L’INTERPRÉTATION : DE L’ÉCOUTE À L’ÉCRIT Éric Laurent L'École de la Cause freud

L’INTERPRÉTATION : DE L’ÉCOUTE À L’ÉCRIT Éric Laurent L'École de la Cause freudienne | « La Cause du Désir » 2021/2 N° 108 | pages 58 à 65 ISSN 2258-8051 ISBN 9782374710372 DOI 10.3917/lcdd.108.0058 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2021-2-page-58.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'École de la Cause freudienne. © L'École de la Cause freudienne. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Par exemple, à constituer des amalgames entre les thérapies auto- ritaires centrées sur la rééducation des comportements et la psychanalyse qui s’appuie sur le sujet de l’inconscient. La tentative de substitution de l’une par les autres passe par la constitution d’une catégorie confuse et inconsistante, celle des pratiques de l’écoute. Comme s’il s’agissait avant tout d’écouter la plainte des sujets qui demandent de l’aide, alors qu’il s’agit d’en faire quelque chose. Le comportementaliste écoute dans ce qu’on lui dit l’agencement d’une somme de comportements élémentaires qu’il prétend ensuite rééduquer. Il répond à ce qu’il a entendu par une objectivation des comportements et une série de prescriptions. La croyance du comportementalisé repose sur la foi en la rééducation. L’analyste, d’abord présent comme écoute, introduit par son silence, une demande de sa parole de la part de l’analysant. La réponse de l’analyste va jouer sur ce registre de la demande pour répondre à côté de la demande afin de pouvoir faire entendre dans ce qui est dit ce qui dépasse l’intention de celui qui soutient son dire. L’analyste assume la responsabilité de l’écoute pour faire surgir la présence d’un sens autre que le sens commun, d’une part du discours qui toujours échappe. Il s’y ajoute la croyance de l’ana- lysant que l’analyste a en son pouvoir le savoir en place d’objet demandé. Toute demande implique l’écoute, le silence de l’écoute comme place réservée pour ce qui, dans ce qui se dit, excède l’intention. Cette écoute silencieuse vient marquer la place du désir qui, dans le discours, s’ignore. La place du désir ainsi isolée témoigne aussi de la fixation de jouissance qui est en jeu dans la plainte. L’effraction que constitue la jouissance dans l’homéostase du corps est le fondement de la répétition du Un : « Dans les cas auxquels on a accès par l’ana- lyse, son mode d’entrée [celui de la jouissance] est toujours l’effraction. L’effraction, c’est-à-dire non pas la déduction, l’intention ou l’évolution, mais la rupture, la disrup- tion par rapport à un ordre préalable, par rapport à la routine du discours par lequel les 58 Éric Laurent est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne. © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 15/03/2022 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.174.3) © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 15/03/2022 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.174.3) La Cause du désir no 108 59 Éric Laurent, L’interprétation : de l’écoute à l’écrit significations tiennent, ou par rapport à la routine que l’on imagine du corps animal 1 ». L’écoute n’a donc pas vocation à rester paralysée dans son silence. Elle doit aider à manifester la dimension du désir d’au-delà de l’intention, et d’une pulsion acéphale. C’est la fonction de l’interprétation. Le désir n’est pas l’interprétation métalangagière d’une pulsion confuse préalable. Le désir c’est son interprétation. Les deux choses sont de même niveau. Une autre proposition doit être ajoutée : « les psychanalystes font partie du concept de l’inconscient, puisqu’ils en constituent l’adresse 2 ». Le psychana- lyste ne peut faire mouche que s’il se tient à la hauteur de l’interprétation qu’opère l’in- conscient, déjà structuré comme un langage. Encore faut-il ne pas réduire ce langage à la conception que peut en avoir la linguistique, d’un lien entre le signifiant et le signifié. Il faut donner toute sa place à la barre qui sépare les deux dimensions et permet la topo- logie de la poétique. La fonction poétique révèle que le langage n’est pas signification, mais résonance, et met en valeur la matière qui, dans le son, excède le sens. De