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> Cahiers COSTECH 1 / 24 > #Numéro 2 Mathieu Triclot Jeu, calcul, jeu vidéo : ce que le calcul fait au jeu > #Numéro 2 > Ce que le calcul fait à nos pratiques > Working papers > Séminaire PHITECO-2018 > Philosophie Références de citation Triclot, Mathieu. "Jeu, calcul, jeu vidéo : ce que le calcul fait au jeu.", 21 décembre 2018, màj 0000, Cahiers COSTECHhttp://www.costech.utc.fr/CahiersCOSTECH/spip.php?article54 Cet article reprend et prolonge la communication prononcée lors du séminaire Phiteco, à l’Université de Technologie de Compiègne, le 18 janvier 2018. Résumé Le jeu apparaît comme comme un domaine intéressant pour investiguer les métamorphoses du calcul, à travers l’avènement de l’informatique et du calcul mécanique. Le jeu se prête, en effet, à une multiplicité de pratiques calculatoires. Non seulement, le jeu était déjà affaire de calcul, bien avant le calcul mécanique, mais la nature même de ces calculs, dans les jeux de hasard et de stratégie, pouvait faire débat. Dans quelle mesure le calcul du joueur peut-il se ramener au calcul > Cahiers COSTECH 2 / 24 > #Numéro 2 du mathématicien ? L’informatique prolonge des éléments antérieurs de l’activité calculatoire des joueurs, mais elle ouvre aussi à des formes ludiques nouvelles. En utilisant une méthode de classification des jeux inspirée des catégories de Caillois, nous montrons que les jeux vidéo mobilisent l’instrument de calcul en dehors de la zone de l’activité rationnelle, pour transformer, de manière inattendue, la machine informatique en dispensateur de transe et de fiction. Abstract Games appear as an interesting area to investigate the metamorphoses of computation, through the advent of computers and mechanical computation. Games lend themselves, indeed, to a multiplicity of calculating practices. Not only were games a matter of calculation long before mechanical calculation, but the very nature of these calculations, in games of chance and strategy, could give rise to debate. To what extent can the player’s calculation be reduced to the mathematician’s calculation ? The computer extends previous elements of the players’ computing activity, but it also opens up new ludic forms. Using a game classification method inspired by the Caillois categories, we show that video games mobilize the computing instrument outside the rational activity zone, to unexpectedly transform the computer machine into a dispenser of trance and fiction. Auteur(s) Mathieu Triclot, docteur en philosophie et histoire des sciences (2006), est maître de conférences en philosophie à l’université de technologie de Belfort-Montbéliard. Ses recherches portent sur la cybernétique, l’histoire de l’informatique et la notion d’information. > Cahiers COSTECH 3 / 24 > #Numéro 2 Quel peut être l’intérêt d’interroger la notion de calcul au prisme du jeu, et singulièrement du jeu vidéo ? Prendre le calcul « sub specie ludi », pour reprendre la formule de Huizinga (1938, p. 20), ne conduit-il pas à faire peu de cas du sérieux du calcul, en le ramenant à la frivolité du ludique ? La considération des rapports historiques entre jeu et calcul présente l’intérêt d’interroger ce qui pourrait apparaître comme l’une des hypothèses structurantes de ces journées d’études, à travers l’énoncé qui leur donne titre : « ce que le calcul fait à nos pratiques ». La formule peut, en effet, s’interpréter comme désignant une forme d’« impérialisme du calcul », c’est-à-dire son extension à des pratiques et des domaines d’activité qui y échappaient jusqu’ici. L’informatique se signale immédiatement comme cette technologie par laquelle nos activités « entrent en calcul » (Weizenbaum, 1976), et dans les cas des jeux, par laquelle ceux-ci deviennent « jeux vidéo ». On perçoit qu’une telle hypothèse structurante peut être dotée d’une charge critique. Il est difficile de ne pas penser ici à la formule de « l’arraisonnement » Heideggerien, mode de vérité caractéristique des sciences modernes technicisées, qui fait entrer la nature en « un complexe calculable de forces » (Heidegger, 1953, p. 29). Par rapport à l’exigence de « discuter avec recul critique l’idée selon laquelle les technologies du calcul auraient un caractère déshumanisant », énoncée dans le programme, la connexion des jeux, du calcul et des jeux vidéo présente l’intérêt immédiat de dédoubler la question du calcul. Si les jeux vidéo sont bien un des produits de l’ordinateur, comme dispositif de calcul, cela ne signifie pas cependant qu’il aurait existé pour les jeux un monde « d’avant le calcul ». La question du calcul est en effet centrale pour les jeux, aussi bien sur le plan de la pratique que de leur conceptualisation, bien avant le calcul mécanique et les