuse dans la France de l’époque, chez les jansénistes, la réaction a même été plus négative. Arnauld identifiait déjà du scepticisme et du pyrrhonisme dans les ouvrages philosophiques de Huet qui avaient paru avant le Traité. Il associe l’apologétique comparatiste des Alnetanae Quaestiones au libertinage sceptique de La Mothe Le Vayer – le seul philosophe à l’époque qui, à notre connaissance, conçoit et soutient un scepticisme chrétien. Selon Arnauld, Huet « auroit si peu de jugement, que, sans y penser » – donc contrairement à La Mothe Le Vayer en ce qui concerne l’intention, mais comme lui en ce qui concerne méthode et résultats –, « il détruiroit sa propre religion, en employant tout ce qu’il a d’érudition à faire voir, que la raison ne s’accommodoit pas moins bien du Paganisme, qu’elle s’accommode du Christianisme, & que c’est pour cette raison qu’il recom- mande la Philosophie des sceptiques »3. Parmi les défenseurs de l’orthodoxie catholique en France, le Traité n’avait pas reçu un meilleur accueil. En 1692, Huet envoya à Edme Pirot, censeur de la Sorbonne, une version manuscrite du texte, dont le titre était alors Dissertatio de imbecilitate mentis humanae ad veritatem firmissime clarissimeque percipiendam sive Alnetanarum Quaestionum : Liber Quartus 4. Pirot avait plutôt 210 José R. Maia Neto 1. Voir la recension du Traité dans le Journal de Trévoux (1725, art. XLVII) : « On voit bien que le tître, & beaucoup plus le dessein de cet Ouvrage, jurent avec le nom & le carac- tere de l’illustre Auteur à qui on ose l’attribuër. C’est quelque Pyrrhonien outré qui a voulu mettre en credit une Doctrine surannée à l’aide d’un nom si respectable aux Sçavans & aux gens de bien. » Le « pyrrhonisme » était réputé à l’époque comme la pire forme du scepti- cisme, la plus irréligieuse. 2. Voir l’avis de Baltus sur le Traité publié par Pellisson et d’Olivet, Histoire de l’Académie française, avec notes de Livet, 2 vol., Paris, Didier, 1858, vol. II, p. 410 et s. 3. Lettre à Dorat, 1er novembre 1691, in Antoine Arnauld, Œuvres, Lausanne, Sigismond D’Arnay, 1775, t. II, p. 400-402, lettre 833. Quelques mois plus tard, Arnauld revient dans sa correspondance sur Huet, cette fois à propos de la Censura Philosophiae Cartesianae. Arnauld attaque le « pyrrhonisme outré » de Huet (même expression usée par les jésuites du Journal de Trévoux à propos du Traité) : « C’est renverser la Religion que d’outrer le Pyrrhonisme autant qu’il fait » (lettre à Du Vaucel, 1er décembre 1692, in op. cit., t. III, p. 425, lettre 847). 4. BnF, ms. lat. 6682. Les trois premières questions étaient les trois livres publiés en latin sous ce titre en 1690. Je reviens sur cet ouvrage plus bas. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 83.199.240.74) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 83.199.240.74) considéré le livre comme un « jeu d’esprit » du savant évêque que comme un ouvrage sérieux1. Son rapport très critique a sans doute contribué à la déci- sion de Huet de ne pas publier le texte de son vivant et sous son nom. Même les amis les plus intimes de Huet, qui connaissaient le texte dès sa première rédaction dans les années 1680, ont été très critiques vis-à-vis de son scepticisme. Elena Rapetti a publié des lettres de Jean-Baptiste Du Hamel et Louis Le Valois à Huet contenant les rapports détaillés du premier manuscrit des Alnetanea Quaestiones 2. Parmi plusieurs remarques critiques sur le scepticisme du livre I de cet ouvrage original (qui deviendra beaucoup plus tard le Traité), je ne cite que la remarque suivante de Du Hamel : « Il me semble que vous poussez trop loin le scepticisme et quand vous le reserre- riez un peu davantage, cela ne feroit aucun tort à vostre dessein. Car qu’est il necessaire de faire une si grande violence sur nostre esprit, que de douter mesme si nous sommes, et si nous pensons, pour concilier la raison avec la foy ? »3 Le jésuite Charles de la Rue, bien que se disant disciple de Huet, l’ex- horte vivement à ne pas publier son « système » (ce qui deviendra plus tard le Traité), anticipant exactement ce qui, en effet, aurait lieu : « Ie ne vous dis- simuleray point ce que je vous ay toujours dit que ce liure fera un tres grand bruit, et qu’il seroit a souhaiter que vous eussies pû adoucir vos sentimens, ou les supprimer. Et que ie voudrois de tout mon cœur que vous eussies tourné vos etudes du costé de la sainte Écriture, plutost que du coste de la philosophie. Il ne se peut que cet ouuvrage ne vous attire beaucoup de cha- grins, dont la douceur d’auoir dit la verité ne suffira pas pour vous consoler. Vous verres la plus grande partie de vos amis ou se declarer contre vous, ou du moins n’oser vous defendre. »4 Parmi uploads/Litterature/ leph-082-0209.pdf

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