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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Danielle Jodoin Laval théologique et philosophique, vol. 65, n° 3, 2009, p. 515-530. Pour citer cet article, utiliser l'adresse suivante : http://id.erudit.org/iderudit/039048ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 5 septembre 2012 04:30 « Au cœur de la dispersion, un appel personnel à la suite du Christ : lecture narratologique de 1 P 2,18-25 » Laval théologique et philosophique, 65, 3 (octobre 2009) : 515-530 515 AU CŒUR DE LA DISPERSION, UN APPEL PERSONNEL À LA SUITE DU CHRIST : LECTURE NARRATOLOGIQUE DE 1 P 2,18-25* Danielle Jodoin Faculté de théologie et de sciences des religions Université de Montréal RÉSUMÉ : L’exhortation à la soumission des esclaves en 1 P 2,18-25 peut-elle être porteuse de sens pour les lecteurs d’aujourd’hui ? Une approche narratologique permettra de constater que l’énonciation, par l’agencement de divers indices narratifs, tels les changements d’énon- ciataires, la spatialisation, la temporalité et l’intertextualité, provoque une identification du lecteur avec les esclaves qui deviennent le paradigme de toute personne souffrant des situa- tions d’injustice et stimule tout lecteur à accepter l’exhortation proposée. ABSTRACT : Can today’s reader relate to Petrine exhortation about slave submission in 1 Pet. 2,18-25 ? A narratological approach to this passage shows that the enunciation, by means of strategic narrative constructions such as the change of enunciatees, spatialization, temporality and intertextuality, brings the reader to identify with the slaves. These slaves become a para- digm for all victims of injustice and this therefore bringing the reader to readily accept Petrine exhortation. ______________________ ctualiser la Bible se joue sur la dimension temporelle. Il s’agit de rendre pertinente au temps présent une matière textuelle qui a vu le jour dans le passé1. » Mais est-ce que tout texte biblique est actualisable ? L’exhortation à la sou- mission des esclaves de la Première lettre de Pierre (1 P 2,18-25) peut-elle revêtir une quelconque pertinence pour les lecteurs et lectrices actuels ? Prenons le temps de nous attarder d’abord au texte2 : * Cet article est le résumé d’une communication faite au Symposium international du RRENAB (Réseau de recherche en analyse narrative des textes bibliques) tenu à Lyon en mai 2007, puis au Congrès annuel de l’ACÉBAC (Association catholique des études bibliques au Canada) en mai 2007 également. L’article s’est vu, par la suite, décerner le prix de l’ACÉBAC 2008. 1. O. GENEST, « L’actualisation de la mort de Jésus et du sacrificiel », Science et Esprit, 51, 1 (1999), p. 51. 2. La traduction des textes bibliques est généralement la mienne. Sinon, la référence sera indiquée. « A DANIELLE JODOIN 516 Tableau 1 : 1 P 2,18-253 18 Les domestiques, soyez soumis en toute crainte aux maîtres, non seulement aux bons et aux doux, mais aussi aux tordus. Οἱ οἰκέται ὑποτασσόμενοι ἐν παντὶ φόβῳ τοῖς δεσπόταις, οὐ μόνον τοῖς ἀγαθοῖς καὶ ἐπιεικέσιν ἀλλὰ καὶ τοῖς σκολιοῖς. 19 Car c’est une grâce si, par conscience de Dieu, quelqu’un souffrant injustement, supporte des tristesses. τοῦτο γὰρ χάρις εἰ διὰ συνείδησιν θεοῦ ὑποφέρει τις λύπας πάσχων ἀδίκως. 20 Car quel honneur y a-t-il si, en commettant un péché, vous endurez d’être frappés ? Mais si, en faisant le bien, vous endurez de souffrir, cela est une grâce auprès de Dieu. ποῖον γὰρ κλέος εἰ ἁμαρτάνοντες καὶ κολαφιζόμενοι ὑπομενεῖτε; ἀλλ᾿ εἰ ἀγαθοποιοῦντες καὶ πάσχοντες ὑπομενεῖτε, τοῦτο χάρις παρὰ θεῷ. 21 Car c’est à cela que vous avez été appelés parce que le Christ aussi a souffert pour vous, vous laissant un modèle afin que vous suiviez ses traces, εἰς τοῦτο γὰρ ἐκλήθητε, ὅτι καὶ Χριστὸς ἔπαθεν ὑπὲρ ὑμῶν ὑμῖν ὑπολιμπάνων ὑπογραμμὸν ἵνα ἐπακολουθήσητε τοῖς ἴχνεσιν αὐτοῦ, 22 lui qui n’a pas commis de péché et dans la bouche duquel la tromperie n’a pas été trouvée, ὃς ἁμαρτίαν οὐκ ἐποίησεν οὐδὲ εὑρέθη δόλος ἐν τῷ στόματι αὐτοῦ, 23 lui qui, insulté ne rendait pas l’insulte, souffrant, ne menaçait pas, mais s’en remettait à celui qui juge justement, ὃς λοιδορούμενος οὐκ ἀντελοιδόρει, πάσχων οὐκ ἠπείλει, παρεδίδου δὲ τῷ κρίνοντι δικαίως· 24 lui qui a offert nos péchés dans son corps sur le bois afin que se tenant à l’écart des péchés, nous vivions de la justice par la meurtrissure duquel vous avez été guéris. ὃς τὰς ἁμαρτίας ἡμῶν αὐτὸς ἀνήνεγκεν ἐν τῷ σώματι αὐτοῦ ἐπὶ τὸ ξύλον, ἵνα ταῖς ἁμαρτίαις ἀπογενόμενοι τῇ δικαιοσύνῃ ζήσωμεν, οὗ τῷ μώλωπι ἰάθητε. 