l’interprétation traduction à l’interprétation coupure C’est dans le lien entre l’interprétation traduction, qui joue encore sur le sens, et l’interprétation coupure, qui joue sur la matière sonore équivoque, que se situe le passage dans l’enseignement de Lacan entre l’interprétation qui donne sens et son envers. Jacques-Alain Miller en a défini la problématique dans un article retentissant opposant l’interprétation traduction à l’interprétation asémantique ne renvoyant qu’à l’opacité de la jouissance. La place vide n’est plus « en réserve », elle est au premier plan. « La question n’est pas de savoir si la séance est longue ou brève, silencieuse ou parleuse. Ou bien la séance est une unité sémantique, celle où S2 vient faire ponctuation à l’éla- boration – délire au service du Nom-du-Père – bien des séances sont ainsi. Ou bien la séance analytique est une unité a-sémantique reconduisant le sujet à l’opacité de sa jouis- sance. Cela suppose qu’avant d’être bouclée, elle soit coupée. 3 » La polarité fondamen- tale n’est plus entre le sens et la vérité comme trou, mais entre les deux faces de la jouissance : ce qui est place vide dans le discours et le troue, mais qui s’impose dans son plein d’opacité. Cette nouvelle polarité n’est appréhendée dans son plein développement qu’en rompant avec les illusions non plus seulement de l’intersubjectivité, mais aussi du dialogue. J.-A. Miller le fait valoir dans son invention du concept de l’apparole reconfi- gurant les avancées du dernier enseignement de Lacan. « Or l’apparole est un mono- logue. Ce thème du monologue hante le Lacan des années soixante-dix – le rappel que la parole est surtout monologue. Je propose ici l’apparole comme le concept qui répond à ce qui se fait jour dans le Séminaire Encore, quand Lacan interroge de façon rhéto- rique – Lalangue sert-elle d’abord au dialogue ? Rien n’est moins sûr 4 ». 1. Miller J.-A., « L’Un est lettre », La Cause du désir, no 107, mars 2021, p. 35. 2. Lacan J., « Position de l’inconscient », Écrits, Seuil, 1966, p. 834. 3. Miller J.-A., « L’interprétation à l’envers », La Cause freudienne, no 32, janvier 1996, p. 13. 4. Miller J.-A., « Le monologue de l’apparole », La Cause freudienne, no 34, octobre 1996, p. 13. © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 15/03/2022 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.174.3) © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 15/03/2022 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.174.3) Pas d’écoute sans interprétation Alors que l’interprétation sémantique voulait faire relance, l’interprétation qui s’af- fronte à la jouissance vise, au contraire, une non-relance. « Il faut une limite au mono- logue autiste de la jouissance. Et je trouve très illuminant de dire – L’interprétation analytique fait limite. L’interprétation [en général], au contraire, a une potentialité infinie 5 ». La potentialité infinie du discours libre ne pose comme seule limite à la jouis- sance que celle du principe de plaisir. La limite de l’interprétation se veut autre. « Dire n’importe quoi mène toujours au principe du plaisir, au Lustprinzip [...] En particulier parce qu’on met entre parenthèses les interdits, les inhibitions, les préjugés, etc., quand ça se met vraiment à tourner à ce niveau-là, il y a une satisfaction de la parole 6 ». C’est aussi ce dont peut s’enchanter l’écoute. On reste ainsi dans le principe de plaisir, même s’il est comportementalisé. Il s’agit donc de donner une visée nouvelle à l’interprétation. En lieu et place du recours au principe de plaisir et ses possibilités indéfinies, il s’agit d’introduire la modalité de l’impossible comme limite. « Cela indique quelle pourrait être la place de l’interprétation analytique, en tant qu’elle interviendrait à contre-pente du principe du plaisir. [...] l’interprétation analytique introduit l’impossible 7 ». Par l’introduction de cette modalité qui rompt avec l’association libre de la parole, par la mise en place d’un certain ça ne veut rien dire, l’interprétation qui passe par la parole passe du côté de uploads/Litterature/ l-x27-interpretation-de-l-x27-ecoute-a-l-x27-ecrit-laurent.pdf

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