jeux vidéo. L’étude des jeux vidéo permet ainsi d’interroger non pas tant « l’entrée en calcul » des jeux que les effets particuliers de cette forme de calcul technicisée qu’est l’informatique, sur des pratiques ludiques qui connaissaient déjà le calcul, notamment sous la forme de « l’estime des apparences », la considération des chances et probabilités. Au-delà de la distinction entre calcul mécanique et calcul non-mécanique, la question des jeux conduit, en outre, à s’interroger sur la nature de ce que l’on appelle « calcul » chez les joueurs. En quoi consiste ce calcul des joueurs ? Est-il de même ordre que le calcul du mathématicien ou de la > Cahiers COSTECH 4 / 24 > #Numéro 2 machine ? Les pratiques de calcul se démultiplient, sans garantie qu’elles puissent se ramener à une formule unique. Enfin, l’un des intérêt de la question des jeux vidéo tient au fait que la mécanisation du calcul entraîne le jeu vers des terrains inattendus, dont on pourrait dire qu’ils relèvent moins de l’activité calculable que de la dépense. Si, par un côté, le calcul mécanique prolonge la dimension calculatoire déjà présente dans certaines catégories de jeux traditionnels, il vient aussi se brancher, par ailleurs, avec des activités du l’ordre du vertige et du faire semblant, pour citer les catégories de l’analyse des jeux de Roger Caillois (1958). L’un des paradoxes structurants des jeux vidéo, si l’on suit Caillois, veut ainsi que le calcul mécanique débouche sur des activités ludiques situées sur le versant de la transe et du masque, à l’opposé de la rationalité calculatoire qui caractérise l’évolution des jeux dans les « sociétés de comptabilité ». Nous nous proposons d’explorer cet ensemble de questions en deux temps. Nous examinerons d’abord les significations attachées au calcul du joueur, en revenant sur la liaison jeu-calcul à l’âge classique. Le jeu apparaît ici comme un terrain décisif pour l’extension de la signification du calcul, au-delà des seules opérations arithmétiques, vers un calcul logique généralisé. Dans un deuxième temps, nous présenterons une méthode pour interroger la place des jeux vidéo par rapport aux jeux traditionnels, à partir de la classification proposée par Roger Caillois. Cette démarche questionne les effets de l’ordinateur et du calcul mécanique dans le champ ludique. 1. Jeu et calcul 1.1 Les valeurs du jeu Colas Duflo (1997) situe la question du calcul comme un élément déterminant dans la nouvelle forme de valorisation philosophique du jeu, qui intervient à partir du 17 e siècle, et culmine, selon lui, dans l’œuvre de Schiller. Ce dernier fait, en effet, à la suite de Kant, du jeu une notion fondamentale, qui réunifie les dimensions naturelles et spirituelles de l’existence humaine. Cet intérêt nouveau pour le jeu s’exprime dans la formule célèbre des Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, selon laquelle « l’homme ne joue que là où dans la pleine acception de ce mot il est homme, et il n’est tout à fait homme que là où il joue » (Schiller, 1795, p. 221). > Cahiers COSTECH 5 / 24 > #Numéro 2 Les nouveaux discours de valorisation du jeu ne prennent sens que sur le fond d’un discours largement partagé d’hostilité au jeu, présenté comme une activité non seulement triviale, mais surtout factice. Le jeu ne possède de valeur qu’en tant que repos ou délassement, en vue de l’activité véritable. La matrice d’une telle disqualification se trouve chez Aristote, dans l’Ethique à Nicomaque (X, 6). En tant qu’activité non finalisée vers une production et dont le plaisir procède du seul exercice, le jeu ferait, en effet, un bon candidat à l’activité bienheureuse. Aristote rejette cependant l’identification entre jeu et bonheur et renvoie, dans ce passage, le jeu à sa dimension de seul repos, en vue de l’activité authentique : « Le jeu est, en effet, une sorte de délassement, du fait que nous sommes incapables de travailler d’une façon ininterrompue et que nous avons besoin de relâche. Le délassement n’est donc pas une fin, car il n’a lieu qu’en vue de l’activité » (Éthique à Nicomaque, 1176b). Nous trouvons ici la matrice d’un discours philosophique sur le jeu, largement repris dans la tradition chrétienne, assorti d’un impératif de modération dans le délassement. Cette condamnation philosophique et morale répétée possède, en outre, son pendant juridique, avec le lot d’interdictions qui frappe le jeu et dont la multiplication signale par là- même l’inefficacité (Belmas, 2006). Le discours sur le jeu se modifie au 17 e et 18 e siècles, en contournant plutôt qu’en affrontant frontalement cette condamnation. La valorisation du jeu comme activité de uploads/Litterature/costech-triclot-decembre-2018.pdf

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