25 Car vous étiez errants comme des brebis, mais vous êtes retournés maintenant vers le berger et le gardien de vos âmes. ἦτε γὰρ ὡς πρόβατα πλανώμενοι, ἀλλὰ ἐπεστράφητε νῦν ἐπὶ τὸν ποιμένα καὶ ἐπίσκοπον τῶν ψυχῶν ὑμῶν. La lecture suscite perplexités, suspicions et interrogations. Comment peut-on concilier « esclaves », « être soumis », « maîtres tordus », « souffrir injustement », « endurer d’être frappés », « supporter des tristesses », « souffrir en faisant le bien » avec « ceci est une grâce auprès de Dieu », « c’est à cela que vous avez été appelés », « parce que le Christ a souffert pour vous », « vous laissant un modèle afin que vous suiviez ses traces » ? Dans nos sociétés de droits humains, n’est-on pas à la limite du scandale ? Ce genre de texte biblique ne perpétue-t-il pas une vision doloriste de la vie chrétienne ? Marie-Louise Lamau objectera à juste titre : « En préconisant la soumission, l’auteur de cette lettre encyclique n’a-t-il pas accentué la dépendance et/ou le désespoir des esclaves destinataires, tout en renforçant indirectement l’arbitraire des maîtres4 ? » Alors, comment réagir face à un tel texte qui dérange ? Plusieurs exégètes tentent d’expliquer la péricope en cherchant sa source. À la suite de Bultmann, une grande majorité de chercheurs abordent la péricope en la 3. Légende du tableau : énonciataires, spatialité, temporalité. 4. M.L. LAMAU, « Exhortation aux esclaves et hymne au Christ souffrant dans la “première épître de Pierre” », Mélanges de sciences religieuses, 43, 3 (1987), p. 121. AU CŒUR DE LA DISPERSION 517 considérant comme une hymne christologique 5 . 1 P ne suivrait pas seulement Isaïe 53, mais une hymne chrétienne primitive. Chacun essaie alors de tracer les con- tours de cette hymne et d’en dessiner les particularités. Boismard y décèle une hymne baptismale6, Cothenet et Cerfaux une hymne liée à l’eucharistie7. Pour Kelly, il s’agit d’un élément du Credo, d’un texte catéchétique ou d’une prière liturgique8. Goppelt y voit plutôt une reformulation personnelle par l’auteur de traditions préalables. Pour Gourgues, il est possible que 1 P reprenne une hymne, mais il ne peut l’affirmer avec certitude. Pour lui, 1 P ferait écho à une tradition ancienne : lire la mort du Christ en relation avec le Serviteur d’Isaïe serait un usage connu dans les communautés primi- tives9. Osborne croit, pour sa part, que la référence hymnique est inutile puisque le lien intertextuel avec Is 53 est suffisant10. Certains classent plutôt la péricope dans une habitude d’écriture issue des philo- sophes populaires qui développaient des codes de responsabilités envers les auto- rités11. En effet, des philosophes populaires développaient des catalogues détaillés de responsabilités éthiques envers les autorités, les parents, les époux, les clients. Les chrétiens n’ont pas échappé à cette tendance. « Dans la communauté chrétienne en voie de maturation, les croyants avaient besoin de guides, pour que ceux du dehors puissent voir l’effet de leur foi au Christ sur leurs vies, en les reconnaissant comme des membres positifs dans la société12. » Les codes domestiques du Nouveau Testa- ment répondaient donc à ce désir13. 5. R.K. BULTMANN, « Bekenntnis und Liedfragmente im ersten Petrusbrief », dans A.J. FRIDRICHSEN, dir., Coniectanea Neotestamentica in honorem Antonii Fridrichsen sexagenarii, Lund, Gleerup (coll. « Coniec- tanea Neotestamentica », 11), 1947, p. 1-14 ; L. GOPPELT, A Commentary on 1 Peter, sous la direction de F. HAHN, trad. (et augmenté) par J.E. Alsup, Grand Rapids, Eerdmans, 1993, p. 204-207 ; K. WENGST, Christologische Formeln und Lieder des Urchristentums, Gütersloh, G. Mohn (coll. « Studien zum Neuen Testament », 7), 1973, p. 83-86 ; H. WINDISH, H. PREISKER, Die katholischen Briefe Tübingen, Mohr (coll. « Handbuch zum Neuen Testament », 15), 1951, p. 65. 6. M.-É. BOISMARD, Quatre hymnes baptismales dans la première épître de Pierre, Paris, Cerf (coll. « Lectio divina », 30), 1961, p. 111-132. 7. É. COTHENET, « Liturgie et vie chrétienne d’après 1 Pierre », dans A.M. TRIACCA, A. PISTOIA, C. ANDRO- NIKOF, dir., La liturgie, expression de la foi. Conférences Saint-Serge, XXVe Semaine d’études liturgiques, Paris, 27-30 juin 1978, Rome, C.L.V. Edizioni uploads/Litterature/ jodoin-ltp-65-2009-1p-pdf.pdf

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